Juppé chez Pujadas : piégé comme un bleu par Lenglet

par NAMASTE
jeudi 13 octobre 2016

Il s’agit du dialogue entre Alain Juppé et le journaliste François Lenglet au cours de « L’émission politique » présentée par David Pujadas sur France 2, le jeudi 6 octobre 2016 (1).

UN EXTRAIT DU PROGRAMME D’ALAIN JUPPE

Le rétablissement du plein emploi semble constituer le graal d’Alain Juppé. Parmi les mesures qu’il préconise pour atteindre cet objectif, on trouve notamment :

baisse de la pression fiscale sur les familles,

. supression de l’ISF, entreprises (charges patronales) et sur le capital,

. réduction d’impôt sur le revenu pour les

. plus un point sur le taux de TVA normal.

LA MANIP DE LENGLET

F. Lenglet se propose d’examiner l’incidence fiscale d’un tel programme sur 3 familles composées chacune de 2 parents et de 2 enfants.

Suite aux mesures prévues par A. Juppé, la première famille ( la fortunée : 200000 € de revenus annuels ) voit ses impôts passer de 26 à 22% de ses revenus quand le deuxième ( la moyenne : 60000 € d revenus annuels ) voit les siens passer de 6 à 2,5% de ses revenus. La troisième famille ( la modeste : 30000 € de revenus annuels ) ne paie toujours pas d’impôts mais va devoir laisser 150 € de plus au titre de la TVA.

Dans un petit effet de manche, F. Lenglet jette le symbole des 150 euros sur la paillasse des pièces à conviction. A. Juppé rétorque qu’il est plus facile d’alléger les impôts de ceux qui en paient beaucoup que de ceux qui n’en paient pas. Humour vraisemblablement mal compris voire mal pris ... Le candidat à la primaire LR eût sans doute joué un peu mieux en remarquant que le fisc demandait 22% de leurs revenus aux fortunés contre 2,5% aux moyens et une participation de 150 € aux modestes.

Il est dommage que quartiles, médianes et déciles n’aient pas été utilisés ce qui aurait permis de faire émerger les masses relatives, à l’échelle nationale, des gains et impôts de chacune des types de familles considérées.

Voilà pour les chiffres.

LES MOTS

Ensuite, viennent les mots, éculés mais toujours chéris, des idéologies.

David Pujadas brandit le glaive des inégalités alors que Léa Salamé s’alarme du fait que les riches vont devenir plus riches et les pauvres plus pauvres (refrain connu).

Avec ces envolées, on se croirait sur un préau électoral. Cela ne vole pas très haut mais il est indéniable que ça puisse plaire à ceux qui sont fâchés avec les chiffres comme à ceux qui préfèrent ne pas les voir pour fluidifier leur dialectique.

ECONOMIE GENERALE

Pour s’en sortir par le haut, Alain Juppé aurait dû hisser son discours à ces niveaux généraux où excellent les énarques.

En supposant que l’Economie soit une science, ce qui n’est nullement établi (2), elle n’est pas une science dure ou, si vous préférez, exacte. A vrai dire, l’histoire de l’Economie est jonchée de postulats ad hoc.

Ainsi, un tel va affirmer, sans même mentionner le pouvoir d'achat, qu’une réduction de la durée hebdomadaire du travail jointe à un avancement de l’âge de la retraite ne peut qu’amener une réduction drastique du chômage, comme si tout cela se ramenait à un problème d’arithmétique de CM2.

Alain Juppé, quant à lui, affirme qu’on pourra développer des entreprises créatrices d’emploi grâce aux investissements, en France, de ceux qui ont de l’argent. Il appelle ce postulat la « logique » de son plan 

Le regretté (3) Georges Marchais aimait à dire « Dl’argent, y’en na ». Comment ne pas être d’accord avec cette évidence quand on regarder autour de soi. Le seul problème reste alors de décider de ce qu’on veut faire du pactole. Faut-il ne rien chambouler par crainte du fameux proverbe chinois :

 Quand les riches maigrissent, les pauvres meurent (4)

Ou, au contraire, vaut-il mieux « assécher » les riches pour remettre les pauvres à niveau une bonne fois pour toutes. Semblables expériences ont déjà été menées on sait où et ne furent, semble-t-il, guère concluantes même si cet envoûteur de secrétaire général du PCF nommé plus haut tint la dragée haute à des millions de camarades pendant des lustres grâce à son génial « globalement positif ».

On peut aussi penser que les systèmes économiques ne sont pas figeables, qu’il existe une dynamique des faits socio-économiques entretenant un lent mouvement de balancier selon lequel certains s’enrichissent effrontément (5) dans un premier temps puis, dans un second temps, assistent au siphonnage (« restituent » dirait un marxiste) de leur trésor par les classes pauvres révoltées. La poule aux œufs d’or tardant à ressusciter, au bout du compte et de guerre lasse on revient au premier temps et tout recommence comme avant. Bref, ça ressemblerait à un processus de germination où les spores des riches resteraient patiemment planquées pendant le second temps. Pour ce qui est du cas français, sachons que :

 La France est assez riche pour sombrer lentement (6)

CONCLUSION

Ces jours-ci, la pub radiophonique nous fait entendre Jean d’Ormesson se demandant, d’un air quelque peu angoissé « Qu’est-ce que je fais là ? ». Pour chaque domaine où s’exerce l’esprit humain, il existe une poignée de questions fondamentales comme celle que se pose l’académicien. Personne ne devrait s’autoriser à pénétrer un domaine sans en avoir examiné préalablement les fondements. L’Economie possède aussi ses prolégomènes. Personnellement, je ne suis pas loin de penser qu’une partie significative d’entre eux se trouve contenue dans la formule suivante de John Stuart Mill :

 Les hommes ne désirent pas être riches mais être plus riches que les autres.

Nous voilà, pensez-vous peut-être, bien loin des 150 euros de Lenglet et de Juppé.

En êtes-vous bien certain ?

 

  1. On peut revoir cette émission, sur YOUTUBE, par exemple : (https://www.youtube.com/watch?v=1pXq2lJrQTk)

L’entretien avec F. Lenglet débute vers la 50ème minute et dure environ un quart d’heure.

  1. Bernard Marris ( "Oncle Bernard" de Charlie Hebdo, assassiné dans les locaux de l’hebdomadaire, le 7 janvier 2015) aurait dans doute apprécié.
  2. Qualificatif zemmourien, dans ce cas.
  3. En passant, trouve-t-on plus de vérité et de sagesse dans les proverbes traitant des riches et des pauvres que dans les postulats économiques ?
  4. « Sans vergogne aucune » dirait un moraliseur de gauche.
  5. Jacques Attali dans « Une brève histoire de l’avenir »

 


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