Jeunes suppléants de l’enseignement privé, souriez ! Vous êtes évalués !

par Un ex-enseignant trentenaire
mardi 4 mars 2008

Mais le saviez-vous ?

Bonjour, cet article s’adresse surtout à tous les enseignants (toutes matières confondues) ayant exercé, s’apprêtant à exercer ou exerçant des suppléances dans les établissements privés (catholiques) sous contrat de Paris et de la région parisienne.

En pleine polémique sur le site d’évaluation des enseignants par les élèves "Not2be.com", il me semble d’actualité d’aborder la question de l’évaluation des enseignants sous un autre angle.

Tout ce qui va suivre est le fruit d’une expérience passée dans le circuit de l’enseignement privé catholique francilien entre 1999 et 2007.

Il faut d’abord savoir que le meilleur moyen pour obtenir des remplacements/suppléances dans les établissements privés catholiques franciliens quand l’on n’est pas titulaire, c’est de passer par le Service des enseignants du second degré, rue des Saints-Pères, à Paris dans le 7e arrondissement. Vous y serez reçu par des gens aimables, disponibles et, semble-t-il, bienveillants. Vous pourrez y déposer votre CV qui sera classé selon votre spécialité dans une banque de données où les chefs d’établissements pourront venir piocher quand le besoin se fera sentir (une mutation, un arrêt maladie, un congé maternité, etc.) pour des remplacements d’au minimum deux semaines (en principe) et pouvant aller jusqu’à l’année, sur un nombre d’heures de cours hebdomadaires variable, en général entre 6 et 18 heures.

Vous n’aurez rien à faire, cela ne vous coûtera rien et le chef d’établissement en question ou un de ses proches adjoints, si vous correspondez au profil qu’ils recherchent, vous contactera directement par téléphone chez vous.

Le Service des enseignants du second degré propose aussi d’autres activités, notamment des réunions régulières sur les modalités des concours dans l’enseignement.

On vous demandera en général une fois, voire deux fois, par an de répondre à un questionnaire arrivé dans votre boîte aux lettres pour mettre à jour votre dossier : préparez-vous un ou des concours en ce moment ? Avez-vous effectué ou effectuez-vous des remplacements en ce moment ? Etes-vous toujours disponible ? Souhaitez-vous maintenir votre inscription sur les listes ?

Si vous décrochez un entretien et un poste de suppléant, vous téléphonerez à ce service pour signifier que jusqu’à X date, vous n’êtes plus disponible et votre présence dans la banque de donnée sera suspendue.

Jusque-là, tout paraît simple, limpide, transparent, pratique.

C’est une fois que le remplacement a été effectué que le brouillard se lève. Comme je l’ai précisé, j’ai effectué des remplacements dans sept établissements scolaires privés catholiques sous contrat avec l’Etat entre 1999 et 2007. Sept établissements différents bien sûr. Entre 2001 et 2003, j’ai quelquefois entendu des rumeurs de la part d’autres collègues à propos de "rapports d’évaluation" envoyés par les chefs d’établissements à la suite des remplacements pour "donner leur avis" sur la performance du suppléant. Par deux fois durant cette période j’ai téléphoné au Service de la rue des Saints-Pères pour savoir ce qu’il en était et par deux fois la réponse fut la dénégation. Il n’existait rien de la sorte. Ce n’est qu’en 2003 qu’enfin j’obtins une réponse contraire : oui il existait une procédure de ce type, les personnes qui m’avaient précédemment répondu étaient mal informées. Avais-je déjà eu des rapports concernant mes suppléances ? Après vérification, en effet, pas moins de cinq. J’ai demandé si je pouvais les consulter ? Sans problème, il me suffisait de prendre rendez-vous rue des Saints-Pères et l’on me permettrait de consulter ces documents, sous la supervision de ma référente habituelle. J’ai donc découvert après plus de quatre ans d’exercice, que j’avais été évalué sans le savoir. Il est possible d’obtenir une copie de ces documents (gratuitement), on peut même vous les envoyer par la poste (toujours gratuitement), mais les originaux sont conservés par le Service, même si vous vous en êtes retiré.

