L’aboyeur privé, perroquet gouvernemental

par morice
mercredi 23 juillet 2008

En ce moment, à la télévision, avec ce Tour de France, on a la tête comme une calebasse tous les jours. Un des présentateurs dont le nom m’échappe ne commente pas : il hurle. Pour rien, il hurle. Pénible que cet aboyeur de la télévision publique, qui doit avoir des problèmes d’audition, ce n’est pas possible. Pénible. Remarquez, être aboyeur, c’est aussi un métier. Ça l’a été très longtemps, et avec les temps qui courent, ça revient même au premier plan.

Car des aboyeurs, il y en a toujours eu, ou presque. Dès l’instant où l’on avait un régime qui se définissait comme au-dessus de la plèbe, il a fallu trouver des intermédiaires. Parler directement au peuple, c’était obligatoirement de la condescendance, le roi ne pouvait parler en direct à la populace. Les rois de France introduisent dans la tête des gens l’idée qu’ils sont des extraterrestres, ou tout comme, pour asseoir leur emprise sur la populace. Le roi est non seulement l’élu de Dieu, il a aussi le sang bleu. C’est invérifiable pour le commun des mortels : le seul à s’approcher des veines royales c’est son médecin personnel, qui va passer sa vie à la charmante occupation consistant à humer dès le matin les urines ou les défécations du souverain, à le saigner et à le clistèriser. A mort : Louis XIII en mourra, épuisé. Quand ce n’est pas noter sur un petit cahier les premières érections royales. Tant qu’on ne lui coupe pas la tête, à ce roi, on ne peut donc pas vérifier qu’il n’est qu’un être humain comme les autres. Ce sera fait le 21 janvier 1793, et pour les raisons que l’on vient de vous donner : le seul moyen de changer de régime, c’est de démontrer que ses assises sont fausses. Pas de sang bleu, pas d’écrouelles, pas de sélection divine, le régime s’effondre. Le roi n’est qu’un serrurier endimanché. Et les révolutionnaires pas nécessairement sanguinaires, même si après ils vont faire dans la décapitation industrielle.

Avant de trancher le problème, donc, cette royauté absolue qui ne daignait pas mettre le nez dehors, ou si peu, ou qui se poudre de blanc pour se distinguer du serf hâlé (c’est tout l’inverse aujourd’hui !), s’adressait parfois à son entourage... par personnes interposées. A la Cour ça se bouscule tellement pour venir mettre la dernière couche de cirage journalier sur la pompe royale que l’on est un peu obligé de faire du rangement et des listes d’attente. Parfois, pour rencontrer le roi, on utilise l’organisation d’un bal. Le bal a remplacé la joute de chevaliers moyenâgeuse, où un héraut clamait avant la rencontre les prouesses des combattants. Un crieur de CV chevaleresques, en quelque sorte, les trois quarts bidonnés, c’était déjà la mode. Un bal, c’est moins d’énergie à dépenser : depuis le XIIIe siècle surtout, les rois sont devenus un tantinet bien fainéants, pire que ceux des siècles précédents qui avaient laissé leur empreinte au point de devenir génériques.

Un bal, donc, comme ça le roi fait d’une pierre deux coups ; il ne s’ennuie pas, et discute quinze secondes avec qui il veut : un conseiller, un intrigant ou la jeunette sur lequel il a déjà jeté son dévolu (soigneusement annoté par le médecin, qui ne rate pas une seule manifestation de bossage de culotte royale). Pour faciliter l’agenda du monarque, on lui organise une présentation orale des invités... comme ça, ceux-là aussi peuvent savoir qui les méprise ou qui leur marche sur les pieds dès que le roi surgit. Comme le roi ne peut pas tout faire, au contraire même, tant on le ménage, on a recours à un individu, qui va donc énoncer les titres des invités du bal royal. Et comme la Galerie des Glaces est grande comme un hall de gare TGV, on le surnomme vite l’aboyeur. Habillé en majordome, il énonce du mieux qu’il peut les noms de la noblesse de l’époque, les atomisant parfois, une soirée de bal au XVIIe ressemblant effectivement à une véritable chambre à particules.

