Karzaï, le Parrain de l’Afghanistan (11) : le rapprochement inéluctable avec les Talibans

par morice
mardi 13 juillet 2010

Il reste une solution, à Hamid Karzai, s’il veut rester en place ; et cette solution cela fait longtemps qu’il tente de la mettre en œuvre : c’est de se rapprocher des talibans... et de partager la manne de la drogue, ce qui ne devrait présenter aucune difficulté avec le frère qu’il possède. Les négociations durent depuis longtemps et n’ont surtout pas l’heur de plaire auprès des Etats-Unis. Ce qui donne des passes d’armes régulières entre eux. Karzaï, lui aussi, ne souhaite pas se faire doubler et a par exemple fait expulser des diplomates irlandais qui avaient tenté de faire la même chose. En bon mafieux, Karzaï désire contrôler le marché. Le tout est de savoir pourquoi donc les américains lui mettent des bâtons dans les roues dès qu’il tente un rapprochement. La CIA n’est jamais loin, on le sait, comme on sait aussi qu’une réconciliation générale serait aussi perçue par l’opinion américaine comme une défaite. On ne peut avoir diabolisé autant les talibans et aujourd’hui leur tirer le fauteuil de la table de négociation du pouvoir à Kaboul. Karzaï, s’il veut rester, a besoin des talibans : il l’a très bien compris, comme on a compris que l’incroyable charge US contre lui qui avait débuté cette série visait avant tout ses rapprochements en cours. Les américains avaient crû mettre en place une marionnette à la Maliki, ils se retrouvent avec un chef mafieux particulièrement rusé. Entre les deux, le divorce est patent. Mais les américains n’ont personne d’autre à mettre à la place...

Un rapprochement avec les talibans ? Karzaï n’en est pas à son premier. Il ne fait même que cela. Dès avril 2007, il en faisait l’aveu au New-York Times, en précisant qu’il avait nommé une mission de réconciliation dès 2005, mais qui excluait il est vrai le mollah Omar, jugé indésirable. L’année suivante on en apprenait davantage dans le Washington Independent. Une réunion dirigée par... l’un de ses frères, Qayum Karzai, qui avait réuni Maulvi Fazl Hadi Shinwari, à la tête du "Council of Clerics of Afghanistan" et deux chefs talibans : Mullah Wakil Ahmed Muttawakil, l’ancien ministre des affaires étrangères taliban, jugé modéré, et le mollah Abdul Salaam Zaeef (l’homme à l’I-Phone), qui au temps des talibans était leur amabassadeur au Pakistan. Depuis 2005, en fait, Karzaï n’a jamais cessé de rencontrer des talibans. Le journal confirmait alors une chose établie : la rupture prononcée entre Ben Laden et les talibans, connue dès début 2002, lors de la fuite de Tora Bora. Les combattants afghans n’ont donc rien à voir avec Al-Qaida, contrairement à ce que claironne alors le gouvernement Bush (et continue à claironner celui d’Obama-voire de Nicolas Sarkozy !). Le seul dirigeant taliban reconnu est le mollah Omar, rendu aussi invisible que Ben Laden avec qui il a donc rompu, les autres ne peuvent être que des "modérés". Le plus intéressant à noter étant qu’ Abdul Salaam Zaeef a passé quatre années dans les geôles de Guantanamo, où il a été torturé comme les autres... en 2002, on avait même annoncé sa mort sur la base... On discute donc sans vergogne avec d’anciens "terroristes" à l’uniforme orange, et cela ne dérangerait personne ?
 
Et qui discute ? Beaucoup de gens, ce qui ne plaît pas semble-t-il à Karzaï non plus : le 27 décembre 2007on apprend que deux diplomates Mervyn Patterson, un responsable anglais de l’ONU et l’irlandais Michael Semple à la tête de la délégation européenne en Afghanistan, sont explusés par le gouvernement afghan. Les deux avaient rencontré de hauts responsables talibans de la province d’Helmand, la plaque tournante de l’industrie du pavot. L’homme qui raconte leur expulsion à la presse n’est autre que le gouverneur Asadullah Wafa, qui sera obligé de partir sous la pression de l’armée anglaise, qui l’accusera de corruption et de trafic de drogue ! Les deux diplomates avaient-ils mis le pied sur la fourmilière de la famille Karzaï . C’est bien probable. Les talibans avaient dû leur dire ce que faisait le frère Wali, sans nul doute. Selon la presse anglaise, à ce moment là non plus Gordon Brown, soi-disant, ne négociait pas... Négocier avec les talibans ? Personne n’ose alors l’avouer. Mais beaucoup le fond en sourdine...
 
