Journaliste, un métier de « salauds », de « salopes », d« obsédés » et de « fascistes »

par Jean Lannes
jeudi 14 octobre 2010

Dur dur d’être journaliste en cette fin d’année 2010. De plus en plus, les actes d’insultes et de mépris se multiplient à l’encontre de la fonction, et à différentes échelles. Mettons-nous en situation. Je suis journaliste et je souhaite informer les gens, être pertinent et efficace. Faire mon boulot quoi.

Cette année là, je suis présentateur sur la première chaîne du service public, France 2. Chaque soir, je présente le journal de 20 heures avec les contraintes publicitaires et d’audience qui me sont imposées par la télévision d’aujourd’hui. Un soir, je décide d’ouvrir mon journal sur les incidents concernant des ouvriers mécontents de Continental ayant saccagé la sous-préfecture de Compiègne. En duplex, j’interroge le délégué CGT des ouvriers de l’usine en question. Par manque de temps, je me concentre essentiellement sur les gros traits de l’information, pour viser large, et je finis donc par lui demander s’il regrette ces débordements.

C’est quelques mois plus tard que j’apprends qu’un responsable politique, député européen et leader d’un certain parti de gauche m’insulte de "larbin, laquais" ou encore de "salaud". Pourtant, je n’ai fait que mon boulot. C’est vrai, je n’en veux pas personnellement à ces gens qui se battent pour leurs emplois.

Déçu, déchiré, que quitte le journal de la 2 et espère repartir à zéro ailleurs, sur TF1 pourquoi pas. Après quelques temps passés sur la première chaîne d’Europe, j’entends dire qu’un autre responsable politique, cette fois un député du premier parti d’opposition, veut « taper » sur ma chaîne. "Télé du fric, tradition délinquante" ou encore "chaîne de la droite". Je suis retourné. Ma chaîne privée, aussi culturellement dépassée soit-elle, n’aurait-elle pas le droit d’être à droite ?


J’en ai assez de la télévision. Ce que j’aime par-dessus tout c’est la radio. Grâce à mon passé de présentateur à l’affiche, j’intègre les rangs de France Inter et me consacre à l’interview de la matinale. Un matin, je reçois un personnage public bien connu et l’interroge sur une somme mirobolante qu’il aurait perçue du FISC. Après tout, c’est de l’argent public, et une affaire publique qui intéresse tout le monde. Brusquement, ce dernier me traite "d’obsédé" avant de me demander si je ne gagnais pas bien ma vie. Et il n’avait pas l’intention d’en rester là. "Plus ça vous emmerde et plus ça me fait plaisir" lance-t-il en n’omettant pas d’en placer une pour le député européen qui m’avait précédemment injurié. "Parce qu’il tape sur les journalistes ?" lui ais-je demandé. "Voilà ! Parce qu’il pense comme moi" me rétorque mon sinistre interlocuteur.

Sale temps pour les grattes-papiers

Décidemment, la radio représente également trop de pression pour moi. Je devrais choisir un milieu plus cool, plus relax, avec moins d’enjeux. L’actu people c’est à la mode non ? Devant un bon repas, je décide de m’y mettre dès le lendemain. Soudain, en regardant 50 minutes Inside, émission référence de mon nouveau domaine de prédilection, j’entends Gérard Depardieu traiter de "salope" l’une de mes futures collègues. Grand coup de balai sur mes projets, on repart à zéro.

Mais tiens, ce match de football tout à l’heure était vachement bien. Je devrais m’orienter vers le journalisme sportif. Ca c’est un métier cool et détendu. Je fais mes premières armes dans un grand journal. Chargé de la correspondance avec le Camp des Loges, le centre d’entraînement du Paris Saint-Germain, je me fais, dès mon premier jour, gifler par un joueur. Un grand défenseur avec une coupe de cheveux iroquoise. J’ai la haine, je doute de plus en plus. Seul sur mon canapé, je pèse le pour et le contre. Tout à coup, j’entends émaner du poste de télévision une phrase de mon idole suprême, Diego Maradona : "Ceux qui n’ont pas cru en cette équipe (...) excusez-moi mesdames, qu’ils me sucent et continuent à me sucer !"

C’est terminé. Le journalisme c’est fini pour moi. Ce métier devient de plus en plus dégradant, non-respecté et irrespectueux. Dangereux aussi. J’en oublierais presque mes confrères retenus en otages dans certains pays sensibles. Bref, je vais me changer les idées, c’est un jour de manifestation sociale aujourd’hui. N’ayant pas vraiment tranché sur la bienfaisance – ou non - de la réforme des retraites, je m’aventure tout de même dans les convois, par curiosité. Le soir venu, j’assiste à quelques petits débordements, des gens organisent un feu de joie dans la rue.

Des CRS survoltés interviennent et me demande de reculer avec autorité. Disposant encore de ma carte de presse, je la sort de ma poche et leur explique calmement qui je ne fais pas parti des éventuels perturbateurs et que je suis journaliste. La seconde d’après, je me retrouve au sol, bousculé et matraqué par la soldatesque casquée.

A quoi bon lutter ? Je m’interroge tout de même. Ais-je brisé un miroir récemment ? Ou serait-ce ma profession adorée qui subie les conséquences et le climat d’une dérive liberticide ? Qu’importe, je projette désormais d’ouvrir un magasin de fruits et légumes. Ca me parait plus tranquille comme boulot. Au comptoir de mon nouveau gagne-pain, j’entends à la radio que le premier secrétaire du parti majoritaire s’en été à nouveau pris à mon ancienne profession en utilisant un mot assez brutal.

En rendant la monnaie à une cliente, je me sens soulagé, sans regrets. Finalement, c’est vrai que c’est plus tranquille comme job. Plus tranquille, et moins "fasciste".


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