Très vite, l’homme acquiert une certaine notoriété, surtout s’il arrive à glisser dans la présentation une remarque grassement payée. Tout un art. C’était déjà du lobbying, n’ayons pas peur des mots. Cette tradition, puisque c’en est devenue une, restera pour tous les spectacles futurs, l’homme sur le trottoir vantant cette fois le contenu du bâtiment : cinéma, théâtre, etc. A Paris, aujourd’hui, de candides touristes se font harponner sur les trottoirs devant le Lido, le Moulin Rouge, ou d’autres spectacles moins reluisants par des aboyeurs modernes d’un tout autre style, plutôt costards gris, cheveux gras, lunettes noires. Les aboyeurs du XXIe siècle, chargés désormais de vendre leur soupe et non plus d’énoncer à la cantonade le nom du japonais qui vient de se faire harponner à regarder trop longuement deux frou-frous et quatre plumes dans le derrière. Ils étaient déjà réapparus au début du siècle, pour tout dire, aux temps du Chat noir de Bruant, de Toulouse Lautrec ou d’Yvette Guilbert, l’ancêtre de Carla Bruni. Aujourd’hui, dans les soirées parisiennes branchées, on fait à nouveau appel à eux. Avec des vedettes parmi elles, comme Calixte de Nigremont l’animateur mondain par excellence. Pas dépourvu de talent, notre aboyeur-faiseur.

Résumons : l’aboyeur, sorte de présentateur à la Lucien Jeunesse ou à la Julien Lepers des jeux royaux est devenu en trois cents ans à peine un vendeur de cravates au parapluie, un de ces bonimenteurs comme on en trouve sur les marchés, toujours prêts à vous vendre en lots le bidule en plus dont vous n’avez bien sûr pas besoin. L’aboyeur moderne est donc devenu, c’est clair un attrape-gogos. Vantant les mérites d’un produit auquel il ne croit pas lui-même, mais dont il vit grassement en errant de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel, profitant de sa verve pour séduire la donzelle subjuguée par ses talents et... l’épaisseur de son portefeuille. L’homme est un charlatan, et il sait bien au fond de lui-même, mais en profite le plus qu’il peut...



Aujourd’hui que la République est conduite par un vendeur de cravates se prenant pour un monarque, il est logique d’y trouver des aboyeurs royaux. Des gens que l’on va envoyer éructer sur d’autres, ce qui évitera au prince concerné de le faire. C’est plus discret dans la forme, ça l’est moins dans le fond. Notre homme s’appelle Frédéric Lefebvre. A côté, ses deux acolytes, Dominique Paillé et Chantal Brunel, les deux autres porte-parole de l’UMP, ne pèsent pas lourd dans les médias : on ne les entend pas. Lui, si, et de quelle manière ! La raison de son poids actuel ? Une indéboulonnable amitié avec la présidence, et le fait d’être enfin devenu député à la faveur de la nomination d’André Santini au ministère : c’était son suppléant. Devenu donc également maire-adjoint de Garches, "en charge de la jeunesse, des sports et des grands évènements". Son style de porte-parole est un peu différent de celui d’une Rachida Dati, qui en son temps... ne disait rien, sinon des bourdes. Lui, c’est plutôt le lance-missile présidentiel, qui aurait dû défiler au milieu des armes de destruction massive proposées ce 14 juillet. Jugez-en plutôt :

Juste après l’incendie du centre de rétention de Vincennes, il accuse les associations venues soutenir les étrangers d’en être responsables : "Il n’est pas tolérable que des ’collectifs’, type RESF (Réseau éducation sans frontières) viennent faire des provocations aux abords de ces centres au risque de mettre en danger des étrangers retenus". Encore un peu, et devant les centres on devrait n’avoir que d’innocents touristes japonais.

Au sujet de la mainmise présidentielle, son tact légendaire ne fait qu’un tour en proposant d’oublier tout ça, car il est "temps que l’équipe de Patrick de Carolis se mette au travail", ce qui laisse entendre qu’elle n’en fiche pas une ramée. C’est bien connu, ces fichus fonctionnaires ça ne bosse pas.

Le jour où Ségolène Royale se fait tancer par un conseil de Prud’hommes, notre président, en conseil des ministres, relate Le Canard, trouve que les médias n’en ont pas assez parlé. A croire que contrairement à ce qu’il avait pu faire dire pendant la campagne électorale, elle reste son adversaire principal. Qu’à cela ne tienne, il y a un aboyeur sur place. Et très vite il aboie... sur l’AFP, censée avoir minimisée les communiqués vengeurs de l’UMP à propos des déboires... Royaux. "L’AFP censure l’UMP, c’est ce que nous avons pointé dans notre communiqué. L’AFP a repris l’UMP seulement après que nous avons diffusé notre communiqué dans les rédactions…" Notre homme fait toujours dans la même dentelle. Ah, ce n’est pas Fillon qui rappelons-le avait commencé sa carrière par... un stage à l’Agence France-Presse à Paris en 1976... Rien n’échappe à son ire, même pas la SNCF. Les opposants faisant de "mauvais procès".

