Jean Louis Debré, et Boudu, sauvé des eaux

par bakerstreet
mardi 13 octobre 2015

     Ben c’est l’histoire d’un type qui veut garer son vélo pour faire ses courses. Un clodo l’avise, et lui propose de le garder contre une petite pièce ! L’histoire commence comme ça, à la façon d’une blague de Coluche. A ceci près que le cycliste s’appelle Jean Louis Debré, et que le clodo s’appelle Jean Marie Roughol.     Une histoire de "Jean" ordinaires, finalement…Bien que le premier c’est sûr soit plus connu que le second ! Mais voilà qu’ils ont écrit tous deux un livre à quatre mains nommé « Je tape la manche ».http://bit.ly/1QjTcWF

      Sans doute que ce bouquin écrit dans un concourt de circonstances assez étrange, n’aura pas le Goncourt. Mais enfin voilà quand même une belle tranche de vie de trottoir à méditer ! Le trottoir...Ces types qu’on voit assis pendant des heures et des heures à faire la manche, et que personne ne semblent remarquer, avec leur timbale en plastique pour recueillir la petite monnaie. « A votre bon cœur messieurs dames, c’est pour manger !  » dit parfois un petit écriteau. On presse le pas, on détourne la tête ! Certains y vont de leur petit commentaire ironique : « Pour manger…Ouais, mon œil, c ‘est pour boire ! »

             Le nombre de SDF a augmenté de 50% en trois ans ! http://bit.ly/1PpBp1Q .Vous saviez ça vous ? Moi non ! Ou alors je regardais ailleurs, comme tant d’autres….Je viens de découvrir l’information en tapant SDF sur le moteur de recherche. Entrés à l’EDF, et ils auraient été sauvé, fonctionnaires à vie, l’électricité gratuite, la retraite assurée. Du moins pour le moment dans cette vie si fragile, ou tu peux passer en une nuit d’un palais au bitume d’un trottoir !….Le genre d’histoire que Shéhérazade racontait, dans les contes des 1001 nuits, afin de pouvoir garder une nuit de plus la tête sur les épaules. La vie est incertaine, et n’est qu’un long combat : Roi un jour, mendiant le lendemain !…..

           50 %de SDF en plus en trois ans !…Ce genre d’information ne semble pas non plus mettre le gouvernement en fureur, comme les accidentés de la route. Les accidentés du trottoir bien que toujours vivants, sont peut être plus silencieux, un crash sans mur de briques devant eux, au ralenti de la misère. Tout le monde semble s’accommoder de la misère quand elle concerne les autres. Et de toutes les relégations, celle ci est sans doute la pire. Au hit parade de la pire menace, le « Tu finiras sur l’échafaud ! » a fait place au « Tu finiras dans la rue ! » ! Et l’imaginaire social a fini par oublier ces tombereaux de condamnés, dont on ne veut plus voir le corps assis, au carrefour des rues, sans en ressentir un malaise, comme jadis on pressait le pas, quand on arrivait devant un jubé.

            Quand la réussite matérielle et la reconnaissance sociale, semblent être les grands signes de la dictinction, la vision de ces radeaux de la méduse minuscules nous est intolérable. Parfois un sociologue en fait un sujet de thèse, ou alors un anthropologue les approche prudemment, les observe, tant leur mode de vie semble les faire appartenir à une sorte de tribu exotique et improbable.. Le SAMU social fait ce qu’il peut pour secourir ces migrants de l’immobilité, venant de nulle part,dérivant sur leur bout de trottoir, parfois aspiré par le néant.

           Le grand Orwell, qui ne voyait pas la chose de haut, et qui n’hésitait pas à se retrousser les manches, en fera un beau livre, plein de vécu et de compassion. Ce sera « Dans la dèche à Paris et à Londres  », http://bit.ly/1LBQcAF , premier guide du routard, faisant le comparatif des abris de nuit et des conditions de survie dans les deux capitales.

            Ecrit en immersion complète, ne rejetant pas le litron de rouge pour se réchauffer, cet univers glauque sera fatal à l’auteur. Car c’est là qu’il contactera la tuberculose, avant de partir se battre sur le front espagnol, et de finir en vrille avant la publication de 1984. Il était dit qu’avant de sortir ce livre sur le mensonge et la manipulation, il aura du se confronter à la réalité la plus sordide.