Ce rapport est envoyé ou non à la discrétion du chef d’établissement après la fin de la suppléance. Il est intitulé "Billet d’appréciation (SUPP ou DAX)" (pour suppléant ou délégué auxiliaire). Il contient le motif de l’absence de professeur remplacé, la durée de la suppléance, le nombre d’heures hebdomadaires, la matière enseignée, les coordonnées de l’établissement scolaire, les coordonnées du Service des enseignants du second degré, la date d’émission du billet et le tampon avec la date de réception, les différents critères d’évaluation (que je détaillerai plus loin) avec un petite légende ainsi que deux emplacements réservés à la signature du suppléant et à celle du chef d’établissement, cette dernière comporte aussi parfois le tampon de l’établissement scolaire.

Les critères sont regroupés en cinq catégories, les trois premières (profil général, qualité de l’enseignement et conscience professionnelle, relations) notées selon des cases cochées "Très bien, Bien, Moyen, Insuffisant ou Difficile à évaluer", les deux dernières concernent la participation à "la vie de l’établissement" et l’avis final du chef d’établissement qui se résume à une simple question, parfois agrémentée d’un court commentaire manuscrit : Le reprendriez-vous ? Si oui plutôt en collège ? En lycée ou en lycée professionnel ?

Quel est votre degré d’exactitude ? La qualité de votre présentation/tenue ? L’ampleur de votre dynamisme ? Le degré de votre aisance verbale ? Vos cours sont-ils bien préparés ? Progressez-vous bien dans le programme durant l’année ? Quel est votre comportement avec les élèves ? Et qu’en est-il pour les "tâches directement observables" ? Quelles ont été vos relations avec les responsables éducatifs, les collègues, les parents ? Avez-vous participé à des activités péri-éducatives ? Et quel a été votre rapport vis-à-vis de l’identité catholique de l’établissement ?

Que votre travail soit évalué, ma foi, pourquoi pas, même si ce n’est pas très agréable à vivre, on peut comprendre les raisons de la démarche, même s’il semble plus difficile d’évaluer la qualité du travail dans un métier aussi plastique et tertiaire que l’enseignement. Toutefois, quand vous êtes titulaire, il existe un service d’Etat qui vous évalue, l’inspection académique. Vous pouvez parfaitement recevoir la visite d’un inspecteur qui assistera à vos cours en personne.

Existe-t-il un système semblable pour les suppléants de l’enseignement public ? Je l’ignore.

Mais revenons à ces "billets d’appréciation". Ils posent en effet un certain nombre de problèmes à mes yeux. Tout d’abord, lorsque vous vous inscrivez rue des Saints-Pères, personne ne vous informe de cette procédure. Pourquoi ?

Ensuite, l’envoi de ce billet dépend entièrement du bon vouloir du chef d’établissement. Certains en envoient, d’autre pas, pourquoi ? On pourrait se dire que la durée du remplacement parfois très courte peut dissuader le chef d’établissement de remplir un tel formulaire faute d’avoir suffisamment de matière pour évaluer avec pertinence. Mais il n’en est rien, sur un total de six billets à ma disposition pour sept remplacements, le billet absent correspondait à un remplacement largement assez long pour évaluer (plus d’un an) et par contre l’un des billets en ma possession correspond à un remplacement d’une semaine.

De quelle manière le chef d’établissement collecte-t-il les informations lui permettant d’évaluer ? Mystère. Pour les petits établissements, peu de professeurs, peu de classes où le directeur enseigne en général en plus d’être directeur, les contacts sont fréquents, donc cela se comprend mieux. Mais dans de vastes établissements, où le chef d’établissement peut sembler enfermé dans sa tour d’ivoire, où vous ne le croisez qu’au mieux une demi-douzaine de fois dans l’année ?

Quand je parle du "bon vouloir" je n’exagère pas. En effet, la responsable de mon dossier de l’époque m’avait avoué à quel point ce document pouvait être subjectif, qu’il suffisait qu’il y ait une "incompatibilité de caractère" entre un chef d’établissement et un remplaçant pour que le billet d’appréciation s’en voit sensiblement dégradé, un même suppléant pouvant, d’un remplacement à l’autre être encensé ou rabaissé. J’ai moi-même eu quelques surprises (pas toujours agréables) dans mes propres bulletins.

