L’abstention en question
par Lucchesi Jacques
samedi 26 juin 2021
Avec un taux d'abstention record, ces élections régionales et départementales nous disent bien la nécessité de faire évoluer notre système politique.
Dimanche dernier, lors du premier tour des élections régionales et départementales, 66,3% des électeurs inscrits ont boudé les urnes. Autrement dit, deux électeurs sur trois ne se sont pas déplacés, ce qui fait le plus fort taux d'abstention, toutes élections confondues, de la Cinquième République. Certes, ces deux scrutins sont moins déterminants que les présidentielles et les municipales, mais ils ont aussi leurs enjeux et de possibles répercussions sur le vécu quotidien des citoyens. Comment, dès lors, ne pas essayer de comprendre ce désintérêt grandissant pour la vie publique ?
Notons tout d'abord que l'abstentionniste a été un jour un électeur actif. S'il ne l'est plus, c'est que quelque chose s'est passé en lui. Quelque chose qui ressemble à une crise morale et qui lui a fait prendre conscience de l'inanité de son geste républicain. En s'abstenant de voter – car l'abstention est aussi un choix - , il dit qu'il ne croit plus à la possibilité de changer l'ordre du monde par cette voie. Un sentiment d'impuissance, certainement, mais aussi un sentiment de colère : que vaut la voix d'un citoyen une fois l'élection passée ? Les partis le courtisaient, les médias lui rappelaient sans cesse l'importance et la dignité de son vote. Et voilà que son champion maintenant élu, il n'a plus aucun moyen de contrôle sur son action publique pendant six ans ; il ne peut plus le joindre s'il veut lui soumettre une question, lui exprimer une doléance. Entre l'électeur et l'élu, il y a un écart que la modernité et sa complexité administrative n'ont fait qu'accroître ; un écart comparable à celui du tiers-état et de la noblesse dans l'Ancien Régime ; à ceci près qu'en république, c'est le peuple qui fait la noblesse de ceux qu'il porte au pouvoir. On vote pour un programme et des idées mais, ce faisant, on favorise pertinemment les hommes et les femmes qui les défendent et qui finissent souvent par les occulter. C'est là tout le problème de la démocratie représentative.
Cette lutte des places, cet acharnement à conquérir ou conserver un poste contre vents et marées, ont pris en PACA une dimension à nulle autre (région) pareille. On peut dire que sa dramaturgie s'est déroulée en pleine lumière. Il y a d'abord eu l'alliance de Renaud Muselier – président LR sortant – avec LREM, accord vite abandonné. Devancé de quelques points au premier tour par Thierry Mariani, son frère ennemi du RN, il a bien sûr appelé solennellement au pacte républicain, y compris des formations de gauche qui n'ont aucune chance de figurer, en cas de succès, dans la composition de son prochain conseil. Seule voix discordante, celle de Jean-Laurent Félizia, candidat de EELV qui, avec 15% des suffrages exprimés, entendait se maintenir au second tour. Cela nous aurait donné une belle triangulaire et une plus large donne électorale. Mais de tous côtés – et d'abord du sien - sont venues les objurgations à se retirer pour ne pas faire le jeu du RN : entendez surtout pour ne pas gêner la course à la victoire de monsieur Muselier. C'est ce qu'il a fini par faire deux jours après avoir pris et annoncé sa décision frondeuse. Et la démocratie, une fois de plus, s'est inclinée face aux calculs électoralistes, annihilant du même coup la saveur de ces élections régionales.
De telles stratégies, on le comprend bien, ne peuvent être que démoralisantes pour des électeurs qui privilégient avant tout la sincérité et le dévouement à l'ordre public chez les candidats. Ils savent bien que la rhétorique républicaine d'un Renaud Muselier cache mal ses ambitions personnelles - en quoi il mérite d'être désavoué. Avec de tels professionnels de la politique, l'abstention a encore de beaux jours devant elle. D'ores et déjà, elle nous invite à reconsidérer notre système représentatif et à évoluer vers un modèle plus participatif si nous voulons sortir de cette apathie citoyenne.
Jacques LUCCHESI