IVème siècle : la basilique gauloise de Constantin

par Emile Mourey
vendredi 14 janvier 2011

L’idée d’une Gaule inculte qui aurait attendu Rome pour recevoir la civilisation est aussi absurde que cet effroyable mensonge qui consiste à dire que les invasions barbares auraient tout détruit sur leur passage et que les seuls vestiges de notre passé antique seraient à rechercher sous terre. Sur les trois lieux principaux de la Bourgogne, nous retrouvons, dans l’ordre d’ancienneté, et toujours debout : une tour phénicienne, un temple cananéen et un grand temple judaïque du III ème siècle http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/au-iiieme-siecle-le-plus-beau-86738.

Oublions cette fausse image de Gaulois barbares descendant d’un mont Beuvray boisé pour s’installer dans une nouvelle ville romaine offerte par l’empereur Auguste à Autun. Autun a été fondée par les Eduens de Bibracte à Mont-Saint-Vincent et l’empereur Auguste n’y est pour rien.

Quel est le véritable historien ? Est-ce celui qui s’appuie sur les textes ou est-ce celui qui élucubre à partir du mot "augustus", simple qualificatif, pour en déduire qu'Autun aurait été fondée par l'empereur Auguste, ce qui va à l'encontre de tous les textes. Au début du IVème siècle, dans son discours d'actions de grâces à Constantin (Constance-Chlore), IV ème paragraphe, le rhéteur éduen Eumène écrit ceci : « Ton divin père (Maximien) a voulu relever de ses ruines la cité des Eduens et réparer toutes ses pertes. Non seulement il a fourni de l'argent et a fait reconstruire les bains chauds (de Bourbon-Lancy), mais il a attiré des colons de tous les pays afin de reconstituer comme la mère unique des provinces une cité (Bibracte) qui, la première, a reconstruit sur l'emplacement des villes (détruites) des villes en quelque sorte romaines (Autun). » Dans ce paragraphe, Eumène tient manifestement à préciser que ce sont les Eduens qui, les premiers, ont reconstruit leur ville à l'image de Rome (et non Auguste), donnant ainsi l'exemple aux autres cités. Et s'il apporte cette précision, c'est parce qu'au début de son discours qu'il prononce à Trèves, il reproche à Constance-Chlore - en termes voilés - d'embellir la ville trévire avant sa cité éduenne qui, la première... Et dans le panégyrique, paragraphe XXII, qu'il adresse plus tard, cette fois à son fils Constantin-Auguste, toujours à Trèves, il insiste en lui demandant, toujours en termes polis mais fermes, de faire pour sa cité ce qui a été fait pour Trèves : basiliques, forum etc...

La réponse : c'est la ville d'Autun, ses remparts, son enceinte et ... sa basilique, l'actuelle cathédrale Saint-Lazare.

Première preuve : la logique. Dans ce panégyrique à Constantin-Auguste, Eumène célèbre la victoire de l'empereur sur ses rivaux. Comme s'il en revendiquait une part de gloire pour son pays, il évoque la fameuse vision "prophétique" de Chalon-sur-Saône que tout le monde s'accorde à situer vers l'année 312. Le texte montre qu'Eumène a exigé son dû sous forme d'offrandes. La logique veut que l'empereur ait satisfait à ses exigences - la construction d'une basilique comme à Trèves - pour pouvoir continuer à bénéficier du soutien militaire éduen jusqu'à son installation à Constantinople en 330. Cela fait 18 ans de campagnes où la manne du butin et des soldes a dû, logiquement, se déverser sur la cité éduenne... et probablement aussi sur d'autres cités.

Deuxième preuve : l'absence de texte de fondation. Si la cathédrale Saint-Lazare avait été édifiée au XI ème ou XII ème siècle comme on le prétend, les cartulaires auraient dû le mentionner, ce qui n'est pas le cas. En outre, quel est le puissant seigneur ou évêque qui aurait eu, en Bourgogne, à cette époque, la force politique d'élever une telle tour de Babel ? Je n'en vois pas. Qu'on ne nous dise pas que le peuple du Moyen-âge s'est tout d'un coup lancé dans la construction des cathédrales à l'appel des grands prédicateurs ! Qu'on ne nous répète pas à longueur de livres “culturels” que les paysans de ces époques de misère ont abandonné du jour au lendemain leurs champs pour venir perdre bénévolement leur temps à Autun !


 La consécration de l'église en 1130 par le pape Innocent III ne signifie pas que l'édifice était en cours de construction, mais qu'étant probablement en fort mauvais état d'entretien par le fait de l'incurie des responsables, on avait décidé de la confier à un nouveau chapitre de religieux et de la consacrer à un autre saint (1). Le récit du transfert des reliques de saint Lazare dans la cathédrale, en 1146, nous apprend seulement que des travaux effectués à l'entrée de l'église n'étaient pas achevés. Il ne s'agit pas de la fin de l'édification du monument, comme les érudits nous l'affirment, mais de travaux de restauration ou de modification ; ce n'est pas la même chose. L'entrée qui aurait dû être l'ornement et la lumière de l'église, non seulement n'était pas consolidée, mais l'appareillage de pierres qu'on avait placé à côté du génie de l'artiste, n'était ni sculpté ni ajusté avec soin, comme cela aurait dû être dans une maison d'une telle renommée. Et il y avait encore une foule de choses qu'il aurait été digne d'ajouter dans la maison du Seigneur. (2)

 L'acte de concession passé par le duc de Bourgogne Hugues III au sujet de ce porche d'entrée en 1178, soit trente-deux ans après, ne prouve en aucune façon que la cathédrale tombait en ruines mais signifie tout simplement que les travaux de restauration du Moyen-âge n'ayant probablement pas été satisfaisants, il fallut élargir le dit porche à trois entrées. Construction du porche au XIIème siècle : oui ! Construction de la cathédrale : non !