Pourtant, les critères que j’ai énumérés plus haut semblent assez objectifs, alors ?

Quelle est la valeur d’une telle évaluation ? Elle semble très importante aux yeux du Service, surtout en ce qui concerne l’ultime question : "Le reprendriez-vous ?". En effet, d’après ma référente, il suffit d’une seule réponse négative à cette question pour qu’un suppléant voie son cas étudié en profondeur par le Service et qu’il risque d’en être définitivement exclu : exit des listes et ce malgré une pleine conscience de la subjectivité de l’évaluation de ces billets. Une exclusion des listes revenant plus ou moins à la certitude de ne jamais décrocher de suppléances, donc à l’impossibilité d’accumuler l’ancienneté nécessaire pour tenter les concours internes du privé.

Etrange vous ne trouvez pas ?

Enfin, sur l’ensemble des billets à ma disposition, le dernier seulement, concernant un remplacement que j’ai effectué après ma découverte de ce système, fut rempli sous mes yeux, dans le bureau du chef d’établissement, par celui-ci en personne, en toute transparence. Aucun des autres ne fut rempli dans de telles conditions, aucun des autres ne porte ma signature à l’emplacement pourtant prévu à cet effet.

Est-ce bien légal tout cela ? Pourquoi tant d’opacité ?

La question est très sérieusement abordée en ce moment par le syndicat CFDT dans un article de son journal d’information, je cite :

"

Délégués auxiliaires : précarité et opacité

M. X est DA depuis 2001, son premier remplacement fut très court, il n’a croisé le directeur que deux fois dans les couloirs. A la fin de chaque suppléance ou de chaque année effectuée par un DA, le chef d’établissement doit remplir un bulletin appelé évaluation de la suppléance. Les grilles vont de très bien à insuffisant et le chef d’établissement doit répondre aux critères suivants :

- profil général, exactitude, présentation, tenue, dynamisme, aisance verbale ;

- qualité de l’enseignement et conscience professionnelle ;

- relations avec : les collègues, les parents, les responsables éducatifs ;

- participation à la vie de l’établissement : a-t-il participé à des activités péri-éducatives ? Par rapport à l’identité catholique de l’établissement, s’est-il montré intéressé, indifférent, respectueux, mal à l’aise, actif, difficile à évaluer ;

- le reprendriez-vous : en lycée ou en collège ou en lycée professionnel ?

Cette évaluation signée par le chef d’établissement devrait théoriquement l’être par le maître, ce qui n’est pas toujours le cas. Ces rapports nous indiquent Mme X ont le plus souvent été faits à son insu et envoyés sans sa signature aux services de l’enseignement catholique qui les met à son dossier. Dans un des rapports, il est mentionné qu’elle n’a pas participé à des activités péri-éducatives alors que notre collègue affirme avoir donné bénévolement des cours de catéchisme. Sur six évaluations reçues, une seule a été signée et présentée à Mme X en toute transparence, nous remarquons que cette dernière était bien meilleure que les précédentes. Doit-on en conclure que certains chefs d’établissement n’ont pas le courage de faire signer une feuille d’appréciation comportant des remarques parfois peu amènes et pour le moins subjectives et non motivées. Cette question est d’importance, on peut craindre qu’un manque d’adhésion réelle ou supposée au caractère propre de l’établissement ne devienne aux yeux des chefs d’établissement un critère d’incompétence et ne prive le DA de toute délégation ultérieure. Sur l’académie de Versailles, de nombreux délégués sont au chômage car ils n’ont pas retrouvé de poste alors que des nouveaux entrent dans le système.

Nous conseillons aux délégués qui ont subi des préjudices de saisir la Halde et de nous contacter.

Geneviève Archilla et Florence Chabord"

Alors, souriez, vous êtes évalués :) Mais restez vigilants.


Lire l'article complet, et les commentaires