            Mais qui peut connaître la genèse d’une œuvre ? Certains sortiront brisés par l'épreuve, d’autres s’en serviront pour trouver en eux des forces inédites. Jean Louis Debré ne fait plus partie du gouvernement. Mais il n’est pas encore à la rue. Il reste président du conseil constitutionnel. Reconnaissons qu’en l’occurrence il n’a pas abusé de sa voiture de fonction.

            J’imagine mal notre clodo proposant de lui prendre ses clés, pour garer la limousine. Mais allez savoir, ces gueux ont toutes les audaces. J’interprète un peu, je me fais un roman moi aussi. Mais c’est pas trop difficile de prolonger la scène, à la façon d’un chapitre des misérables, que Victor Hugo n’aurait pas écrit. Interrogé ce 11 octobre à ce propos sur France inter, L'ancien ministre de l'Intérieur nous dit avoir entendu un couple s'étonner : « T'as vu, c'est Debré qui parle à un clodo  »

        .    « Peut être que ce clodo a plus de chose à dire que vous, qu’est ce vous avez fait de votre vie  ? » Propos que Jean louis Debré avouera avoir failli rétorquer à ce couple de bourgeois bien mis, sur le coup de la colère. (post cast France inter) http://bit.ly/1jXK3IY

             Augusto Boal, metteur en scène argentin, fut un des promoteurs d’un genre de spectacle révolutionnaire. http://bit.ly/1LBM97u «  Le théâtre est une arme, c’est au peuple de s’en servir !  » Il s’agissait pour lui de proposer à partir de la rue, d’inciter les spectateurs à s’impliquer, dans une situation fictive, crée par des acteurs, mais ayant l’apparence de la réalité, afin de les faire réagir. Que se serait il passé si Jean Louis Debré avait haussé le ton ? Y aurait il eu attroupement, tumulte, début de révolution, atteinte à l’ordre public, intervention des forces de police afin d’interpeller les belligérants ?…

             Il y a des opportunités qui s’offrent parfois « en live » au théâtre de la vie, où l’on n’est pas obligé de payer sa place. Il existe des rues invisibles dans lesquelles nous nous déplaçons, ignorant le plus souvent celles des autres, des parallèles lancées vers l'infini qui ne se croisent jamais !

              Pas besoin d’habiter le château, et de ne jamais descendre sur la place publique, pour n'entretenir des relations qu’avec des gens de notre cercle.. Mais parfois dans ce monde de somnambules, un incident déchire nos belles certitudes piétonnières, et soulève le couvercle des apparences et des conventions. Il faudra que le prince Bouddha sorte de son palais doré, qu’il rencontre dans la rue un homme malade pour s’apercevoir qu’il vivait dans le mensonge, et qu’il devait quitter ce monde d’illusions trompeuses. http://bit.ly/1GDze3t .

               Est ce à dire que Jean Louis Debré est devenu semblable à Siddhartha, l’éveillé ?Aussi outrancier que de prétendre que Jean Marie Roughol s’apparente au personnage de «  Boudu sauvé des eaux  » ! Ce personnage truculent, interprété par Michel Simon, énorme, dans ce film de Renoir, sorti en 1932, choqua la critique, avant de remporter un beau succès.

             L’histoire : Boudu, clochard parisien, se jette à la Seine. Repêché par un libraire aux idées libérales, il sème l’anarchie dans la famille….Le film bouleverse les codes sociaux ; les personnages échappent à leurs archétypes naturels, de la classification sociale et de la lutte des classes. Un clochard roublard refuse de se poser en victime, alors que le bourgeois généreux mais crédule se fait abuser. http://bit.ly/1VMyRzT .

