Jupiter, un genou à terre ? Le piège de la dissolution de l’Assemblée nationale au soir des élections européennes

par Renaud Bouchard
lundi 10 juin 2024

Un genou à terre ?

Pas si sûr.

La dissolution faussement brutale et inattendue de l'Assemblée nationale mérite que l'on risque une hypothèse d'analyse.

Les mâchoires du piège sont ouvertes et n'attendent que le moment de se refermer sur le pied qui s'y posera.

 

« QUOS VULT PERDERE JUPPITER DEMENTAT ».

 

Ce vieil adage latin prédit un destin funeste aux dirigeants qui abusent de leur pouvoir et signifie : “Jupiter commence par rendre fous ceux qu’il veut perdre”.

 

Certes, le message pourrait bien s'appliquer à un E .Macron qui a depuis longtemps transgressé les frontières de l'hubris dans l'exercice de son pouvoir, mais il pourrait tout aussi bien s'adresser à ceux qui découvrent ou se découvrent en ce 9 juin 2024 nouvellement promus et bénéficiaires d'une aubaine électorale, d'une embellie politique avec l'annonce de « lendemains radieux ».

 

L'échec présidentiel aux « élections européennes » et sa retranscription dans le cadre national – la seule qui prévaut en réalité pour bon nombre d'électeurs qui ont voté comme s'il se fut agi d'une sorte de referendum – était parfaitement annoncé et ne saurait nullement représenter une « divine surprise ».

Loin de là.

 

Chacun sait qu'au jeu d'échecs le gambit (ou croc-en-jambe) est un sacrifice volontaire d'un pion ou, plus rarement, d'une qualité dans la phase d'ouverture dans le but d'obtenir un avantage stratégique non matériel : attaque, gain d'espace, ouverture de lignes, dislocation de la structure de pions adverse, gain de temps, etc.

 

Le gambit est parfois risqué, car si l'avantage stratégique n'est pas bien exploité, le déséquilibre matériel offrira de meilleures chances de gain à l'adversaire.

 

Les parties débutant par un gambit sont souvent très rythmées, car le camp qui l'aura joué devra jouer énergiquement afin de ne pas perdre son avantage.

 

C'est dire que la décision immédiate de dissoudre l'Assemblée nationale prise par M. Macron à l'annonce des résultats de la consultation européenne du 9 juin 2024 pourrait bien relever d'un véritable calcul anticipé depuis longtemps déjà.

 

Car nous avons affaire à un véritable calculateur pour qui l'échec est tout, sauf une option, et qui pourrait bien avoir prévu, dans le cadre d'une nouvelle cohabitation avec le parti pressenti pour remporter les prochaines élections législatives, de le laisser précisément « arriver au Pouvoir », jouant sur une martingale plus qu'hasardeuse entre désir de laisser le RN « montrer ce qu'il sait faire », « se brûler les ailes » sur des mesures soit maladroites, soit inadéquates, soit incertaines et qui susciteront un tout autre débat, de telle sorte que le navire gouvernemental puisse réellement et finalement devenir impilotable, mettant finalement la France et son électorat devant un tout autre choix face au mur de l'élection présidentielle à venir.

 

Il est bien possible que nous assistions plutôt à une variante de l'adage précédent que de savantes étudesi présentent comme suit :

Quem Juppiter vult perdere, dementat prius.

Ceux qu'il veut perdre, il commence par les affoler préalablement.

 

Il commence en effet par les anesthésier en les précipitant dans un piège politique car rien ne l'oblige et ne l'obligeait à prendre pareille décision, sinon la volonté de « reprendre la main » politiquement et de donner une nouvelle impulsion politique avec l'idée de re battre et redistribuer les cartes.

A sa façon.

Comme d'habitude.

Sans compter peut-être que le contexte comme le paysage politique risque d'être compliqué.

Car s'il en est un qui a en effet peut-être compris quelque chose, c'est bien M. Mélenchon qui a probablement flairé une piste tout en armant un détonateur et en posant les termes d'un nouvel enjeu politique uniquement national.

 

 « La signification d’un tel événement n’est pas seulement politique, elle est morale. Ce sont pas des partis politiques qui s’affrontent, mais des façons de voir qui sont inconciliables.

 

La France, la nouvelle France, qui s’est constituée au cours des deux dernières générations, et qui s’est rassemblée dans les grands ensembles urbains a subi sans aucun doute un très grand revers », a-t-il dit.

 

« Mais dans cette circonstance, le président de la République n’a nullement mis son mandat en jeu, ce qui eut été une logique de situation, puisqu’il a choisi de dissoudre l’Assemblée, c’est à dire renvoyer chez eux les seuls à être légitimes. Mais il a eu raison de dissoudre, puisqu’il n’a plus aucune légitimité à continuer le système de la maltraitance sociale généralisée à laquelle il se livre », a-t-il clamé.

« Vous autres, le peuple des villes, des banlieues, il vous faut maintenant vous emparer du problème qui vous est posé, appropriez-vous la France ! », a-t-il clamé.

 

Chacun va donc s'approprier la France, sous les yeux d'un Jupiter amusé, prêt à tout, y compris à renverser l'échiquier faute de pouvoir continuer à jouer avec des pièces qu'il a perdues, comme il l'entend.

 

Les prochaines élections législatives auront lieu le 30 juin et 7 juillet 2024, le président de la République ayant dissous l'Assemblée nationale le 9 juin 2024.

 

iChabert Samuel. Juppiter Dementat. In : Revue des Études Anciennes. Tome 20, 1918, n°3. pp. 141-163.DOI : https://doi.org/10.3406/rea.1918.5160

www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1918_num_20_3_5160

 


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