Jacob et Hamon sur DSK : l’art de l’insinuation

par Paul Villach
mardi 15 février 2011

La flèche décochée contre M. Strauss-Kahn par le président du groupe des députés UMP, M. Christian Jacob, le 13 février sur Radio J, une radio présentée par Wikipédia comme une radio locale communautaire juive, fait grand bruit. « DSK, a-t-il déclaré,  n’est pas l’image de la France, l’image de la France rurale, l’image de la France des terroirs et des territoires, celle qu’on aime bien !  »

Deux lectures des propos de M. Jacob
 
L’animateur du « 7/9 »de France Inter, Patrick Cohen, a jugé bon d’interpeller à ce sujet M. Copé, secrétaire général de l’UMP qu’il recevait le lendemain, 14 février. Le porte parole du Parti Socialiste a lui aussi vivement réagi dans la matinée lors de son point de presse hebdomadaire (2).
 
Pourquoi, diable, tant d’émotion ? À en croire M. Copé, cette déclaration n’a pourtant rien d’extraordinaire : M. Jacob « (n’a fait) qu’observer ce qu’on pense tous et ce qu’on dit tous  », à savoir que « Dominique Strauss-Kahn, ça fait très longtemps qu’il ne travaille plus en France puisqu’il exerce d’éminentes fonctions au FMI ». « À ce titre, a conclu M. Copé, je ne suis pas certain qu’il ait totalement en tête ce qui se passe dans notre pays. »
 
Pour le porte-parole du Parti Socialiste, M. Hamon, au contraire, la déclaration est jugée « i-nac-cep-table » ! Car elle recèle des « arrières-pensées et (des) relents très moisis  » et demande donc que « la Droite s’arrête immédiatement  » et ne s’aventure plus sur ce terrain.
 
Qu’a donc détecté M. Hamon qu’il se garde bien de nommer ?
 
Le leurre de l’insinuation
 
On est en présence, en effet, du leurre de l’insinuation, tant par allusion avec indice que par sous-entendu avec contexte implicite, qui ouvre sur une ambiguïté volontaire. L’avantage de ce leurre est de permettre à celui qui en use, de très bien faire comprendre à son interlocuteur le sens caché de ses propos, tout en se réservant la possibilité de nier l’interprétation qu’il en fait, et même de l’accuser de malveillance ou de délire par projection de ses fantasmes.
 
1- La lecture apparente de M. Copé
 
Ainsi M. Copé peut-il ne voir dans la description de M. Strauss-Kahn par M. Jacob qu’une évidence : résidant à Washington depuis plus de trois ans comme directeur du FMI, M. Strauss-Kahn ne travaille plus en France ; il ne peut donc se prévaloir de représenter la France rurale des terroirs et des territoires ; la conséquence qui coule de source, n’est-elle pas qu’il est forcément loin de la vie française et de ses problèmes ?
 
2- Le décryptage du leurre par M. Hamon et sa traduction par le même leurre
 
M. Hamon juge au contraire cette description pleine d’ « arrière-pensées  » aux « relents très moisis ». Mais pour se prémunir contre l’accusation de délire ou de malveillance qui le guette, il se garde de nommer clairement ce qu’il dénonce. Lui aussi use , en réplique, du leurre de l’insinuation par allusion avec indice et sous-entendu selon un contexte implicite, mais en remplaçant l’ambiguité volontaire par une image pour guider ses auditeurs.
 
- Est « moisi » l’objet qu’on a abandonné depuis longtemps et sur lequel a proliféré des champignons qui dégagent une odeur désagréable. Les "arrières-pensées" qu’impute M. Hamon à M. Jacob, sont donc, selon cette image, celles du passé qui avaient été abandonnées.
 
- Deux indices allusifs fixent ensuite le cadre du contexte de ces « arrières pensées » supposées :
 
* l’une est la célébration emphatique par anaphore de « l’image de la France, l’image de la France rurale, l’image de la France des terroirs et des territoires, celle qu’on aime bien ! ».
 
* Or, longtemps, la communauté juive a été écartée de la propriété foncière. C’est une des raisons pour laquelle l’attachement à la terre a été magnifiée par l’idéologie d’extrême droite et la finance cosmopolite et apatride vilipendée. Et nul n’ignore que M. Strauss-Kahn est à la fois de culture juive et à la tête du FMI !
 
