J.L. Borges, Fictions

par Robin Guilloux
jeudi 4 août 2016

Jorge Luis Borges, Fictions (Ficciones), traduit de l'espagnol par P. Verdevoye, Ibarra et Roger Caillois, éditions Gallimard, collection Folio, 1983

Né en 1899 à Buenos Aires, Jorge Luis Borges est mort à Genève le 14 juin 1986. Après des études secondaires en Suisse où la Grande Guerre le surprend avec sa famille, il s'installe en Espagne où il adhère au mouvement ultraïste. Dès son retour en Argentine, il fonde une revue et, en 1923, publie son premier recueil de poèmes.

En 1938, après la mort de son père, il accepte un emploi dans une bibliothèque de Buenos Aires. Huit ans plus tard, il perd son poste. La chute du gouvernement péroniste en 1955 lui permet d'être nommé directeur de la Bibliothèque nationale et professeur à la faculté de Lettres. Il est élu membre de l'académie argentine des Lettres, voyage fréquemment aux Etats-Unis, en Europe, au Japon où il donne de nombreuses conférences et dirige des séminaires d'études.

Conteur, essayiste, il est reconnu comme l'un des maîtres de la littérature du XXème siècle. Toute son oeuvre est maintenant traduite en langue française et ses recueils de nouvelles - Fictions, l'Aleph, Le Livre de sable - ainsi que ses livres de poèmes et ses essais - Discussions, Enquêtes - s'inscrivent déjà comme des classiques dans la littérature contemporaine.

Fictions (en espagnol : Ficciones) est un recueil de nouvelles de Jorge Luis Borges publié en 1944, pour lequel il reçoit le Prix international des éditeurs en 1961. L'ouvrage est divisé en parties : "Le jardin aux sentiers qui bifurquent" et "Artifices".

"Considéré, avec Aleph, comme son livre le plus important, Fictions, auquel Borges rajoute trois textes lors de sa réédition en 1956, n’a cessé d’exercer une fascination chez les écrivains, les critiques et les philosophes, aussi bien en Europe (chez Foucault, Deleuze, Genette, Manguel, Réda…), qu’en Amérique latine où, en suggérant les « possibilités littéraires de la métaphysique », il a libéré la narration d’une attache stricte au réalisme social. Il a par ailleurs renouvelé le rapport qu’entretenait la littérature avec sa propre histoire, avec la vérité. Interrogé sur l’originalité foncière de cet ouvrage et sur son influence, Borges préférait souligner, avec une humilité malicieuse, qu’il n’avait que falsifié des textes existants, comme si presque tout ce qu’il a écrit se trouvait déjà chez Kafka, chez Poe, chez Chesterton et quelques autres." (source : Gallimard)

Table des matières :

Le jardin aux sentiers qui bifurquent :

Prologue - Tlön Uqbar Tertius - L'approche d'Almotasim - Pierre Ménard, auteur du Quichotte - Les ruines circulaires - La loterie à Babylone - La bibliothèque de Babel - Examen de l'oeuvre d'Herbert Quain - Le jardin aux sentiers qui bifurquent

Artifices :

Prologue - Funès ou la mémoire - La forme de l'épée - Thème du traître et du héros - La mort et la boussole - Le miracle secret - Trois versions de Judas - La fin - La secte du Phénix - Le Sud

Ces nouvelles toutes plus jubilatoires les unes que les autres initient aux paradoxes vertigineux de l'univers borgésien et aux principaux thèmes qui le hantent : l'érudition abyssale, la quête spirituelle, les romans et les écrivains imaginaires, la ténuité de la frontière entre fiction et réalité, le hasard et la nécessité, le fini et l'infini, la multiplicité des interprétations, l'impossibilité de conclure, le traître et le héros, le destin, les miroirs, les jardins et les labyrinthes...

Tlön Uqbar Tertius  : la destinée d'un livre imaginaire sur une civilisation tout aussi imaginaire, mais qui finit par changer, puis par supplanter la réalité.

L'approche d'Almotassim : "Quelque part sur la terre il y a un homme d'où procède cette clarté ; quelque part sur la terre, il y a un homme qui est pareil à cette clarté." La longue et douloureuse quête d'un maître spirituel, à travers les reflets de son rayonnement, y compris chez les êtres les plus indignes.

Pierre Ménard, auteur du Quichotte  : un obscur écrivain contemporain réécrit au mot près le Don Quichotte de Cervantès (ce sont les mêmes mots, mais ce n'est pas le même texte !) et finit par passer pour le véritable auteur du livre.

Les ruines circulaires  : Un magicien crée un disciple parfait, un être de feu semblable à un homme, avant de se rendre compte qu'il est lui-même le rêve d'un autre.

La loterie à Babylone  : Evocation d'une civilisation fondée sur une organisation de plus en plus injuste et cruelle du hasard, par une entité toute-puissante, "La Compagnie", avec l'assentiment et la collaboration zélée de la population.

