Je suis homosexuel. Je veux des enfants. Et je suis contre la loi sur le mariage pour tous

par A. C.
samedi 24 novembre 2012

     Je ne suis pas militant politique. Je ne suis dans aucune association de défense des droits de qui que ce soit. Je n'ai jamais suivi le cortège d'aucune manifestation. Je ne prends pas activement part au débat public. Pourtant, cette fois, j'ai envie de prendre la parole. 

 Oui, la loi sur le mariage homosexuel va être votée d'ici quelques mois. Oui, ça fait des semaines qu'on ne parle que de ça. Oui, la France a sûrement des préoccupations plus importantes. Et pourtant. Pourtant face au niveau du débat, d'un côté comme de l'autre, j'ai envie de prendre la parole. Et ayant aussi peu de légitimité que les tribuns que l'on entend dans chaque camp, ce débat étant un débat citoyen avant tout, laissez moi crier un peu aussi avec les loups. 

 

 Il importe de le rappeler, le mariage, dans le droit français en tout cas, est une institution, désormais purement laïque, intrinsèquement articulée autour de la question de la filiation et des enfants.

Carbonnier, juriste de renom s'il en est, affirmait que "la clef de voûte du mariage ce n'est pas le couple, c'est la présomption de paternité." Cette présomption, qui pose que l'enfant né pendant le mariage a pour père le mari, quelle que soit la nature du lien qui unit la mère de cet enfant avec son facteur ou son collègue de travail. Le mariage, c'est l'enfant, à l'origine, et c'est l'argumentation de base des opposants à cette réforme.

 

 Mais voilà, et beaucoup le font heureusement remarquer, les mariés de 2012 ne sont plus ceux de 1804. 6 enfants sur 10 naissent hors mariage. Les statistiques des couples qui divorcent explosent. Les gens se marient de moins en moins et préfèrent d'ailleurs le PACS. Le mariage n'est plus, dans les faits, le cadre de la cellule familiale de base. Il est en train de devenir la reconnaissance ultime du couple, l'officialisation suprême de l'amour unissant deux êtres. L'amour unissant un homme et une femme. Mais aussi l'amour unissant deux hommes. Ou l'amour unissant deux femmes. Et pourquoi pas, lorsque la société en éprouvera le besoin, l'amour unissant un homme et deux femmes, ou une femme et deux hommes, comme c'est le cas au Brésil.

 Puisque aujourd’hui le mariage est là pour permettre à ceux qui s'aiment de s'aimer dans un cadre protecteur solide, s'il n'est en réalité plus qu'une sorte de PACS amélioré, de quel droit pouvons nous leur interdire de bénéficier de la défense de leurs droits lors d'une procédure de divorce, du devoir de contribution commune à la vie du ménage, de l'obligation de fidélité, des sanctions particulières entourant les violences faites aux conjoints ?

 Pour toutes ces raisons là, et sans doute bien d'autres, il semble tout à fait légitime d'étendre enfin ces dispositions protectrices à ceux qui s'aiment. C'est un des devoirs de la République que d'assurer l'égal accès aux droits pour tous.

 

 Mais tout n'est malheureusement pas si simple.

 Parce que si dans les faits les mariés de 2012 ne sont plus du tout deux de 1804, le mariage de 2012 reste - en dehors de la question du divorce, et abstraction faite de l'évolution du droit de l'épouse au sein de ce mariage - très proche du mariage de 1804. Très proche du mariage de 1804 en ce sens qu'il est toujours articulé sur la notion de filiation. L'article 346 al. 1 du Code civil nous apprend en effet que "Nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux." Oui, c'est un fait, malgré les évolutions qu'a pu connaître la société en plus de deux siècles, l'adoption d'un enfant par plusieurs personnes reste réservée aux couples mariés. Autrement dit, toute personne mariée peut partager la parenté adoptive d'un enfant avec son conjoint.

