Katrina : Quand commença l’agonie de l’Amérique

par Pierre JC Allard
lundi 31 août 2015

Il y a dix (10) ans, aujourd’hui, les digues craquaient à New Orleans et, sur fond de blues aux airs de requiem, le déclin de l’Amérique entrait en phase terminale. 

 Avant Katrina, on savait déjà que ça n’allait plus aux USA, mais on attendait encore un sursaut. Apres, Il n’y a eu que des subterfuges, des prières pour une rémission, un miracle auquel ceux qui aimaient le patient ne croyaient plus qu’à moitié d’abord… puis plus du tout. Obama, qui allait marcher sur les eaux….s'est enfoncé, puis plus rien que l’agonie à laquelle nous assistons.

Beaucoup à l’époque n’ont pas compris tout le sens de Katrina, l’arrivée de la désespérance, quand on s’aperçoit que le mal ne vient pas des autres ou du destin, mais qu’il est en soi Je crois qu’il est bon, dix ans plus tard, de relire ce que j’écrivais de Katrina au moment de la catastrophe. Voici. 

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NEW ORLEANS : QUAND LES DIGUES CÈDENT

 

New-Orleans, a toujours vécu dangereusement. Iberville, Bienville, Laffite. Elle est née et a grandi dans une cuvette, 2 ou 3 mètres sous le niveau des eaux s'en remettant à des digues pour ne pas être inondée. Les digues ont tenu bon si longtemps, qu'on en est venu à croire que l'on était à l'abri des vents et marées. À l'abri des ouragans. Bien des experts ont dit, à maintes reprises, que New Orleans était " une catastrophe qui ne demandait qu'à arriver", mais bof ! Est-ce qu'on arrête la fête, simplement parce que les experts ont des états d'âme ? Jazz, Bourbon, Julep, Easy City !

" Katrina" a passé et a fait céder les digues. Déjà des centaines, sans doute des milliers de morts, et il est improbable que New-Orleans ne redevienne jamais ce qu'elle était. On peut reconstruire les édifices, mais on ne fera plus confiance à ces digues. On n'oubliera pas que, quand on en avait le plus besoin, elles ont été emportées par les éléments. On ne dort pas tranquille quand c'est une digue qui a déjà cédé qui vous protège. On se voit en dessous, avec toute cette eau par-dessus

Quel que soit le nombre de victimes à New-Orleans, la première dont il faut marquer le deuil, c'est la crédibilité de l'Amérique. Les USA sont apparus comme un pays sans chef, un bateau à la dérive dont tous les officiers sont en goguette. A rêver jazz, bourbon, julep... ou Irak, Afghanistan, Al Qaeda, ce qui, quand le navire est en péril est une distraction tout aussi condamnable. La crédibilité de l'Amérique ne redeviendra pas ce qu'elle était. Pas avant que l'on n'ait tout changé, ou que ne soit arrivée à l'âge mûr une génération qui n'aura pas connu Katrina.

On peut blâmer Bush, la FEMA, le Gouverneur ou le Maire, mais la réalité, c'est que tous ces gens et tous les autres autour d'eux, tous ces gens qui ensemble constituent l'ÉTAT se sont défilés et que, sapée par les bêtises et le manque d'éthique de l'administration Bush, cette digue d'autorité et de compétence qui doit protéger une nation, a simplement cédé. Quand on en avait le plus besoin, elle a été emportée par les événements.

Personne ne s'est préoccupé d'évacuer New-Orleans. On leur a dit de partir, puis l'on s'en est remis à la pensée magique. La pensée magique que QUELQU'UN, QUELQUE PART allait s'en occuper. Pas soi, un autre. Chacun a rempli le bout de rôle de sa description de tâche, puis s'est empressé de prouver aux médias qu'il avait fait sa part, mais personne n'a cherché une solution, personne n'a tenté de FAIRE quelque chose.

Peu de gens sont morts dans la tempête ; à 19 heures, on annonçait que le pire était passé ! Les digues ? Quelles digues ? Puis l'eau a monté et, pendant des jours, on a eu ce spectacle hallucinant de quelques hélicoptères rescapant quelques personnes sous les caméras de CNN, pendant que les autres crevaient. Alors que n'importe quel Indien de l'Amazone aurait pensé à construire des radeaux de fortune et à quadriller la ville en ramassant tout le monde. La haute technologie ne peut pas remplacer l'intelligence ; elle peut la faire oublier

Pour le transport des réfugiés, personne n'a pensé à réquisitionner les autobus de la Greyhound. Pas plus que les taxis : ils n'ont jamais entendu parler de la Marne. Pas plus que de lancer un appel aux simples citoyens, lesquels conduisent pourtant bien plus d'un million de grosses voitures dans un rayon d'une heure de route de la catastrophe. L'auraient-ils fait, d'ailleurs, qu'il est bien improbable qu'ils auraient eu la compétence logistique de gérer l'opération. L'ineptie et la désorganisation de ceux qui sont intervenus après Katrina ont été stupéfiantes. L'Amérique a été incapable de gérer une simple distribution de cartes de débit.

Pour l'hébergement, personne n'a pensé à ouvrir les bases militaires, les écoles, les églises, les édifices publics. Personne n'y a pensé, ou a-t-on simplement craint que tous ces noirs et ces pauvres salissent les parquets ? Comme il semble bien que l'aient craint les citoyens de la petite banlieue bien blanche et proprette de Gretna, dont les policiers ont arrêté, les armes à la main, les rescapés de New-Orleans qui voulaient se réfugier chez eux. Charité chrétienne ? Fraternité ? Simple humanité ? À la télévision, oui ; dans ma cour, non. Alors Superdome, Astrodome... le scénario des Rwandais sur les terrains de foot de Goma. On a violé et l'on a tué - toujours des noir(e)s, bien sûr - dans les stades américains, pendant qu'une Garde Nationale blanche rigolait et tirait des bouteilles d'eau dans la foule comme des bananes dans un zoo.

Ce n'est pas seulement l'État américain qui a craqué. Ce sont tous les lieux communs, les a prioris, les idées réconfortantes d'une Amérique compétente, riche, organisée et surtout SOLIDAIRE qui ont été balayés. Balayés à la face du monde entier. L'Amérique croyait avoir exorcisé les vieux démons du racisme, des inégalités de classe et de richesse ; elle croyait avoir convaincu le monde qu'elle l'avait fait. Mais l'Amérique bien pensante a réagi à la crise de New-Orleans avec arrogance, intolérance et une abyssale incompétence. Toutes les digues des formations réactionnelles soigneusement apprises et politiquement correctes ont sauté et l'Amérique a vu qu'elle vivait plusieurs metres sous le niveau de la plus élémentaire décence.

Comment un citoyen américain noir, latino, autochtone peut-il aujourd'hui se sentir protégé ? Comment peut-on lui demander sérieusement d'aller se faire trouer la peau pour la patrie en Irak, alors qu'il a vu l'Amérique de l'individualisme et de la religiosité bigote l'ignorer totalement quand il en avait besoin ? Comment un Africain, un Sud-américain un Arabe peut-il avoir du respect pour l'Amérique ? Même la dernière digue, celle de la crainte révérencielle de la puissance américaine est battue en brèche.

Quand une administration décente sera revenue au pouvoir, l'Amérique pourra reprendre le leadership des nations démocratiques. Pour que l'Amérique retrouve sa dignité, il faudrait que Bush et des douzaines d'autres qui l'entourent aient, eux, la dignité de se démettre. Je n'ai aucun espoir qu'ils le fassent. 


 

Pierre JC Allard


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