« Je vais l’exploser »
par MUSAVULI
jeudi 3 mai 2012
On s’attendait à un débat rugueux, on a été servi. Nicolas Sarkozy et François Hollande se sont donc âprement affrontés mercredi 02 mai dans le cadre du débat télévisé réservé aux deux qualifiés du premier tour de l’élection présidentielle. Le Président sortant, sans doute surestimant ses talents oratoires incontestables, avait annoncé qu’il allait « exploser » son adversaire. Il l’avait même défié en lui proposant trois débats en deux semaines. Trop sûr de lui, il a juste oublié qu’un match de haut niveau ne se gagne qu’à deux conditions, réunies : être au meilleur de sa forme et pouvoir exploiter la moindre faille de l’adversaire, ce qui suppose qu’on apprenne à le connaître et surtout qu’on le prenne au sérieux malgré les pronostics. Manifestement, Nicolas Sarkozy n’a travaillé que ses propres performances oubliant de prendre son adversaire au sérieux ; ce qui ne pardonne pas.
Ainsi, dès le premier quart d’heure du débat, l’homme qui avait promis d’exploser son adversaire perdait du terrain et énormément de plumes. On savait que son bilan ne plaidait pas en sa faveur, mais pas au point de le rendre à ce point vulnérable. Tendu, nerveux et agressif, il venait de perdre l’avantage psychologique. Il ne s’en est pas relevé et le reste de la soirée s’est transformé en Chemin de croix. Par moment, on se laissait traverser par l’idée qu’il est honnêtement temps que cette campagne se termine et qu’on passe à autre chose, y compris pour le Président sortant qui devrait définitivement arrêter la politique.
Car après avoir eu à gérer cinq ans de crises, dont aucun responsable de l’exécutif sur le Continent ne s’est relevé, il s’est aventuré dans une campagne perdue d’avance. Au final, il doit se résigner à une défaite dont les conséquences pourraient aller au-delà de la seule perte du fauteuil élyséen. En effet, en choisissant de se droitiser à l’extrême et de récupérer à l’improviste les thématiques d’extrême-droite, non seulement il crée un trouble au sein de l’UMP dont l’implosion n’est plus un sujet tabou mais surtout détruit sa propre image en quittant la vie publique avec des propos que ses héritiers politiques vont devoir difficilement assumer (frontière, racines chrétiennes, nous sommes chez nous, présomption de légitime défense pour les policiers,…).
Pour revenir sur le débat, Nicolas Sarkozy avait pourtant de quoi malmener son adversaire, sans aller jusqu’à l’exploser. On savait que François Hollande est loin d’être un tribun dans le genre Mélenchon ou De Villepin. Le candidat socialiste n’a, en plus, aucune expérience gouvernementale, ce que ses adversaires de droite n’ont pas cessé de lui reprocher. Nicolas Sarkozy n’avait qu’à appuyer là où ça fait mal : décliner son propos avec toute la verve qu’on lui connaît et souligner l’inexpérience de François Hollande.
Seulement voilà ! Le Corrézien a réussi l’exploit de transformer ses faiblesses en force. N’ayant pas la verve oratoire de Sarkozy, il a parfaitement maitrisé l’art de la répartie. De petites phrases lancées ça et là qui ont fini par ruiner tout l’argumentaire que Nicolas Sarkozy essayait de développer. Ce dernier a été d’autant plus déstabilisé que c’est lui qu’on attendait sur ce registre, celui de l’attaque face à un François Hollande dont on prévoyait qu’il resterait sur la défensive. Rien de tout cela : tous les deux sont passés à l’offensive, ce qui a créé l’effet de surprise en faveur de François Hollande et le doute dans l’esprit de Nicolas Sarkozy.
Quant à son manque d’expérience, François Hollande a réussi à retourner la critique contre Nicolas Sarkozy, en réduisant la notion de l’expérience aux dix ans de bilan de son adversaire. A qui cela servirait de brandir l’expérience symbolisée par un bilan aussi sévèrement jugé ? Et de rappeler que depuis dix ans Nicolas Sarkozy parle quasiment tous les jours, promet et peine à réaliser ses promesses. A force de parler et de parler, il a fini par « user » sa parole en disant tout et son contraire. Comment dès lors prendre sa parole au sérieux ?
Plus globalement, les commentateurs avaient naïvement omis de rappeler que François Hollande compte plus de trente ans de vie politique, qu’il a dirigé pendant plus d’une décennie un grand parti du gouvernement et qu’il a la maîtrise de dossiers qu’il faut pour pouvoir tenir un débat. Il est tellement attaché à la connaissance préalable des dossiers, avant toute expression publique, que dans l’affaire Mohamed Merah, par exemple, il avait pris l’étonnante précaution de se mettre au plus près de Nicolas Sarkozy ce qui lui a évité les bourdes comme celle de François Bayrou. Ce dernier, dans la précipitation, avait accusé les responsables de l’UMP d’avoir entretenu « un climat » à l’origine de ce genre de drame. François Hollande a, à nouveau, usé de cette précaution en refusant de débattre de la situation des otages français détenus dans le Sahel. Et, mieux encore, lorsque Nicolas Sarkozy a tenté d’instrumentaliser l’affaire DSK, François Hollande l’a tout simplement renvoyé à une certaine légèreté, lui qui aurait disposé de renseignements sur la vie privé de l’ancien patron du FMI, mais l’a fait quand même nommé à la tête de cette prestigieuse institution.
Au final, un débat qui, quel qu’en soit l’impact sur l’élection du 06 mai, restera dans les annales avec des séquences absolument inoubliables comme cette affaire de « mensonge ». Nicolas Sarkozy accuse François Hollande de « mensonge éhonté ». Ce dernier croit réagir à un propos outrancier et exige du candidat sortant qu’il précise le « mensonge » en question. Le Président, déstabilisé, doit improviser une explication : « vous dites que je suis tout le temps content de moi ».
- Ah, c’est donc ça le mensonge éhonté. Donc vous êtes très mécontent de vous !
Vous avez dit Babar ? Capitaine de pédalo ? Qu’on va l’exploser ? En tout cas, on n’a pas pu le faire ce célèbre mercredi 02 mai 2012. Bien au contraire… Et ses adversaires savent désormais à qui ils ont affaire.
Boniface MUSAVULI