 Vous voyez sans doute où je veux en venir. Et on ajoutera que l'adoption d'un enfant anéanti le lien de parenté qui l'unissait à ses parents biologiques. Et que Claude* ne peut donc pas rester le papa de Grégoire si Grégoire est adopté par Emmanuel(le). Or jusqu'à preuve du contraire, et croyez le bien, ce n'est pas faute d'essayer, les couples homosexuels ne peuvent avoir d’enfants de façon naturelle. Et si on trouve aujourd'hui des couples homosexuels vivant avec un enfant, juridiquement, un seul des membres de ce couple est la mère ou le père de cet enfant. Cette différence - discrimination peut-être mais là n'est pas la question - entre couples mariés et non mariés est le fer de lance des partisans de l'adoption homosexuelle.

 Ainsi, la seule façon pour deux personnes de même sexe de devenir juridiquement les parents d'un enfant, c'est de se marier. Et la conséquence directe du mariage, en dehors de toutes les adaptations purement sémantiques qui devront être faites, sera d'ouvrir l'adoption aux couples homosexuels.

 

 On a ainsi tort de dissocier les questions. De se prononcer en faveur de l'une, et contre l'autre. Ou de ne pas se prononcer du tout sur l'autre d'ailleurs. Les deux questions sont liées. Peut-être pas dans le droit hollandais, belge, portugais, ou espagnols. Le problème n'a peut-être pas eu à se poser de la même façon. Mais en France si. Défendre mordicus le mariage homosexuel, c'est aussi défendre mordicus l'adoption homosexuelle.

 

 Le mariage, dans les faits, a évolué, beaucoup évolué, perdu de son sens premier, et on peut légitimement estimer que la législation doit s'adapter à ces évolutions. Je le disais plus haut : institution laïque, purement légale, elle est là pour servir la société, pas pour imposer des normes auxquelles la société ne souhaite plus se conformer : c'est la démocratie. On peut aussi, par conséquent, considérer et affirmer que les couples homosexuels doivent avoir le droit de se marier. Le droit de se marier, et d'être parents ?

 

 La construction de l'enfant, elle, ne varie pas. Depuis des millions d'années, la naissance d'un enfant résulte d'un rapport hétérosexuel. Peut-être sans raison autre que la nécessité chimique, technique, qu'un ovule soit fécondé par un spermatozoïde, sans aucune considération pour celle qui produit ces ovules, et celui qui produit ces spermatozoïdes. Les escargots sont bien hermaphrodites, la question de l'altérité homme-femme est une question qui leur est relativement contingente. Seulement les escargots n'élèvent pas leurs petits. Et jusqu'à preuve du contraire, nous, si.

 

 De quoi l'enfant a besoin ? On le sait : de présence, d'amour, d'affection, de protection. Et ça, un couple homosexuel le lui donnera, naturellement. Et Grégoire, 4 ans, sera sûrement plus heureux entre Frédéric, enseignant et Michel, commercial, ou avec Frédérique, avocate et Michelle, comédienne, qu'avec Frédérique, au chômage depuis 3 ans, et Michel, alcoolique et violent. Est-ce tout ? Peut-être. Ce serait heureux. Ce serait plus simple. En est-on sûr ? Non. Rien ne permet d'affirmer avec certitude que les enfants ont besoin de ce qu'apporterait la différence de sexe entre ses parents. Rien ne permet non plus d'affirmer avec certitude que les enfants n'ont absolument pas besoin de ce qu'apporterait cette différence de sexe entre ses parents. On fait dans l'empirique. Dans le "pourtant moi je connais un enfant qui". Dans le "J'ai des ami(e)s qui sont en couple depuis longtemps et qui". On fait dans l'affect. On prend des situations de fait - car il y a, dans les faits, des familles monoparentales - pour en tirer des conclusions que l'on veut définitives.

 L'enfant mérite-t-il cela ? Cette absence de débat ? Cette absence de questions de fond ? Cette absence de concertation sur le sujet ?