             Le film fait la part belle à un Paris disparu, très populaire. « Le monde de la cloche  », comme on l’appelait alors, paraissait presque bucolique, poétique, avec ses figures légendaires et attachantes. En 1952, Jean Paul Clebert, clochard de son état, fera un très beau livre, en décrivant son expérience : « Paris insolite  », réédité depuis en 2009, avec de très belles photos du pavé parisien, prises par Patrice Molinard, et que n’auraient pas reniées un Doineau. http://bit.ly/1hyQVL7

              Clebert, cet écrivain-voyageur, comme on pourrait le nommer maintenant, nous décrit, avec une plume parfaite, un Paris qui a bien sûr disparu. Sans tomber dans une nostalgie ridicule et un peu obscène, qui ferait comparer deux sortes de misères, à plus d’un demi siècle de distance, il semble bien pourtant que le temps n’a rien retiré à la souffrance, et encore moins au désespoir. Ce monde de la mendicité parisienne de l’après guerre, même s’il est terrible, s’inscrit dans une réalité où n’apparaissent pas les distorsions sociales abyssales de notre époque. C’est un monde ouvert, en reconstruction, où pleins de petits métiers et une certaine fraternité subsistent dans un Paris resté très populaire, et on l’on vous donne la pièce pour « donner un coup de main aux halles »…

             En tout cas, les jeunes gens ne sont pas encore « sous les ponts », comme on disait alors, offerts à tous les trafics et à la désespérance, à partir du moment qu’ils ont compris, à tort ou a raison, qu’il était inutile de continuer à se battre. Tous ceux qui ont un peu d’âge datent leur apparition vers le début des années 80. On s’étonnait au début, avant d’admettre leur présence, et que le rare devienne le fréquent, puis l’habituel, et qu'on oublie que les choses avaient été différentes, un jour. Dégâts collatéraux, variables d’ajustements ?

              Dans quelle case en carton sont ils tombés, se sont ils cachés ?. Bien sûr, la société s’est adaptée, possède des éléments de discours et de réponses pour se défendre : On a fermé les portes des immeubles, pourvues maintenant d’un code digital pour commander leur ouverture. A Angoulême, capitale de la bande dessinée, les élus ont pensé un moment mettre les bancs en cage, comme dans un mauvais gag de Gaston Lagaffe !

              De ce quotidien, Jean-Marie Roughol est bien mieux placé que moi pour en parler ! Il a noirci lentement plusieurs cahiers précieux. Pas des paroles en l’air, pas des 50 nuances d’earl grey insipides…Plutôt du brut de gnôle et de vécu : « La rue c’est comme la jungle pas d’avenir pour les faibles les peureux  ! » De ce projet littéraire, au début, Jean-Marie croit d'abord à une blague. « J'y croyais pas trop ». 

              C’est sûr. Jean Marie est un vernis ! Il arrive parfois que l’histoire devienne un conte pour enfants, qu’un génie se trouve sur votre chemin. Les rois avaient ainsi pour habitude de se déguiser, afin de connaître la vérité du peuple. Du calife Haroun Al Rachid dont les aventures nous sont racontées dans les 1001 nuits, au rusé Louis onze, déambulant incognito sur les marchés de la capitale, afin de prendre le pouls des gens, savoir ce qui se tramait, ce qu'on racontait sur lui.  

               La rue c’est vrai reste bien un livre ouvert que bien des puissants oublient à tort de consulter, préférant s’en remettre à leurs agents, qui leurs passeront des informations de seconde main, ou encore un miroir trompeur des choses dans lesquels le pouvoir s’enferme et se caricature. Ces monarques semblent agir en écho avec la mythologie Grecque, qui s’amusaient des visites qu’ils faisaient ainsi aux humains, déguisés en de pauvres diables… 

               Car il faut mieux être un repoussoir qu’une nymphe ravissante pour tester la générosité des gens. Ulysse, au retour d’Ithaque, grâce à la déesse Minerve qui l’a à la bonne, prend l’apparence d’un vieux mendiant chenu, afin de tester le cœur de ses commensaux. L’histoire de Philémon et Baucis étant une des plus émouvantes version de ces visites des divinités descendant sur terre http://bit.ly/1VN2fAN.                        

               L’actualité nous a offert un exemple de ces miracles de la résilience, où un croc en jambes destiné à vous faire plonger dans un ravin, pour vous projeter finalement dans les bras d’une fée. C’est le cas de ce migrant Syrien, dont l’histoire a fait le tour des médias. Victime de la violence gratuite et criminelle de la part d’une journaliste, alors qu’il courrait, sa petite fille dans les bras, cet homme sera, grâce à la diffusion des images filmées, embauché comme entraîneur de foot dans une équipe espagnole. http://bit.ly/1LIJyid.

