Je hais le football !

par Fergus
lundi 16 mars 2009

Je ne doute pas un instant que les matches de la Ligue des Champions offrent pour la plupart d’entre eux un spectacle de qualité. Il fut un temps où je me serais moi-même régalé en y assistant, au stade ou devant mon écran de télévision. Il faut dire que je suis tombé dans le football tout gamin. Et plus précisément le 13 juin 1956. J’avais neuf ans, et mon père m’avait emmené au Parc des Princes où se jouait la première finale de la Coupe d’Europe. D’un côté le Stade de Reims et le légendaire Kopa, de l’autre le fabuleux Real de Madrid emmené par le non moins légendaire Di Stefano. Sur la pelouse, 22 héros dont nous échangions, mes copains et moi, les effigies cartonnées dans les cours d’école. Malgré la défaite des Rémois, j’en étais reparti ébloui. Le charme s’est définitivement rompu en 1998…

Pour des raisons familiales, il m’a toutefois fallu attendre d’avoir 14 ans pour enfin chausser les crampons et entamer ma première année de compétition. Je portais alors le maillot noir et violet d’un modeste club d’arrondissement parisien. J’ai ensuite joué durant 32 ans dans divers clubs et encadré pendant plus d’une décennie des jeunes footballeurs du PUC (Paris Université Club).


Tout cela pour dire que le football, je connais bien. J’ai même accompagné de l’intérieur les premières années du Paris SG lorsqu’il était managé par un homme chaleureux et sincère, le vice-président délégué Guy Crescent, par ailleurs pédégé de l’entreprise de transports Calberson.  


Le football a commencé à me poser des problèmes avec l’arrivée en force du fric dans un milieu professionnel qui, jusque là, privilégiait encore les valeurs sportives et l’exemplarité éducative. La logique commerciale et la culture du résultat à tout prix ont définitivement pris le relais vers la fin des années 70, avec pour corollaire le développement généralisé du mercenariat et l’arrivée des affairistes à la tête des clubs.


Des dizaines de morts, mais le spectacle continue !


Par la suite, tout s’est accéléré. Il y a d’abord eu, le 29 mai 1985, l’effroyable drame du Heysel et l’attitude indigne de Michel Platini et de ses coéquipiers de la Juventus, euphoriques de leur victoire en finale de la Coupe d’Europe sur les Anglais de Liverpool alors que l’on venait de relever 39 morts et des centaines de blessés dans les tribunes ! Ce jour-là, un terrible pas a été franchi par des sportifs, ou prétendus tels, pour de futiles honneurs et un paquet de fric alors que l’on agonisait à quelques dizaines de mètres de la pelouse.


Puis est venu le triomphe de l’Olympique de Marseille, vainqueur du Milan AC en finale de la Coupe d’Europe le 26 mai 1993. Une victoire sur le terrain – grâce à un but d’anthologie de Basile Boli –, mais une victoire totalement usurpée car acquise grâce à un surendettement coupable qui a permis au sulfureux président de l’OM, un certain Bernard Tapie, d’aligner, au mépris de l’éthique sportive et des élémentaires règles de gestion, une formation que le club phocéen n’avait absolument pas les moyens de s’offrir. Un système de fuite en avant financier qui, hélas, est devenu depuis cette époque la règle des grandes nations du football européen et notamment d’un football britannique qui truste les victoires indues !


 

Et voila que, quelques jours plus tard, éclate la pitoyable affaire du match acheté le 20 mai 1993 par l’OM face à l’US Valenciennes-Anzin, la fameuse affaire OM-VA qui se terminera : sur le plan judiciaire par un retentissant procès où sera démontrée l’absence de toute considération morale du donneur d’ordre Bernard Tapie ; sur le plan sportif par la relégation de l’OM en 2e division. Cette affaire a fait deux victimes : le football, sorti plus affaibli que jamais de cette épreuve, et Jacques Glassmann, le capitaine valenciennois, banni du milieu pour avoir osé dire la vérité, donnant une nouvelle fois raison au poète Guy Béart : «  Il a dit la vérité, il doit être exécuté ! »


