Jean et Johnny pour l’éternité

par Lucchesi Jacques
vendredi 8 décembre 2017

Quand deux personnalités de la vie française décèdent à peu près au même moment, il n’est pas rare que l’une occulte l’autre dans les médias

 Il y a des semaines où l’actualité donne l’impression de se ramener à un envahissant bulletin nécrologique. Où la mort semble s’amuser à rapprocher des personnalités aux parcours pourtant très différents. Tel a été le cas en cette deuxième semaine de décembre, avec les décès, à un jour d‘intervalle, de Jean d’Ormesson et de Johnny Halliday. Mardi 5 au matin, on apprenait le décès du premier à 92 ans. Doyen de l’Académie Française (où il avait été élu en 1973, à seulement quarante huit ans), l’écrivain-journaliste était devenu au fil des années, non seulement un monument des lettres françaises, mais aussi un personnage familier à la plupart des gens, tant il se prêtait volontiers aux invitations des médias, et pas uniquement dans les émissions littéraires. Affable, d’allure et d’esprit juvéniles, jamais avare d’une confidence ou d’une citation, il était aussi l’un des très rares écrivains à être entrés de leur vivant dans la prestigieuse collection de la Pléiade.

 La France entière s’apprêtait à le célébrer comme il se doit quand, le lendemain, toutes les radios, toutes les télés, faisaient leur une avec la mort de Johnny Halliday à l’âge de 74 ans. Et là, aussitôt, on ne parla plus de l’académicien, éclipsé par la geste, tant musicale que visuelle, de « l’Elvis Français ». Partout, mercredi 6 décembre, ce ne furent qu’extraits d’émissions et témoignages démonstratifs d’affection pour le rocker finalement vaincu par le cancer. Bon : on ne va pas s’étendre sur le camouflet médiatique infIigé au défunt écrivain (qui aura quand même un hommage national aux Invalides). Il ne s’agit pas non plus de comparer les talents de ces deux « piliers » de la vie française ; simplement de constater, une fois de plus, que la popularité d’un chanteur est toujours bien supérieure à celle d’un intellectuel, fut-il largement médiatisé. Rien de nouveau sous le soleil puisque Héraclite, voici vingt six siècles, faisait déjà le même constat dans une de ses sentences.

Au-delà de ce jumelage mortuaire et de l’ironie du sort qui s’y attache, il faut s’arrêter un peu sur le caractère délirant des hommages rendus au chanteur disparu. Certains sont allés jusqu’à demander son entrée au Panthéon. La Tour Eiffel va être illuminée à son nom. Des obsèques quasi nationales (comme pour Victor Hugo) ont été préparées en hâte, suivant un parcours qui ira de l’Arc de Triomphe et les Champs Elysées jusqu’à l’église de la Madeleine – où se déroulera la cérémonie religieuse. La fanfare républicaine l’accompagnera à cette occasion. Et Emmanuel Macron, informé en pleine nuit de cette disparition, a même présenté Johnny comme « un héros français ». Vraiment, les mots perdent de plus en plus leur sens, surtout dans la bouche de ceux qui sont momentanément en charge des mânes de la nation. Il est à noter que celui qui fut, en son temps, « l’idole des jeunes », suscite à présent une véritable idolâtrie chez ses admirateurs. Autrement dit, dans la France réputée laïque d’aujourd’hui, l’admiration pour une personnalité artistique – ce fut aussi le cas pour Claude François - peut aller jusqu’à en faire un objet de culte. Religiosité spontanée, quasi primitive, qui en dit long sur l’irrationalisme dans lequel baigne notre époque.

 

Jacques LUCCHESI

 


Lire l'article complet, et les commentaires