Jésus-Christ était-il gentil ?
par Laconique
jeudi 16 janvier 2020
Le Christ est sans conteste la personnalité la plus incomprise de l’héritage spirituel de l’humanité. On croit comprendre Jésus, on l’idéalise, on le juge selon des critères moraux et ce faisant on passe complètement à côté de ce que nous disent vraiment les Écritures. Jésus était-il ce gentil barbu que nous avons l’habitude de voir depuis notre enfance ? Cet article se propose de replacer le Christ dans son véritable contexte scripturaire, afin dénoncer l’un des pires contre-sens de la culture occidentale.
Tout ceci n’est pas accessoire, la « méchanceté » de Jésus est un des attributs fondamentaux de sa divinité, selon la conception biblique. Nous sommes en grande partie tributaires d’une vision grecque de l’idéal divin (ordre, harmonie, calme, etc.), car les Pères de l’Église étaient imprégnés de platonisme, de néo-platonisme et de stoïcisme, bref, de philosophie grecque. Mais telle n’est pas la conception biblique de Dieu. Jésus est « fils de David », issu de la tribu de Juda, il est le « nouveau Moïse » (He 3, 2), le « nouvel Abraham » (Rm 4). Or, le point commun de tous ces prédécesseurs et ancêtres du Christ, c’est bien ce que nous appelons, dans notre langage, la « violence », et ce que les auteurs bibliques, plus réalistes, considéraient tout simplement comme la réalité de la vie dans le monde tel qu’il est. Abraham nous est d’abord présenté comme un guerrier (cf. l’épisode de la campagne contre les quatre rois, Gn 14), Moïse et David commencent leur carrière par un meurtre (Ex 2, 12 ; 1 S 17, 50), Juda, dont est issu le Christ, est présenté comme « un jeune lion » (Gn, 49, 9). C’est très précisément parce qu’ils étaient capables de transgresser la frontière entre le bien et le mal que tous ces hommes ont été choisis par Dieu. Le mot « bien », le mot « vertu » ne figurent quasiment jamais dans le Nouveau Testament, encore moins dans les évangiles. C’est nous qui sommes obsédés par la morale, mais le Christ ne se définit pas comme bon, il rejette explicitement cette dénomination : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu seul » (Mc 10, 18). Pour comprendre le rôle du Christ, il ne faut pas considérer ses actions, ses paroles, volontairement paradoxales et contradictoires, ni même ses miracles. Ce n’est pas parce qu’il fait des miracles que Jésus est le Christ, nous sommes appelés nous aussi à opérer des miracles, et même de plus grands encore que ceux du Christ (Jn 14, 12). Non, Jésus est le Christ parce qu’il est le fils de Juda, le fils de David, parce qu’il transgresse les règles humaines et religieuses, parce qu’il est le dépositaire unique de la volonté divine, parce qu’il impose sa volonté par sa seule parole (« Viens, suis-moi »). Il possède dans sa plénitude l’attribut premier de la divinité biblique, qui n’est pas la gentillesse, mais l’autorité. Quand Jésus parle on se tait, on écoute, on obéit.
Ceci posé, quel doit être le positionnement du chrétien contemporain à l’égard du Christ ? L’homme moderne n’agit que par imitation, et le comportement instinctif du chrétien moderne à l’égard du Christ est donc ce que l’on a appelé, depuis longtemps déjà, l’imitation de Jésus-Christ. C’est là une attitude certes louable, nécessaire sans doute, mais nullement suffisante. Il faut bien comprendre le sens de la venue du Christ : c’est la reconnaissance que le « Tout-Autre », le transcendant absolu, Celui que l’on ne pouvait pas voir sans mourir (Ex 33,20), a assumé notre nature, dans toutes ses dimensions, y compris celle de la mort ignominieuse, et qu’il nous a en cela ouvert le chemin de la réconciliation avec le Père. Le Christ est un don du Père, il est la manifestation définitive de la miséricorde divine, le seul chemin d’accès à Dieu dans nos vies étouffées par le péché. C’est cela qui compte, c’est cela que saint Paul ne cesse de répéter dans ses épîtres, et non ses actes, ses paroles ou ses miracles, dont Paul, c’est suffisamment extraordinaire pour le souligner, ne dit jamais rien dans ses textes, pas une seule fois. Réduire le Christ à sa morale, c’est donc passer complètement à côté du salut qu’il nous offre, et qui consiste dans le don de l’Esprit, nullement dans les œuvres, insuffisantes en elles-mêmes (Ep, 2, 8). Le Christ n’est pas gentil, admirable, il n’est pas une version meilleure de nous-mêmes. Il est autre, tout autre, nous ne devons pas le juger selon nos critères, mais accepter sa venue dans nos vies, répondre à son appel, le suivre pour recevoir ses dons et l’accompagner dans sa destination ultime : la Gloire future, le Royaume des Cieux.