La bibliothèque de Babel  : "La Bibliothèque est une sphère dont le centre véritable est un hexagone quelconque, et dont la circonférence est inaccessible." (p.72)

"Chacun des murs de chaque hexagone porte cinq étagères : chaque étagère comprend trente-deux livres, tous de même format ; chaque livre a quatre cent dix pages, quarante lignes, et chaque ligne, environ quatre-vingts caractères noirs. Il y a aussi des lettres sur le dos de chaque livre ; ces lettres n'indiquent ni ne préfigurent ce que diront les pages..." (p.73)

La Bibliothèque existe "ab aeterno" (de toute éternité). "La Bibliothèque est totale et ses étagères consignent toutes les combinaisons possibles des vingt et quelques symboles orthographiques (nombre, quoique très vaste, non infini), c'est-à-dire tout ce qui est possible d'exprimer, dans toutes les langues. Tout : l'histoire minutieuse de l'avenir, les autobiographies des archanges, le catalogue fidèle de la Bibliothèque, des milliers et des milliers de catalogues mensongers, la démonstration de la fausseté du catalogue véritable, l'évangile gnostique de Basilide, le commentaire de cet évangile, le récit véridique de ta mort, la traduction de chaque livre dans toutes les langues, les interprétations de chaque livre dans tous les livres." (p.76)

Examen de l'oeuvre d'Herbert Quain : Examen des procédés d'écriture d'un auteur imaginaire auquel le narrateur attribue "Les ruines circulaires", la quatrième nouvelle du recueil de Borges.

Le jardin aux sentiers qui bifurquent : première des quatre nouvelles du recueil sur l'un des thèmes de prédilection de Borges : celui du traître et du héros. Dans le "jardin aux sentiers qui bifurquent", un espion tue son bienfaiteur pour s'attirer la considération de ses supérieurs, tout en sachant qu'il ne pourra pas échapper au châtiment..

Funes ou la mémoire : A la suite d'un accident, un homme développe des capacités psychiques de mémoire et de perception hors du commun.

La forme de l'épée : deuxième apparition du thème du traître. Un homme affreusement balafré raconte à un visiteur (Borges lui-même) les circonstances de sa blessure.

Thème du traître et du héros : troisième variation sur le même thème. Enquête sur la mort d'un leader indépendantiste irlandais ou comment et pourquoi on peut transformer un traître en héros.

La mort et la boussole : cette nouvelle est à cheval entre deux genres : le roman policier et le fantastique métaphysique. Un rabbin spécialiste de l'ésotérisme hébraïque est retrouvé poignardé dans un hôtel. Peu après, un autre homme est retrouvé, également poignardé, dans un autre quartier de la ville, un message écrit à la craie auprès de lui : "La deuxième lettre du Nom a été articulée." (il s'agit du nom de Yahvé qui comporte quatre lettres en hébreu). Un troisième meurtre est commis avec un message quasiment identique : "La troisième lettre du Nom a été articulée."

Deux hypothèses s'offrent aux enquêteurs : la première fondée sur les activités ésotériques du rabbin, la seconde sur un motif plus terre-à-terre (le rabbin possédait des saphirs). L'enquêteur Lonrött, qui a réussi à déduire où se produirait le quatrième et dernier crime, se rend sur les lieux, l'étrange villa de Triste-Le-Roi, avec ses statues de déesses gréco-romaines et son jardin abandonné, pour découvir la vérité et affronter son propre destin.

Le miracle secret : un écrivain tchèque d'origine juive condamné à mort par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale, obtient de Dieu qu'il suspende le temps au moment de son exécution afin de lui permettre d'écrire le livre de sa vie.

Trois versions de Judas : encore le thème du traître, avec la figure du traître par excellence, Judas Iscariote, qui livra Jésus aux Romains. Un théologien audacieux examine l'interprétation traditionnelle de la trahison de Judas, en démontre les insuffisances et en propose trois autres qui réhabilitent Judas.

La fin : réécriture d'une célèbre épopée populaire argentine sur le thème de la vengeance.

La secte du phénix : évocation d'une secte immortelle (comme le phénix qui est censé renaître de ses cendres) fondée sur un "Secret" et des rituels en apparence dérisoires utilisant des matériaux sans valeur (du limon, du liège, de la cire, de la gomme arabique) et dont les enseignements sont transmis par les membres les plus humbles de la communauté : les enfants, les esclaves, les mendiants et les lépreux.

Le Sud : un homme victime d'un accident à la tête (comme le fut Borges lui-même) se retrouve entre la vie et la mort. Il est opéré dans une clinique de Buenos Aires où il passe de longs jours de convalescence. Remis sur pied, il se rend en train vers "le Sud" pour retrouver son estancia. Pour une raison inconnue, le train s'arrête avant la gare habituelle ; l'homme descend et "pour ajouter un fait nouveau à la journée et pour passer le temps", il décide de dîner dans une "boutique" où un inconnu le provoque en duel. Un vieux gaucho lui jette un couteau. Il le ramasse et sort dans la plaine avec l'homme qui l'a provoqué, à la rencontre de son destin.

 


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