 

 Qu'on ne me taxe pas de qualificatifs méprisants. Je suis homosexuel. Je n'ai aucun problème avec ma sexualité, qui ne regarde d'ailleurs que moi. Je sais que s'il m'est donné d'avoir un enfant dont je serai le père, cet enfant ne manquera jamais de mon amour, de ma présence, de mon écoute. Je sais aussi que le garçon avec lequel je ferai ma vie sera le papa le plus présent, le plus aimant, le plus compréhensif du monde. Je sais que notre enfant ne manquera de rien. Je sais que nous formerons une famille unie. Je sais que nous ferons tout ce qui est en notre possible pour qu'il soit heureux. Je sais que nous serons toujours là pour lui. Et je sais que je serai digne de cette paternité que j'aurai à assumer.

 Ce que je ne sais pas, en revanche, c'est s'il ne suffit que d'amour, de présence, d'écoute, de compréhension, à un enfant. Ce que je ne sais pas, c'est si la dualité, l'altérité homme-femme n'est pas une composante essentielle pour le développement d'un enfant comme elle l'est pour sa conception. Ce que je ne sais pas, c'est dans quelle mesure le fait pour cet enfant d'être un enfant adopté n'impose pas qu'il grandisse dans une famille hétérosexuelle, basée sur cette dualité homme-femme, pour compenser le traumatisme de cet abandon (car la demande de couples hétérosexuels en matière d'adoption étant sans commune mesure avec le très faible nombre d'enfants pouvant être adoptés, on ne peut raisonnablement admettre l'argument selon lequel "il vaut mieux avoir deux papas ou deux mamans que rien du tout"). Ce que je ne sais pas, c'est si tout l'amour que je mettrai à l'éducation de cet enfant, tout l'amour que le garçon avec lequel je vivrai et que j'aurai épousé, mettra dans l'éducation de cet enfant, suffira. Ce que je ne sais pas, en effet, c'est s'il y a éventuellement des choses qui me dépasse, dans l'éducation et l'épanouissement d'un enfant.

 

 Si je dois faire dans le pathos, je nous inviterai à mettre de côté nos désirs égoïstes d'être parent. Désir que je comprend. Désir auquel je suis en proie, au moins autant que vous. Désir qui fait que je ne comprends pas que Frédérique ait le droit d'être la maman de Grégoire, qu'elle délaissera et auquel elle ne manifestera aucune affection, tout ça parce qu'elle a couché avec Michel qui battra cet enfant et sa mère en rentrant rond comme une queue de pelle du bistro d'en face. Désir qui fait que j'aurai toujours sans doute le sentiment que je passe à côté de quelque chose parce que je sais que je serai sûrement le papa le plus génial qu'un enfant pourra avoir la chance d'avoir. Et, puisqu'il n'est pas question que d'amour mais que cet amour reste malgré tout au coeur de tout, ayons le courage d'aimer assez cet enfant pour ne pas le priver de ce dont il pourrait avoir besoin, avec deux parents hétérosexuels.

 

 Plus simplement, sans faire dans le pathos, je vous dirai simplement qu'on ne peut pas ainsi prendre le risque. Le risque que l'enfant ait besoin de cette altérité. Demandons à ce qu'il y ait des débats. Qu'il y ait des études. Qu'il y ait des recherches. Sérieuses. Indépendantes. Sans arrière-pensées militantes. Que l'on ne "vérifie" pas si cette altérité sexuelle est nécessaire dans dix vingt ans, en prenant le risque qu'effectivement il ne suffit pas, malheureusement, pour un enfant, d'avoir au dessus de lui des gens attentionnés qui l'aiment. Que l'on fasse en sorte d'avoir à ne pas se rendre compte trop tard que les choses ne sont pas aussi simples, qu'il y a des choses qui dépassent notre seule volonté, notre bonne volonté.

 Et que lorsque des résultats tomberont alors oui, prenons une décision. Ouvrons le droit à l'adoption pour les couples homosexuels. Ou au contraire maintenons la dualité père-mère. Mais après. Quand on saura.

     C'est facile pour nous. Nous sommes construits. Nous ne sommes pas touchés par les effets de cette paternité. Alors ne parions pas sur l'avenir, ne parions pas sur nous quand ce sont eux qui en subiront les conséquences, quelles qu'elles soient. Ne leur faisons pas payer le prix de notre empressement et de nos petits désirs.

 

* Les prénoms ont été changés.


Lire l'article complet, et les commentaires