Jeu de la mort ou X-croquerie télévisée ?
par Bernard Dugué
jeudi 18 mars 2010


La télévision aime parler d’elle, c’est certain. Que d’émissions où d’anciennes séquences sont rediffusées. Il y a même des émissions, comme les interminables bêtisiers et autres arthurerie où l’on se repasse des images comme s’il s’agissait de faits d’armes héroïques et d’ailleurs, une présentatrice vient d’être décorée de la légion d’honneur. Pour faire parler d’elle, rien de tel qu’une émission au potentiel polémique démesuré. Le jeu de la mort va susciter des réflexions, des débats, des polémiques et même des tonnes de commentaires et autres éditoriaux, même si Baudrillard n’est plus, lui qui aurait sans doute torché un excellent papier. Ce jeu de la mort risque de faire autant débat que la plus emblématique des émissions controversées, Loft Story, qui il y a dix ans marquait l’avènement d’une télé réalité déclinée comme une transgression par rapport à l’ancienne télé du temps de Léon Zitrone, une télé assumant l’héritage de la vertu républicaine du monde des lettres et de la bienséance académique. Ceux qui ont suivi la polémique autour de cette émission rendue célèbre grâce à une fameuse séquence de baise improvisée dans une piscine se souviennent des tonnes de papier sur ce sujet et même dans les forums de l’Internet naissant. Dire du mal de Loft Story était le passage obligé de tout éditorialiste et autre intellectuel soucieux de soigner son image de chevalier blanc de la morale cathodique. Dire du bien de Loft Story était réservé au camp des innovants, des francs-tireurs, des nouveaux rebelles de salon désirant choquer le passant avec des sentences et autres acclamation de la nouvelle télé, avec les nouvelles mentalités, les nouvelles technologie, une nouvelle génération, bref, les nouveaux modernes louant cette moderne modernité face aux vieux modernes nostalgiques des dossiers de l’écran et de la très sérieuse série des rois maudits, diffusée aux débuts de la télévision en couleur.
Le jeu de la mort n’est pas à proprement parler une émission. C’est juste une expérience qui de toutes façons, ne pourra plus être refaite une fois le pot aux roses dévoilé sur la grande chaîne publique, un peu comme une caméra caché mélodramatique. On ne fait piéger une fois mais pas deux. Des Français, sans aller jusqu’à dire qu’ils ont été piégés, se sont trouvés dans la position de cobayes pour une expérience censée être la réplique de la célèbre étude de Milgram, dans laquelle fut testé la propension des individus à se soumettre à une autorité et à transgresser les règles morales au point d’infliger à un faux patient des décharges électriques. Presque un classique.
Que dire de plus que ce qui a été dit ? La télévision est devenue une autorité que les gens suivent. Comme d’autres autorités qui les font obéir. Cette conclusion semble évidente. Imaginons le même dispositif orchestré comme une pièce de théâtre fictive, un test proposé à des cobayes humains. Le résultat serait le même. L’expérience de Milgram, comme cette du jeu de la mort, pèche par son côté artificiel, sa mise en situation d’individus dans des contextes qui ne sont pas réels mais sont censés être des répliques du réel. Les conclusions sont difficiles à tirer, d’autant plus que les individus sélectionnés ne sont pas représentatifs de la population. Ces gens ne sont pas choisis au hasard, comme ceux des panels dans les sondages. Ils ont répondu positivement à la proposition de participation à un jeu télévisé. Et donc, ils étaient déjà conditionnés pour accepter les règles du jeu. Comparer les 60% de l’expérience de Milgram avec les 80% de l’expérience de l’X-trême n’a aucune valeur scientifique. Et puisqu’il est question d’autorité, le réfractaire que je suis refuse d’accepter les enseignements et les conclusions proposées par ces scientifiques manipulateurs aux téléspectateurs. Il faut dire qu’avec l’épisode de la pandémie grippale, je suis vacciné contre les médias, y compris quand ces médias veulent se donner quelques onces de déontologie en mettant en scène la démonstration au service de leur docte autocritique.
Cette émission aura eu au moins le mérite de déjouer la ruse de ces scientifiques qui croient transposer les conditions réelles de l’existence en les reproduisant dans un laboratoire. L’expérience de Milgram a été démystifiée. La science positiviste a cru en tirer quelques conclusions scientifiques tendant à expliquer le nazisme et ses conséquences, et ce, dans le sillage du behaviorisme très en vogue dans les années 60 aux States. Mais hélas, il n’y a pas de conclusion tangible à extraire de l’expérience de Milgram. L’homme placé dans un laboratoire, qu’il soit scientifique ou médiatique, réagit différemment que l’homme placé dans la vraie vie. Néanmoins, cette expérience aura dévoilé l’abandon et l’errance de l’individu contemporain, disloqué dans sa conscience, dédoublé lorsqu’il s’agit de jouer un jeu de la mort, anesthésié par l’animatrice et le public. Un homme tout aussi dédoublé lorsqu’il s’agit de jouer dans le monde du travail et de laisser partir à l’abandon ses collègues licenciés. Le jeu de la mort a révélé l’homme résigné, qui accepte les règles et ne sait plus se rebeller face à un système qui l’écrase. Pourtant, une éclaircie, le vote contre le TCE en 2005 et le refus de la vaccination. Comme quoi, le genre humain présenté à la télé et jeté en pâture aux téléspectateurs est quelque peu falsifié, biaisé. La télévision est un Janus qui dévoile autant qu’il manipule.
Au final, cette expérience aura été une occasion de se servir de l’homme comme d’un instrument pour servir des desseins pas forcément honorables. Un livre est sorti. De belles rentrées d’argent en perspective pour ses auteurs, avec une publicité gratuite en prime time. On appelle cela télévision publique, partie prenante du service public. Et finalement, on pense inévitablement à une escroquerie médiatique bien jouée puisqu’elle incite les spectateurs à accepter les conclusions grâce à quelques psychologues incarnant l’autorité scientifique.