Ainsi, le 28 septembre 2008, le Guardian révèle que les pourparlers menés par Zalmay Rasul, l’envoyé de Karzaï, sont assez avancés, et qu’ils sont sponsorisés par l’Arabie Saoudite, ce que confirmera Zaeef, un pays qui joue les intermédiaires entre le gouvernement Afghan et la direction des talibans. Mais qu’aussi des "capitales européennes" sont dans le coup. La surprise venant de la révélation de la position française, officiellement à mille lieues de celle que dévoile le journal angais. "La semaine dernière, le Premier ministre français, François Fillon, visait indirectement les pourparlers lors d’un débat parlementaire sur l’Afghanistan. "Nous devons étudier les moyens de séparer les djihadistes internationaux de ceux qui agissent plus par nationalisme ou pour motifs tribaux. Les efforts dans ce sens sont menés par les pays sunnites [musulmans], comme l’Arabie saoudite" nous dit le Guardian. Rasul a fait ses études en France, puis dans une école sponsorisée créée en 1931, du temps du roi Amanullah Khan, une école appelée alors Amania et devenue depuis Istiqlal. C’est Georges Pompidou en personne qui avait posé la première pierre de l’école en 1965, à Kaboul ! Dans le lot des personnes approchées par Karzaï figue aussi Gulbuddin Hekmatyar (ici à la gauche de Massoud, 2eme en bas à droite), dont le mouvement du Hizb-i-Islami ou HIG (pour Hezbe Islami Gulbuddin) avait été le premier pourtant a revendiquer l’attaque contre les dix soldats français... En mars 2010, il se retrouvait une virginité auprès des américains, également : à la recherche d’un pendant à Al Capone, ils auraient bien pris un James Colosimo à la place.
 
Le 21 septembre, pourtant, Nicolas Sarkozy "réaffirme l’engagement en Afghanistan" nous disait le Figaro, en répondant vertement dans une lettre adressée aux parlementaires de gauche qui avait osé critiquer sa position. Un Sarkozy lyrique, déclarant notamment "Je crois qu’il est particulièrement important que la représentation nationale (...) exprime à nos soldats et au peuple afghan le soutien clair qu’appelle leur courage face à la barbarie"... la "barbarie" étant bien entendu talibane... avec lesquels des émissaires français sont en train de discuter, au même moment... soit le président français n’est pas au courant des démarches de son premier ministre, soit il s’apprête dans ce cas à se rapprocher de la "barbarie" qu’il dénonce. Il faut dire que le mois qui précédait, à la célébration des obsèques des dix soldats tués, son ricanement obscène au milieu de son discours en avait laissé plus d’un pantois.
 
Quelque chose cloche en effet dans les déclarations françaises : le président ne peut dire à la fois « Cet engagement est d’une importance cruciale pour notre pays ». C’est un « enjeu majeur », pour trois raisons : « lutter contre le terrorisme », « lutter pour les valeurs humanistes », « pour les hommes et les femmes qui n’aspirent qu’à reconstruire leur pays dans la paix après les années de souffrance (..) du fait des Talibans » et en même temps affirmer que "nos responsabilités vis à vis de la communauté internationale et du peuple afghan font que nous resterons aussi longtemps que nécessaire et si le gouvernement démocratique d’Afghanistan le souhaite"... le fameux gouvernement étant alors en pleine discussion de paix avec ces mêmes talibans ! 
 
En 2009, les discussions continuent, donc, avec cette fois notamment le mollah Abdul Ghani Baradar, chef de guerre local vivant au Pakistan, comme l’avait si bien conté Sarah Daniel du Nouvel Obs, qui avait rencontré avec une facilité déconcertante celui qui se vantait d’avoir organisé l’attaque meurtrière contre les soldats français, dans la vallée d’Uzbin. On découvrait avec elle, et les journalistes italiens, que dans un bon nombre d’endroits, avec les talibans, à défaut de négocier avec eux, on leur payait une sorte de dime pour ne pas être attaqué. Les discussions avec Baradar, leader du Quetta Shura étaient très avancées, comprenant aussi son second, Abu Waqas, lui discutant à Karachi même, et une bonne dizaine de dignitaires talibans prêts à déposer les armes.... contre des compensations sonnantes et trébuchantes. L’argent de la vente du pavot sert à tout. Et ce mollah Baradar, on comprend mieux pourquoi il effectuait ses discussions au Pakistan... 
 
L’homme avait déjà été arrêté en effet il y a neuf ans de cela, puis relâché, par intervention pakistanaise : "en novembre 2001, alors que les forces des talibans s’effondraient après l’invasion américaine, le mollah Baradar et plusieurs autres hauts chefs talibans ont été capturés par les combattants des milices afghanes alliées des États-Unis. Mais des agents de renseignement pakistanais sont intervenus, et le mollah Baradar et d’autres dirigeants talibans ont été libérés, selon un haut fonctionnaire de l’Alliance du Nord, le groupe d’Afghans allié des États-Unis." L’homme, réputé plutôt "modéré", avait donc été relâché grâce à l’ISI, les services secrets pakistanais. Arrêté par le même organisme, il l’est à nouveau en pleine négociation de reddition avec Karzaï : à la surprise générale, tout le groupe est en effet arrêté en février 2010... par l’ISI ! Dans une "opération conjointe avec la CIA", dont l’un des directeurs avoue au New-York Times ne pas même connaître le nom d’ Abdul Ghani Baradar avant son arrestation !
 
