J’ai très envie de les emmerder…

par Florian Mazé
jeudi 6 janvier 2022

 

Dans cette triste affaire, il y a bien entendu le verbe « emmerder », une grossièreté indigne du premier magistrat de l’État. Mais il y a aussi ce « j’ai très envie » qui pose d’énormes problèmes. Analyse.

Tout d’abord, l’adverbe de quantité « très » s’accommode mal des substantifs et des verbes. Certes, on peut dire « j’ai très faim », « j’ai très soif », « j’ai très peur », « j’ai très envie » mais on ne saurait dire : « je vous souhaite très santé », « le monde a besoin de très justice », « cette maison est encombrée par très meubles », encore moins « je très travaille ». L’adverbe « très » ne se lie naturellement qu’aux adjectifs : « il est très grand », « j’ai une très grande envie de », « voilà une phrase très juste », « je vous souhaite une très bonne santé », « cette maison est très encombrée (de meubles) », « il a travaillé très tard », etc. Des expression comme « j’ai très envie » restent de toute manière plus familières, moins élégantes que « j’ai vraiment envie » ou « j’ai une très grande envie de ».

 

Et puis, il y a le mot « envie » lui-même.

 

Le lexique d’Emmanuel Macron ne convient pas du tout. Un magistrat, un politique n’a jamais d’envies, il n’a que des devoirs et des mesures à prendre. Le terme « envie », utilisé par Macron dans le contexte de sa magistrature, n’a aucun sens. Il est, comme disent les enseignants, totalement impropre (je ne parle pas bien entendu du fond de l’affaire, mais de son mode de communication).

 

Ainsi : l’homme d’État répressif peut dire ou écrire : « Au nom de l’intérêt commun, j’ai décidé de réduire les droits des non-vaccinés jusqu’à ce qu’ils cèdent » ou « Je suis, hélas, contraint de prendre des mesures drastiques pour vacciner les derniers non-vaccinés » ou encore, plus imprécatoire, à la Cicéron : « Jusqu’à quand, non-vacciné, abuseras-tu de notre patience ? » ou même, avec une certaine grossièreté, mais toujours exact dans la sémantique, à la Vladimir Poutine : « Je vais aller buter les non-vaccinés jusqu’au fond des chiottes ! » Mais pas « j’ai très envie de ».

 

Le terme « envie » désigne un affect aux frontières du caprice, du désir et de la velléité. « J’ai envie » sous-entend que l’envie ne sera pas forcément satisfaite, et qu’on ne fera pas forcément tout ce qu’il faut pour la satisfaire.

 

Lorsqu’on dit à quelqu’un « j’ai envie de te foutre mon poing dans la gueule », c’est déjà le signe qu’on n’est plus tout à fait en position de le faire, que quelque chose nous en empêche, comme une interdiction juridique ou une faiblesse physique. Comme dans un couple : « j’ai envie de toi » ne signifie pas forcément qu’il va se passer quelque chose… Souvent, le « j’ai pas (très) envie » de l’un, de l’une répond au « j’ai (très) envie » de l’autre. On commence par l’envie, on finit par « ce soir, j’ai la migraine ».

 

Bref : la seule envie, l’envie seule est déjà un révélateur d’impuissance. Les vrais décideurs n’ont pas d’envies. Ils décident, ils s’imposent, et c’est tout. On n’a pas « envie » de diriger un peuple, on le dirige (je le répète, je ne parle que de la forme ; je laisse de côté le débat sur la vaccination pour tous, étant moi-même plutôt hostile au passe vaccinal et plutôt méfiant sur la qualité des vaccins). Si Macron veut frapper, qu’il frappe. Avoir « envie » de frapper indique déjà un caractère velléitaire, une hésitation, une incertitude.

 

En conclusion, Macron cesse définitivement d’incarner la fonction présidentielle, en admettant qu’il l’eût jamais incarnée. Son langage est typiquement celui d’un collégien des beaux quartiers qui veut jouer les gros bras en disant des gros mots. Un adolescent qui veut jouer les durs, qui a « très envie » d’être un vrai bonhomme. Mais avoir envie d’être un bonhomme, précisément, ce n’est pas être un bonhomme. De la même manière, un champion olympique n’a pas « envie » d’être un champion olympique. Il l’est. Point.

 

Moi, Florian Mazé, j’ai très envie d’une autre politique. Mais c’est comme mes envies de nourritures gastronomiques, peu compatibles avec ma santé fragile… Ce ne sont que des envies, de vagues désirs.

 

Car, parti comme c’est parti, Macron, lui, en a bien pour cinquante ans de pouvoir devant lui. Sa démagogie, pusillanime et grossière à la fois, déplaît aux gens qui ont encore une certaine culture classique. Mais ces gens, qui ont encore une certaine culture classique, sont aussi minoritaires en France que les non-vaccinés. Macron a bien compris la phrase de Georges Frèche : on ne fait de la politique que pour les cons. On dit que la phrase de Macron fait polémique. En réalité, non, pas tellement. Ce genre de phrase, à notre époque, cela plaît davantage que la citation latine ou l’imparfait du subjonctif.

 

De petites phrases, bien agressives et bien molles à la fois, « envie » d’un côté, « emmerder » de l’autre… Le tout dans un phrasé de collégien immature. Une nouvelle forme du « en même temps ». Tout ce qui convient aux masses.

 


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