Karl Marx a-t-il beaucoup tué ?

par Sylvain Rakotoarison
samedi 5 mai 2018

« L’histoire de toute la société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. » ("Manifeste du parti communiste", 1848).



Délirant ! Le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker, citoyen d’honneur de la Ville de Trèves, se rend ce samedi 5 mai 2018 dans cette ville allemande située à moins d’une heure de route de Luxembourg pour inaugurer une statue de cinq mètres de haut de Karl Marx offerte par la République populaire de Chine. La raison, le deux centième anniversaire de la naissance de Karl Marx, le 5 mai 1818 à Trèves.

Il est vrai que, quoi qu’on pense du philosophe allemand, fondateur du communisme contemporain, il a été une personnalité marquante de son siècle et surtout, du siècle suivant, le XXe siècle. Est-ce suffisant pour venir le commémorer à grandes pompes au nom de l’Union Européenne ? Certains ne le pensent pas et se demandent maintenant si le 20 avril 2019, quelques semaines avant la fin de son mandat, Jean-Claude Juncker n’irait pas célébrer aussi le cent trentième anniversaire de la naissance de …Hitler, également personnalité marquante du siècle dernier, personne ne pourrait le nier.

Qu’importe finalement cette commémoration, sinon pour se demander si Marx était marxiste. Il semblerait qui lui-même aurait répondu par la négative quand il a vu la tournure que prenaient les premiers mouvements communistes, principalement en Allemagne, dans la seconde moitié du XIXe siècle.

L’équivalence Marx = Lénine = Staline = Mao serait historiquement très scabreuse, même si l’on pourrait dire que sans Marx, pas de Lénine, pas de Staline et pas de Mao. Cette équivalence donnerait le bilan du communisme depuis qu’il est apparu, à savoir plus d’une centaine de millions de morts.

Statistiques astronomiques pourtant difficilement contestables, la terreur léninienne, les purges staliniennes, la révolution culturelle maoïste, tout cela a fait beaucoup de mal à l’humanité en tant que telle et s’il existe encore quelques États qui se réclament officiellement du communisme, deux cents ans après Marx, c’est parce que c’est une devanture très formelle et assez hypocrite pour caractériser le capitalisme de la Chine (qui a mieux compris la globalisation que les Américains), les lubies parfois heureuses de Baby Kim ou encore la fin de la dynastie des Castro.

Le marxisme est-il le communisme ? Peut-être pas exactement, peut-être pas plus que le nazisme est du nietzschisme. Peut-être n’est-ce qu’une perception. Marx estimait en 1844 dans une phrase célèbre que la religion était l’opium du peuple. On pourrait le paraphraser en disant que le marxisme est l’opium des communistes.



Jamais un philosophe n’a eu sa pensée et son ressenti historique aussi tributaires des circonstances historiques ultérieures dont il n’était pas responsable personnellement. Il est probablement certain qu’il a dû se retourner plusieurs fois dans sa tombe en observant tout ce qui a été fait en son nom et au nom de sa pensée.

Pour autant, faudrait-il revisiter Marx au XXIe siècle ? En d’autres termes, proposer une lecture post-moderniste qui pourrait donner d’autres interprétations que le communisme politique tel qu’il s’est développé et qu’il a ravagé ces cent dernières années ?



À mon sens, non. Marx a certainement contribué à la construction de la pensée mondiale, mais je la trouverais aujourd’hui plutôt très archaïque, très passéiste. Le marxisme a été une analyse intéressante du capitalisme mais certainement pas une bonne réponse au capitalisme et surtout, à ses excès. Le principe même de la lutte des classes est obsolète dans l’état actuel de l’aboutissement (qu’on le juge déplorable ou acceptable) de la société de consommation qui est un hyper-individualisme égocentrique.

Le principe de la lutte des classes reprend en fait les vieilles lunes communautaristes mélangées à la sauce économique, avec toujours ce clivage entre "nous" et "eux". Nous les ouvriers, eux les bourgeois par exemple, mais on pourrait aussi dire nous les Aryens et eux les Juifs, ou encore nous les pauvres, eux les riches, nous les croyants, eux les infidèles, etc. Ce principe de lutte des classes est à l’opposé d’une société pacifiée et apaisée. Il souffle sur les braises de la différence au lieu de chercher les ponts, les points communs et la complémentarité des différences. Il est le contraire de l’esprit républicain. J’ajouterais aussi le contraire de la démocratie en ce sens qu’une démocratie doit défendre les minorités, les "eux".

C’est en ce sens que le marxisme reste, malheureusement, d’actualité, mais qu’il n’est qu’une idéologie tournée vers le passé et pas vers l’avenir. Le futur a besoin au contraire de coordonner les individus entre eux, dans une égalité complète de l’être et dans une distinction du faire. Où les caractères acquis seront plus importants que les caractères innés. Le futur a besoin de trouver de nouvelles synergies, de nouvelles solidarités. Les réseaux sociaux, aussi contestables soient-ils, donnent une première esquisse de ce genre de nouvelle synergie, beaucoup trop égocentrée, certes, mais nouvelle.

Rien n’empêche d’en créer d’autres, de les imaginer, de les essayer, mais pour cela, pour penser neuf, il faut déjà déposer le vieux, l’ancien, mettre les idéologies mortifères du XXsiècle au vestiaire, voire à la poubelle, et innover intellectuellement. Où sont donc les nouveaux philosophes de ce nouveau siècle ?


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 mai 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Les 200 ans de Karl Marx.
Le Capital de Karl Marx.
Totalitarismologie du XXe siècle.
La Révolution russe.


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