C’est donc très certainement un grossier mensonge et ça se confirme aisément : la presse américaine avait été prévenue avant l’arrestation, la CIA lui ayant demandé de ne pas l’ébruiter avant une date précise. Pour Karzaï, c’est un coup dur. Il était sur le point de réussir son pari, celui d’intégrer des talibans dits "modérés" au sein de son gouvernement. Le 15 mars, Hamid Karzaï le fait savoir par voie de presse : on a bel et torpillé sa prochaine jirga, celle où il devait annoncer le ralliement de talibans. Quand il la fera, en effet, en début de ce mois-ci, l’explosion de bombes à l’extérieur de l’enceinte le rendront fou furieux : il se doute bien qui tente de saboter sa réunion... et ce ne sont pas nécessairement les talibans qui en sont à l’origine ! Et ça, il s’en doute ! La CIA veille à lui faire savoir...
 
« Tout le monde, de Karzaï aux Américains, parle d’avoir eu des discussions avec les talibans », affirme Rahimullah Yusufzai, un journaliste pakistanais, expert de l’insurrection. La grande différence, c’est que Karzaï, via ses frères Walid ou Qayum, le fait moins discrètement que les américains ou les européens... Al Capone a, il est vrai aussi, beaucoup donné de son temps pour discuter avec ses bandes rivales avant d’en éliminer les chefs un à un. Tout le monde, donc, cause aux talibans, y compris ... Barak Obama : le 25 janvier 2010, à "l’International Conference on Afghanistan in London", le représentant spécial U.S. Richard Holbrooke le laisse clairement entendre . "Karzaï a annoncé un "grand, nouveau programme" destiné à réintégrer les combattants talibans dans la société afghane, et Holbrooke a déclaré à Londres à la conférence que "nous affirmons notre soutien international à cela." Pour cela, Holbrooke a développé un argument massue : "La raison d’être du programme de réinsertion est que "plus de 70% des gens qui se battent avec les talibans ne sont pas idéologiquement engagé avec al-Qaida, les Taliban, at-il dit. « Font la lutte pour des griefs locaux, ou parce qu’ils ont été trompés sur les fins de ... la présence de l’Alliance en Afghanistan », et "qu’il n’y a pas de programme de satisfaisant pour les inviter à revenir au bercail." Ok, pourquoi pas : mais comment a y arriver avec d’une part la corruption qui fait fuir tout le monde des négociations et avec le torpillage éhonté des négociations entamées par Karzaï ? Qui tire véritablement les ficelles en Afghanistan ? Visiblement, ce n’est ni Karzaï (mais plutôt la mafia de son frère) ni le pouvoir d’Obama : la CIA et le Pentagone, la main dans la main, sans hésiter, qui font tout pour maintenir le plus longtemps possible un statu quo qui satisfait ceux qui veulent s’enrichir : les compagnies privées, les milices, qui se font des c... en or avec les contrats mirobolants que leur signe... le Pentagone, les yeux fermés (sans appel d’offres !) : l’état dans l’état, qui décidé de la politique extérieure à la place du président. En tout cas, avec Holbrooke, on redécouvre ce qu’on savait déjà : les talibans, ça a fort peu à voir avec Al-Quaïda et Ben Laden.... et c’est le représentant du pays qui fait la guerre là-bas qui le confirme !
 
Les américains sont en Afghanistan à cause de quoi, au fait, officiellement ? Ne serait-ce pas après des attentats si surprenants, dont l’Amérique n’avait jamais eu vent des mois avant qu’ils ne se produisent ??? Pas exactement comme l’affirmait alors candidement le NYT le 16 mai 2002, et plutôt tout l’inverse même : "’l’avertissement de la C.I.A peut aussi expliquer pourquoi les conseillers de M. Bush étaient si certains que M. Ben Laden était derrière les attaques presque aussitôt après qu’elles se soient produites. ’’Nous n’avons jamais eu vraiment de doute,’’ a a déclaré il y a plusieurs mois un haut fonctionnaire impliqué dans les décisions cruciales sur le 11 septembre à la Maison Blanche "... aurait-on alors laissé des pékins ne sachant pas manipuler un manche de Boeing laissé croire qu’ils en savaient assez pour foncer à 940 m/h dans des tours où à 4 m du sol seulement ??? Et après l’horreur effectuée, annoncer à la cantonade que l’auteur c’était bien Ben Laden, tout juste réfugié en Afghanistan, et que pour le déloger, c’est simple... il fallait donc envahir l’Afghanistan ? Comme quoi, il n’y a pas que la gouvernance de Karzaï qui raconte des bobards...
 
 
 
sur la Quetta Shura c’est ici le bon document :
 
http://www.unautre.net/texts/taliban
 
 

Documents joints à cet article


Lire l'article complet, et les commentaires