               « Pendant longtemps j'ai rien écrit. J'avais peur, car je fais plein de fautes, j'ai pas été trop à l'école », dit Jean-Marie Roughol. Mais il se prend au jeu, et finit par rendre, près de deux ans plus tard, trois cahiers. Il nous livre une parole vraie, sur le vif, le quotidien de la rue. Il a développé toute une science de la survie, une psychologie rapide des passants, tenant au coup d’œil d’évaluation. C’est l’observation, qui conjuguée à l’expérience, finissent par vous faire un métier appris sur le tas. Façon de parler... Il garde cet amour de la liberté et un refus des contingences et des obligations, qui le rattachent malgré tout au personnage de Boudu sauvé des eaux de la Seine…                                                                           

               Tout n'est pas faux dans le personnage de Boudu, et si Paris s'est transformé, bien des clodos ont gardé eux leur malice, et ce caractère un peu rude à la Diogène, qu'on rencontre aussi chez le pêcheur Breton. C'est qu'ils doivent tous subir les intempéries qui vous tannent l'âme et le cuir.

               Bien obligé alors de garder cette touche d'humour, le kit de survie indispensable si tu tombes à la mer. « C’est magique, l’humour, pour la tape ! » Confie t’il. Car pleurer sur son sort ne vous fait pas avancer, et détourne les passants, qui on le sait n’applaudissent jamais au passage des corbillards et des ambulances ! 

                J’espère qu’il va continuer à écrire ! Car il le sait maintenant, l’ayant découvert après tant d’autres : Ecrire est une thérapie, un canot de survie qui vous donne une force prodigieuse et vous sauve de bien des écueils. Pas tous, c’est vrai ! 

                J’ai entendu aussi ce matin à la radio cette querelle de chiffonniers, et de droits d’auteur, au sujet du journal d’un autre naufragé aux petits carnets. Il s'agit d’ Anne Frank ! Les héritiers ne voulant pas que l’œuvre tombe dans le domaine public...Comme si c'était "la rue", le domaine public, une chose qui a pourtant bien des lettres de noblesse. Mais il est dit décidémment que nous ne partageons pas tous les mêmes valeurs !..     

                               

             C’était sur France inter, juste avant que notre écrivain ne passe en studio en compagnie de son compère Jean-Louis Debré. Et j’ai dressé l’oreille, sentant là quelque chose d’exceptionnel, rapport aux codes habituels et aux analyses pontificales des spécialistes en politique et en météo, aussi brouillés après ça qu'un message passant pendant la guerre sur radio-Londres.   

             Le jour se levait derrière les arbres. Un moment ma tasse de café est restée suspendue. J'écoutais. J’avais ma chatte sur les genoux qu ronronnait, un absolu de présent parfait comme tant de gens qui ont le bonheur d’avoir un toit, une place dans la société, peuvent les vivre !

            J’ajoute ce bonheur d’une rencontre inédite, d’une oreille en coin, comme on disait dans le temps, sur inter…. Bien sûr en théorie, Jean Louis Debré ne faisait pas partie dans mon équipe, rapport à des idées. Mais ça c’était dans le temps, avant que je ne sache plus très bien quelle équipe soutenir, avant que je me désintéresse définitivement du sport, excepté tout de même le tour de France.

            Et puis, comme disait Brassens « Des idées qui vont et qui viennent.. » Certains diront que Debré fait de la démagogie, que tout cela obéit à un savant calcul de récupération politique. Bref, qu'on est loin de la sincérité du geste aidant d’un anonyme. Moi je dis que si c’est le cas, c’est drôlement bien imité ! Et puis, qu'aurait t'il donc à prouver cet homme ? Il a dépassé l'âge de faire son "Macron" !  

            De toute façon, il faut lui faire grâce de s’être fait plaisir, autant qu’à nous,en rapport à cette tranche de vie si humaine, qui aurait fait autant le bonheur des vieux chroniqueurs d'inter, de Claude Villers à José Arthur ! J'oubliais Kriss...

            Bref, Jean Louis Debré me semble bien être, comme on disait dans le temps, un « honnête homme » ! Ou encore « un homme de qualités » !

             Mais tout le mérite lui revient il vraiment ? Entendu que le vélo possède déjà la première des qualités naturelles, la simplicité, et installe déjà une sympathie naturelle entre les gens, susceptible de provoquer de telles histoires !


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