Karzaï, le Parrain de l’Afghanistan (2)

par morice
lundi 28 juin 2010

Dans le premier épisode, nous avons mis le premier pas dans la fourmilière du système Karzaï, en commençant par le rôle diffus de prédécesseurs dans le pays, des chefs de guerre locaux ayant eu à une époque une énorme importance tel Haji Juma Khan ou Haji Bashit Noorzaï. Tous deux évincés depuis, et remplacés par le plus jeune frère du clan Karzaï à la tête selon beaucoup d’observateurs d’un vaste réseau de drogue dans le pays à la façon dont les bootleggers dirigeaient Chicago en 1930. Aujourd’hui que l’on cherche des solutions, dans ce pays ravagé par la corruption mafieuse, un homme, pourtant, aurait pu servir d’intermédiaire entre les Talibans et le nouveau pouvoir en place. Il s’est retrouvé en prison, mais revient progressivement à la scène, Karzaï, comme les américains, s’acheminant vers la voie des fameux « talibans modérés ». Eux aussi vendeurs d’opium : dans ce pays, c’est simple, on ne peut échapper à la dictature du pavot.

On est alors en effet en 2002 : les américains ont l’homme qui pourrait chasser, par son influence, qui est grande, les deux principaux fugitifs qu’ils recherchent, leur permettant de les attraper plus facilement. Celui qui a appelé le FBI à la rescousse. Que font-ils ? Ils arrêtent Ahmad Mutawakil et l’envoient en prison ! Impensable situation, et pourtant bien celle qui s’est produite en 2002 ! En 2003 encore, Ahmad Mutawakil aurait encore été à Bagram, où Hamid Karzaï aurait souhaité le rencontrer, en vue d’un projet d’amnistie des talibans en cas de ralliement au pouvoir. Le fait est clair : les américains, en 2002 et 2003 ont tout fait pour... envenimer les choses avec les Talibans ! A peine Ahmad Mutawakil avait-il atterri à Bagram que Noorzaï, qui s’estimait trahi, était aussitôt reparti dans ses territoires pakistanais. Ahmad Mutawakil sera libéré après avoir passé 18 mois à Bagram, sans jamais avoir été inculpé de quoi que ce soit. Aujourd’hui libre, il doit être désormais gardé 24h sur 24, les talibans en ayant fait depuis un "traître" à leurs idées.
 
Le 7 avril 2009, il est interrogé par le Figaro, qui lui pose la question :" pensez-vous que les talibans seraient prêts à participer à un gouvernement réunissant diverses tendances ?", il répond : "ils ont appris beaucoup de leurs expériences. Ils ont reconnu leurs erreurs. De ces signaux, je déduis qu’ils seraient prêts à partager le pouvoir". Au ramadan 2008, on le retrouve comme négociateur auprès de Karzaï, le roi saoudien Abdallah, et le chef de guerre Gulbuddin Hekmatyar. Toujours en quête d’une réconciliation générale. Le 26 janvier 2010, le conseil de sécurité de l’ONU décidait de retirer les noms de cinq anciens responsables du régime Taliban de la liste de son Comité de Sanctions. Parmi eux, celui de Wakil Ahmad Mutawakil...une décision prise... avec le soutien efficace de Karzaï ! Et celui des Emirats !
 
Car il faut bien aussi trouver un débouché à la drogue, et il n’y a pas que les Etats-Unis. Dans un pays où l’opulence (passée) laisse derrière elle des modèles rares de Jaguar (une XJ220 !) abandonnées en pleine rue (*), l’héroïne est aussi prisée que dans la jet set européenne. "On suspecte qu’une grande partie de l’argent de la drogue du pays est envoyé à Dubaï, une base pour beaucoup d’Afghans riches. La semaine dernière il a émergé que plus d’un milliard par an en liquide a circulé hors de l’émirat. Plus tôt cette année, les fonctionnaires des USA étaient avaient vu un afghan en route pour Dubaï avec trois serviettes bourrées de 5 millions de livres. Des jours plus tard, le même homme a fait un trajet similaire avec la même somme," précise Rawa. Vers Dubaï, donc, ou vers... la Russie ! Via un nouveau pont, celui du Tajik-Afghan, construit par les américains, et qui mène direct à la frontière du Tajikistan ! Quatre tonnes de transit d"opium par jour, à peine avoir été inauguré !! 
 
Les liens entre Ahmed Wali Karzai et la drogue ont été révélés début 2005, et ont mis trois années à devenir la une du New-York Times. Qui en a freiné l’expression ? Leur révélation, au départ, était assez croustillante : les fichiers l’indiquant avaient été achetés par un journaliste sur un marché de Kaboul, revendus sur place après avoir été volés dans la base de Bagram ! Le fichier "confidentiel" parlait de "Tier One Warlords" ("les plus grands chefs de guerre"), et en citait surtout deux : Ahmed Wali Karzai et Abdul Rashid Dostum, responsable de l’armée afghane ! Le journal angais l’Independant ressortira les fiches le 13 avril 2006, ABC News le 22 juin, Associated Press le lendemain. Début 2006, c’est Newsweek qui avait enfoncé le clou : selon le magazine américain "Ahmed Wali Karzai est le gouverneur régional officieux du sud de l’Afghanistan et dirige l’ensemble de l’organisation du trafic". En ajoutant que " les diplomates Afghans bien informés estiment que jusqu’à un quart des 249 membres élus de la nouvelle législature sont liés à la production de stupéfiants et au trafic." Cela fait donc plus de cinq années que l’on savait à quoi s’en tenir avec lui... et avec le parlement croupion du pays.
 