Il n’hésite pas à s’attaquer aux caissières de supermarché qui auraient l’outrecuidance de réclamer des emplois qui ne soient pas au rabais. Auquel cas ces menaces directes pleuvent alors sur leurs employeurs et sur les "exos de charge" pour les entreprises de la grande distribution qui ne passeraient pas au temps partiel"... A bon entendeur, la grande distribution n’a plus qu’à se mettre au garde-à-vous, et les caissières une diminution... d’horaires.

Evidemment, pareil aboyeur est incapable de tenir sa laisse. Le bout d’une grève qui pointe, et voilà les gauchistes de Mai-68 qui en sont à l’origine, pour sûr. "La gauche pousse des cris d’orfraies et feint de s’étonner que le président de la République tienne les engagements pris devant les Français. Il faut qu’elle s’habitue à ce que le président fasse ce qu’il dit ! Empêcher les blocages du pays et les prises en otage des usagers des services publics lors des conflits sociaux, c’est tout simplement respecter les libertés des Français, celle d’aller et venir, celle de travailler ou celle du libre accès à l’école". Bref, on le voit, avec un pareil porte-voix, Nicolas Sarkozy peut faire l’économie d’une grossièreté ou d’un emportement par jour : suffit de lâcher au bon moment la bête dépourvue de muselière...

Les derniers aboiements en date sont les phrases assassines sur le cas du cambriolage sur Ségolène Royal, où l’individu la traite à mots couverts de folle celle qui a brigué le suffrage universel… la dame n’en était pas à son premier, comme on l’a déjà évoqué ici, et avait déjà laissé entendre chez Drucker qu’il y avait derrière une nuisance souhaitée et téléguidée... quand ce n’est pas l’aide de la police, qui retrouve subitement une coupable ignorée pendant deux ans. Mais, pour Lefebvre, ce n’est pas le problème, "puisqu’à lui aussi c’est arrivé". Propos invérifiable, à moins de se coltiner toutes les mains courantes des commissariats où il a vécu. C’est le type d’argument lancé à la volée, et dont on sait en le disant que personne n’ira le vérifier. Lefebvre n’a peur de rien, à peine de lui-même. Il fait partie d’un staff, se sent protégé en haut lieu, et se permet donc tout. Comme le dit justement Marianne, "Lefebvre, c’est le retour de La Firme", vous savez ce film fabuleux de Sydney Pollack où l’on assiste à la mainmise de quelques-uns sur une personne et l’installation d’un système de broyage de l’individu

L’homme qui s’adresse à ces militants les mains dans les poches n’a en réalité aucune tenue, à l’image de son mentor et employeur. L’homme des cravates à pois sur chemises à carreaux est à l’image de la société qu’il souhaite mettre en place. Celle de la veulerie, celle où tous les coups sont permis, pourvu qu’au bout seuls quelques-uns ramassent la mise. Un clanisme s’installe avec lui, il en est le grand thuriféraire. La République devient un lobby comme un autre, prête à se vendre au plus offrant. Et pas avec des manières de bien élevé.

Or notre vendeur de cravate n’est pas que porte-parole. L’homme est le fondateur de Pic Conseil, société dont il était toujours actionnaire alors qu’il était déjà place Beauvau, dans le bureau d’un ministre de l’Intérieur de l’époque. Avec Stéphan Denoyes (l’ancien assistant parlementaire de Christian Estrosi, devenu celui de son suppléant, Charles Ange Ginesy) il dirigeait en même temps une société de lobbying vantant les mérites de l’alcool et du tabac aux députés français. Tout en travaillant au ministère... L’acronyme de sa société prête fortement à sourire, aujourd’hui : PIC, c’est en fait les initiales de Perroquet institutionnel communication… Le président a choisi depuis longtemps d’avoir un perroquet comme porte-parole. Et le problème des perroquets, c’est que ça vit longtemps.

Que faire donc d’un aboyeur, me direz-vous une fois la fête finie ? Ou comment s’en débarrasser, le jour où il aura été trop loin, ce qui ne va plus beaucoup tarder, au rythme effrayant de ses monstrueuses sorties actuelles ? Le mettre sur orbite est une solution à laquelle on peut penser naturellement : la petite chienne soviétique envoyée en 1957 dans l’espace, pour ne jamais en revenir, s’appelait Laika. Ce qui, en russe, signifie "aboyeur". Comme à Kourou, en ce moment, on prépare un pas de tir de Soyouz, l’idée est fort tentante je l’avoue... En plus ça tombe bien, le premier tir est prévu pour la fin de cette année... Le carnet de lancement est bien rempli. Reste pile une fenêtre à partir de mai 2012... Voilà qui tomberait à PIC...


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