Troisième preuve : la carte de Peutinger.

Le rapprochement que nous avons fait entre la vignette de Cabillo et le temple d'Apollon/actuelle cathédrale de Chalon-sur-Saône nous conduit logiquement à comparer la vignette d'Augustodunum à la façade aux deux tours de la cathédrale d'Autun. Y a-t-il incompatibilté ? Apparemment non ! Cela signifierait donc que le bâtiment était déjà construit à l'époque où la carte a été rédigée. Désignée sous le nom de tables théodosiennes, j'y vois plutôt, à la fois l'oeuvre et la pensée de l'empereur Julien, oeuvre d'un intellectuel et d'un mystique.En effet, il n'y a dans cette carte aucune allusion aux évangiles. Il ne s'y trouve que "le paganisme" de l'empereur Julien, un paganisme qui s'accorde parfaitement avec celui que l'on découvre dans les discours d'Eumène. Il s'ensuit que, dans les chapiteaux de la cathédrale d'Autun, nous ne devrions pas trouver la "révolution chrétienne" qui ne deviendra officielle qu'avec l'empereur Théodose mais essentiellement la continuation du judaïsme messianique des fresques de Gourdon http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/cleopas-le-christ-oublie-des-31893 et du temple d'Apollon/cathédrale de Chalon-sur-Saône http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/au-iiieme-siecle-le-plus-beau-86738.

Quatrième preuve : les chapiteaux n'évoquent pas la naissance de Jésus mais la naissance de Constantin à l'empire.

Cela étant dit, nous nous trouvons dans une situation absolument ahurissante. Alors qu'Eusèbe de Césarée s'est efforcé dans ses écrits de nous faire croire que Constantin avait vu dans le ciel le signe du Christ (des évangiles) et que, de là, date sa conversion au christianisme, alors qu'après le doute, cette assertion est aujourd'hui réfutée, on continue à nous présenter les chapiteaux d'Autun comme s'il s'agissait d'une illustration des évangiles, alors qu'il faudrait, là aussi, commencer à douter.

L'historien ne peut s'appuyer, en priorité, que sur des documents. Et les documents sur lesquels nous pouvons réfléchir sont, primo, pour le judaïsme messianique, le texte connu sous le titre erroné de "Protévangile de Jacques" qui nous annonce, avant les évangiles, un Jésus à venir, secundo, pour la religion augustéenne impériale, les histoires romaines qui nous montrent comment celle-ci s'est imposée dans la vie politique depuis Auguste. Je ne cite pour mémoire que le jour d'intronisation où le nouvel empereur était censé naitre à l'empire en recevant en lui l'esprit de Dieu et le jour de son apothéose où, son corps brûlé sur le bûcher, son âme s'envolait dans le ciel, ce qui le faisait devenir lui-même dieu. La question qu'il faut se poser est : comment les responsables éduens, maîtres d'oeuvre de la cathédrale d'Autun, ont-ils réussi à concilier ces deux points de vue ? Comment ont-ils, d'autre part, réussi le consensus qui pouvait satisfaire les différents courants de pensée de l'époque sans heurter quiconque, y compris la sensibilité chrétienne qui allait bientôt s'imposer ?

Outre le fait qu'on ne trouve dans ces chapiteaux, aucune évocation du thème principal de l' évangile qu'est la passion et la crucifixion, constatons par ailleurs que ceux de l'annonce à Marie, de la nativité, et de l'adoration des mages sont les thèmes centraux de la prophétie judaïque connue sous le nom de "Protévangile de Jacques", antérieure, selon moi, aux dits évangiles.

Constatons également que la scène du lavement de pieds relève d'une coutume juive qui n'a rien de spécifique, que le Joseph de la sainte famille porte épée sur l'épaule, ce qui désigne beaucoup plus un Constance-Chlore César qu'un Joseph pacifique, et que pour les autres, il faut vraiment se forcer pour y voir des évocations évangéliques.

En revanche, si l'on revient à mon interprétation, tout prend sens, avec l'éloge des princes libérateurs, les victoires de Constance, la fondation d'Autun, le renouveau des écoles moeniennes, le rejet de Galère et la consécration de Constantin. Je suis bien conscient que ma thèse est lourde de conséquences. Je souhaiterais qu'on y voie le côté positif.

Notes

1. Mémoires de la société éduenne, nouvelle série, tome 47, 1935, page 126 : « ecclesiam que in honore beati martyris dedicata et consecrata per manum domini Innocentii, apostolicae sedis ministri fuerat. »

2. . Faillon, opus cité, pp 715 - 724 : « ... vestibulum, quod vestire et delucidare ecclesiam debet, nondum confirmatum esse, pavimenta ut decebat in tam nominata domo, juxta ingenium artificis, nec sculta, nec ad unguem aptata fore ; adhuc innumera restare quae dignum erat in ingressu Domini domus integre consummari. »


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