L’irrésistible ascension de Wali Karzaï correspond donc exactement au déclin (par absence) de Noorzaï : les américains ont-il tout simplement installé le frère de Karzaï en place d’un chef de guerre dealer devenu trop puissant ou incontrôlable ? Ou d’un homme trop partisan de la réconciliation façon Mutawakil ? La coïncidence ou le croisement des deux parcours laissent en effet pas mal d’interrogations. En 2004, Bush juste réélu, il a été visiblement décidé de changer d’interlocuteur, question commerce du pavot. Et c’est le frère du président en place, agent de la CIA depuis 2001, qui a été sélectionné ! Superbe manœuvre ! Comme le précise MSNBC, aujourd’hui, il devient difficile de l’écarter, en raison de son appartenance à la CIA : "N’importe quelle décision au sujet d’Ahmed Wali Karzai est compliquée à prendre par son rapport avec la CIA, qui exerce toujours une grande présence à Kandahar". L’homme aurai rendu pendant des années "bien des services", à l’agence américaine. Ah, tiens, si les journaux US eux-mêmes le reconnaissent...
 
Il n’est pas le seul non plus à trafiquer : un des autres personnage-clé du système est une veille connaissance : l’un des plus proches adjoints du commandant Massoud, Qasim Mohammed Fahim, le leader du Panshir. Ancien ministre de la sécurité de l’éphémère président Burhanuddin Rabbani, après la prise de Kaboul par les Moudjahidines, souvent nommé comme responsable des massacres de chiites Hazaras sur son territoire, et de captations de leurs biens et de leurs territoires. Massoud n’avait pas que des gars biens comme amis. L’homme a toujours vendu de l’opium, même sous Massoud, qui, visiblement, fermait lui aussi les yeux : dès 2002 la CIA est certaine du fait. Il aurait pu devenir le successeur de Massoud, mais n’en n’avait pas l’intelligence. L’homme était surtout réputé fort brutal : il aurait ainsi arrêté, battu et presque tué Hamid Karzaï dans les années 1990, ce dernier avait eu la chance de voir éclater une roquette près d’eux pour s’échapper dans la confusion. En 2004, il deviendra néanmoins le second du "ticket" électoral de Karzaï... mais on lui demandera de s’effacer pour ne pas nuire à l’image du candidat : son trafic de drogue est bien trop voyant. Les gens qui font pression sur lui sont les américains, bien entendu. En 2009, rebelote, Karzaï en fait à nouveau son vice-président : là c’est Hillary Clinton en personne qui le force à se retirer. Les américains savent tout de l’entourage infréquentable de Karzaï ! Et Karzaï est constamment obligé de composer avec celui qui a failli le tuer un jour : une vraie situation de... mafieux.
 
Un autre candidat au titre de concurrent de Wali pointe aussi à Kandahar même. Gul Agha Sherzai, ancien gouverneur de la région de Kandahar et de Nangahar , de 1992 à 1994 et de 2001 à 2003. Tout de suite recruté par la CIA dès l’arrivée des américains, et vite repéré comme rançonneur de civils et comme trafiquant notoire, pourtant. Chef de guerre sanguinaire, n’hésitant pas à torturer ses opposants, il avait tout pour plaire, sans doute, aux envoyés de Fort Bragg ! Le cas typique de l’association services-secrets - tyran local. Un petit Pinochet, en quelque sorte : le candidat préféré de la CIA, à coup sûr ! Démissionné de son poste de gouverneur de Kandahar , il est nommé à celui de Nangahar. Là où en 2007, Haji Zahir, le commandant de la police des frontières de la province avait été surpris par les soldats canadiens en train de livrer 123,5 kilos d’héroïne vers la frontière pakistanaise. Il avait été simplement démis de ses fonctions, n’avait même pas été emprisonné ni inculpé ! En 2009, Karzaï absous les autres tenants de l’affaire, inculpés et même condamnés à 10 ans de prison : parmi eux, Bilal Wali Mohammed, neveu d’Haji Din Mohammed, ancien gouverneur de Kaboul devenu le chef de campagne de Karzaï lors de sa rééection !
 
Selon Michael Chossudovsky, de Global Research, la conclusion est limpide : "La politique étrangère américaine facilite le fonctionnement d’une économie criminelle en plein essor dans laquelle la démarcation entre le capital organisé et la criminalité du même nom est devenue de plus en plus floue. La production d"héroïne ne "remplit pas les coffres des Talibans" comme l’ont soutenu les États-Unis et la communauté internationale : bien au contraire ! Le produit de ce commerce illicite est la source de profits et de richesse, en grande partie destinés à de puissants groupes aux intérêts criminels dans les pays occidentaux. Ces intérêts sont soutenus par la politique étrangère américaine. Les décisions du département d’État américain, de la CIA et du Pentagone jouent un rôle dans l’appui à ce commerce très rentable de plusieurs milliards de dollars, le troisième en valeur après le pétrole et le commerce des armes". 
 
En 2008, en revanche, donc, changement de ton à 180 degrés par rapport à l’ère Bush : à peine choisie par Barack Obama, Hillary Clinton définit l’Afghanistan comme un "narco-état" ! Or qui dit narcotique, dit mafieux : la suite va nous prouver que c’est bien le cas en effet. 
 
(*) Des voitures abandonnées, on en dénombre plus de 3000 aux abords de l’aéroport de Dubaï. Des 4x4 en majorité, et des Mercedes. Argent facile, abandon des richesses tout aussi rapide. 

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