Ces indices et ce contexte réunis, M. Hamon est donc fondé, sans expliciter davantage son accusation, à percevoir dans l’opposition explicite entre l’image de la France rurale des terroirs et la contre-image de M. Strauss-Kahn financier international une insinuation d’antisémitisme qu’il préfère nommer par image des « relents très moisis  ».
 
Ni M. Jacob ni M. Copé ne sont des bleus en politique. Ils savent qu’un antisémitisme latent a cours dans une part de l’électorat qu’ils veulent conquérir par ce leurre. Ils suivent l'exemple de Georges Frèche dans "la pêche aux voix des cons" (1). On se souvient qu'il avait, lui aussi, lors de sa campagne des régionales de 2010, lancé le même signal à un électorat semblable : il trouvait que M. Fabius « (n’avait) pas une tronche très catholique  ». DSK, lui, c’est la « tronche » de la France qu’il n’a pas, « (il) n’est pas l’image de la France rurale  » ! Qu'il soit vu par Frèche ou par Jacob, l'électeur reste un pantin dont il faut stimuler les réflexes et non la réflexion ! Paul Villach
 
 
(1) Paul Villach, « La tronche pas très catholique » de L. Fabius et le bréviaire de la pêche aux voix « des cons » par G. Frêche  », AgoraVox, 1er février 2010.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-tronche-pas-tres-catholique-de-69187
 
(2) Extraits du journal de 13 heures de France Inter, le 14 février 2011
« - Le journaliste.- Une petite phrase d’Anne Sinclair à propos de son vœu de ne pas voir son époux Dominique Strauss-Kahn briguer un nouveau mandat à la direction du FMI : « Et voilà que la classe politique française s’emballe !  »
Selon le patron des députés UMP Christian Jacob, « DSK n’est pas l’image de la France, l’image de la France rurale, l’image de la France des terroirs et des territoires, celle qu’on aime bien !  »
 
Cette petite phrase met les strauss-kahniens en émoi et ce matin sur France Inter, Patrick Cohen a interpellé à ce sujet le président de l’UMP, Jean-François Copé :
 
- Patrick Cohen .- Christian Jacob en parlant d’un homme qui ne correspond pas à l’image de la France qu’il aime, a fait une déclaration qui vous semble mesurée, restée dans le cadre normal du débat politique ?
 
- Jean-François Copé .- Évidemment ! Vous avez donné qu’un seul bout de la phrase : il a dit qu’il était bobo, que lui aimait la France rurale, la France des terroirs, que Dominique Strauss-Kahn ne rentrait pas dans ce cadre-là.
 
- Patrick Cohen .- Certains strauss-kahniens, Jean-Christophe Cambadélis et d’autres ont trouvé qu’il y avait un propos qui leur semblait inacceptable, qu’il fallait désavouer, je vous pose la question.
 
- Jean-François Copé.- J’invite M. Cambadélis à retrouver dans ses archives les tombereaux d’injures qu’il a proféré ainsi que ses amis à l’endroit de Nicolas Sarkozy. Je ne vois pas en quoi est-ce qu’ on est dans ce cadre-là par rapport à ce que dit Christian Jacob qui faisait simplement observer et qu’on pense tous et ce qu’ on dit tous : c’est que Dominique Strauss-Kahn, ça fait très longtemps qu’il ne travaille plus en France puisqu’il exerce d’éminentes fonctions au FMI, qu’ à ce titre, je ne suis pas certain qu’il ait totalement en tête ce qui se passe dans notre pays. »
 
- Le journaliste .- Après Jean-François Copé, la réaction du porte-parole du PS, Benoît Hamon, ce matin au cours de son point de presse hebdomadaire.
 
- Benoît Hamon.- Je veux revenir sur la déclaration de Christian Jacob, sur les arrières-pensées et les relents très moisis de cette déclaration selon laquelle Dominique Strauss-Kahn ne ressemblerait pas à la France des territoires et des terroirs qu’aime bien Christian Jacob. Moi, je dis là-dessus : stop tout de suite ! Que la droite, si elle a reçu des instructions pour parler en ce sens, s’arrête immédiatement. Nous avons très bien compris les relents moisis qu’il y a derrière cette déclaration. Que ça s’arrête immédiatement ! C’est i-nac-cep-table ! »

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