Inutile de s’étendre – l’article n’y suffirait pas – sur les multiples incidents, parfois gravissimes, causés ici et là par les hordes de hooligans. Comme lors de ce match France-Angleterre où des skinheads avaient, sous les yeux terrifiés des jeunes footballeurs que j’avais emmenés au Parc des Princes, fracassé une bouteille sur le crâne d’un paisible supporter anglais…


1998 : la France perd le sens de ses valeurs


Enfin est venue la Coupe du Monde 1998. Cette année-là, j’ai participé au printemps à une manifestation organisée à Paris entre République et Bastille contre la précarité et l’exclusion à l’appel d’une vingtaine d’associations. Nous étions moins de 8000 dans le cortège ! Comment s’en étonner alors que, depuis des mois déjà, on ne parlait que de football dans les médias, à longueur de journée et quel que soit le thème des émissions ? Quelques semaines plus tard, la victoire acquise, 1 000 000 de personnes euphoriques s’agglutinaient sur les Champs-Elysées autour de l’équipe de France pour un simple trophée sportif. Parmi elles, des dizaines de milliers de chômeurs et d’exclus, dramatiquement absents du défilé printanier qui avait été organisé pour leur venir en aide. Comble de la sinistre pantalonnade qu’a été cette année 1998 : durant l’automne, 300 000 chasseurs sont venus battre le pavé dans les rues de la capitale pour sauvegarder leurs acquis. Parmi eux, là aussi des milliers de chômeurs et d’exclus, beaucoup plus concernés et motivés par leur droit de tuer que par celui de vivre décemment de leur travail !


Jamais je n’ai éprouvé un tel écœurement pour mon pays et pour une majorité de ses habitants, capables de se mobiliser des mois durant pour un évènement futile mais incapables de consacrer ne serait-ce qu’une heure de leur temps à des causes sociales essentielles : le droit au travail et à la dignité ! Imaginons un instant ce qu’aurait pu être l’action sociale en France cette année-là si l’on avait dédié entre le printemps et l’automne 1998 ne serait-ce qu’un quart du temps, de l’énergie et de l’argent dépensés en marge d’une unique compétition sportive…


Les centres de formation : des machines à broyer


Je pourrais encore développer ici d’autres arguments concernant par exemple le dopage, les double billetteries, les paris truqués, et surtout les centres de formation des clubs professionnels dont j’ai pu, par le biais de joueurs dont je me suis personnellement occupé, découvrir à quel point ils cassent les jeunes (y compris naguère l’admirable AJ Auxerre de Guy Roux) avec la complicité des cadres techniques des districts départementaux et des ligues régionales ainsi que de nombreux clubs amateurs, intéressés financièrement à y envoyer leurs meilleurs talents pour toucher la prime dite de pré-formation... Mais c’est un dossier complet qu’il faudrait instruire, particulièrement concernant le sujet brûlant des centres de formation qui, pour un joueur formé (comprendre apte à rapporter du fric au club) en rejette entre cinq et dix autres sur le pavé avec pour seuls bagages d’énormes désillusions, un puissant sentiment de ratage, le poids des multiples vexations subies et un minable certificat de formation en gestion ou en secrétariat sans la moindre valeur sur le marché du travail. Mais plutôt que de parler de cet énorme gâchis humain, les grands médias préfèrent se concentrer sur les gagnants de ce système impitoyable, de cette machine à broyer : ceux qui, dans leur habit de lumière sponsorisé, font se pâmer par leurs brillantes roulettes ou leurs dribbles virevoltants des millions d’anesthésiés du bulbe, incapables de mettre les choses en perspective et de redonner au football la place qui lui revient, celle d’un simple loisir à l’importance dérisoire eu égard aux énormes problèmes humains, économiques et environnementaux qui secouent la planète.


Dorénavant, je ne regarde plus le football à la télévision que par intermittence, quelques minutes par ci, quelques autres par là, et avec, au fond de moi, un sentiment de profond mépris pour ce qu’est devenu ce sport dans sa version professionnelle. Mais contrairement à ce que j’ai affirmé dans un titre volontairement provocateur, je n’en continue pas moins à aimer profondément ce sport dans ce qu’il a de sain. C’est pourquoi il m’arrive, de temps à autre, de m’intéresser à une rencontre amateur ou à un match de jeunes lorsque mes pas m’ont poussé derrière la main-courante d’un stade...


Lire l'article complet, et les commentaires