Karl Zero ou le populisme du Web 2.0

par Philippe Boisnard
vendredi 15 septembre 2006

Alors que Karl Zéro a stigmatisé les médias traditionnels audio-visuels lors de l’annonce du lancement de sa webTV, quel constat pouvons-nous faire, quelques jours après son 11 septembre ?

Lors d’un videopodcast chez Loïc Le Meur le 6 septembre (videopodcast que nous ne pouvons plus, d’ailleurs, consulter), Karl Zero expliquait que son site de webvidéos serait conçu comme un "YouTube ou DailyMotion mais avec seulement du contenu de qualité". Initiative intéressante, pour celui qui, après son éviction remarquée de Canal +, a décrié les médias traditionnels, stigmatisant, dans le sillage idéologique de penseurs comme Chomsky, la collusion entre les intérêts privés et les intérêts publics, martelant qu’ils ne peuvent être aucunement critiques, obligés qu’ils sont de se plier aux censeurs économico-politiques.

Certes, donc, l’initiative est intéressante ; toutefois il faut préciser qu’elle n’est pas nouvelle, que des médias alternatifs donnant accès à des vidéos qui montrent d’autres angularités que celles proposées par les médias traditionnels existent déjà sur le Web, à commencer par John-Paul Lepers, ancien du Vrai journal qui travaille actuellement sur la 5 pour Arrêt sur image de Daniel Schneidermann.

Cependant, après le lancement de son site de vidéos alternatives, devant montrer l’actualité autrement, de nombreuses questions peuvent se poser. Les huit premières vidéos qui ont été proposées, si elles semblent politiquement incorrectes - toutefois loin d’être pertinentes et de vraies pièces amenant à réfléchir - paraissent témoigner d’un glissement vers un populisme informationnel qui ne brille pas par son recul ni par sa critique. C’est ainsi que l’on peut voir une vidéo Who Killed John O’Neill qui, loin d’être nouvelle, se trouvait déjà sur Googlevidéo en traduction française, vidéo réalisée en 2004 par Ty Rauber et Ryan Thurston en tant que "dead art film", et déjà mondialement diffusée. C’est un docu-fiction, et non pas une enquête. Or, sans autre précision, Karl Zéro la diffuse comme une preuve inébranlable, insistant sur le fait que "les experts font figure de Pokémons et Lost c’est Babar à la plage" pour préciser ensuite que "puisque c’est l’anniversaire du 11 septembre, pourquoi ne pas parler intelligemment ?" Ce qui lui permet d’incriminer alors les médias traditionnels (à entendre comme officiels) en se demandant pourquoi ils n’ont pas diffusé cette vidéo.

Cela apparaît clairement : loin de proposer une approche critique et problématique sur le 11 septembre, ce qui permettrait peut-être de réouvrir le débat, comme avait voulu le faire Thierry Meyssan, avec le Réseau Voltaire, par son livre très documenté, et parfois nuancé de prudence, sur le Pentagone, Karl Zéro propulse avec un commentaire racoleur une vidéo, sans mise en question ou contradiction. On reconnaît bien là celui qui, lors du Vrai journal - qui pouvait cependant parfois présenter de bonnes enquêtes - avait lu la lettre de Patrice Allègre sans autre vérification que l’emportement de son scoop. De toute évidence, cette approche, loin de témoigner d’une déontologie quelconque, traduit davantage la nécessité pour lui de créer un buzz webmédiatique, afin de lancer son nouveau site.

Accompagnant ce premier flux, comme le remarque avec pertinence Tristan Mendes France sur son blog, nous pouvons voir une vidéo de la Banlieue s’exprime à propos de Doc gynéco, site qui, dans ses développements, est proche parfois de l’antisémitisme, derrière un antisionisme de façade (on y a retrouvé ainsi la liste des présentateurs juifs de la radio et de la télé française, qui avait été tout d’abord éditée par Les Ogres), et on y retrouve, et ceci sans contradiction, une vidéo issue d’un groupuscule d’extrême droite, vidéo qui tient davantage de la provocation que de l’information.

En bref, pour toute qualité informationnelle, Karl Zéro propose des vidéos déjà publiées ailleurs, et qui loin d’être à l’abri de toute critique, demanderaient, pour le moins, une présentation prudente de leur contenu.

De plus, Karl Zéro, expliquait dans son entretien avec Loïc Le Meur qu’il allait sélectionner les vidéos, afin de constituer une réelle qualité. Or, une question se pose, et ceci après l’expérience faite par Tristao, qui a posté un faux Loose change en parodie avec ce commentaire : "Cet agrégateur sent la conspiration à plein nez. Dommage. J’y mets une vidéo et une seule, peut-être la plus crédible de toutes ici... ;) Pour une critique du site de Karl (ça existe !) et son caractère conspirationniste", et ceci sans qu’il y ait de commentaires de Karl Zéro venant discuter ces allégations.

On peut dès lors se poser la question de savoir si la technologie d’éditions, fonctionnant sur le Web 2, et donc sur la possibilité de publier pour tout un chacun ses vidéos, n’empêche pas justement cette sélection, ceci permettant alors de pouvoir publier n’importe quelle vidéo. Y a-t-il un réel filtre ? Ou bien était-ce un effet d’annonce ?

Dans tous les cas, et pour reprendre les mots de versac, Karl zéro "ne fait pour l’instant que ramasser les sous-produits de la culture numérique, et se laisse instrumentaliser par ce qu’elle a de moins bon", et ce qu’il présente est un appel à ce type de fonctionnement.

Autrement dit, Karl Zéro manque un rendez-vous qui aurait été attendu par de nombreux internautes, rendez-vous que par exemple AgoraVox a su honorer à partir du journalisme citoyen, grâce à ses nombreux débats, notamment à propos de Loose Change. Si Internet est en effet un espace ouvert - tel que le précise Pierre Lagrange dans une très bonne interview avec Natacha Quester-Séméon sur Mémoire-vive - il nécessite cependant des outils critiques qui permettent de se garder de toute fascination, en interrogeant les fondements des différentes interventions qui s’y effectuent. C’est à cette seule condition que les initiatives du journalisme citoyen arriveront à trouver leur place et leur légitimité, et qu’elles ne seront pas systématiquement remises en cause, comme on a pu le voir dernièrement à travers le débat des blogueurs invités par l’UMP.


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