L’affaire DSK, ce désastre judiciaire et médiatique

par Paul Villach
mercredi 31 août 2011

Un non-lieu vient de mettre un terme au volet pénal de l’affaire DSK, le 23 août 2011. Certes, la victime supposée a engagé une procédure civile. Il n’empêche que l’affaire pénale lancée avec fracas, le 14 mai dernier, s’achève par un revirement spectaculaire à la hauteur de la mise en scène honteuse que lui avaient réservée la police et la justice américaines, relayées par la plupart des médias officiels du monde entier. Du coup, c’est un procès nouveau qui s’ouvre, celui de la justice et des médias. D’ordre éthique et intellectuel, il ne saurait s’achever par un non-lieu.

Un repentir de la Justice qui n’efface pas sa faute
 
- Une justice capable de repentir
 
Sans doute la justice américaine a-t-elle su reconnaître son erreur, trois mois après. Elle a abandonné toutes poursuites contre celui qu’elle a cloué au pilori devant le monde entier. C’est à son honneur. Mesure-t-on ce que ce repentir signifie pour un procureur qui était au début de l’affaire si certain de la culpabilité de DSK qu’il exigeait à son encontre les mesures les plus rigoureuses : « (…) Si nous ne pouvons pas croire [la plaignante] au-delà de tout doute raisonnable, écrit-il dans ses réquisitions, nous ne pouvons pas demander à un jury de le faire. (…) Nous sommes confrontés à une situation dans laquelle il était devenu progressivement clair que la crédibilité de la plaignante ne peut résister à la plus élémentaire évaluation. (…) Nous ne pouvons être suffisamment certain de ce qui s’est réellement passé le 14 mai 2011. (…) Dans quasiment tous les entretiens essentiels avec les procureurs, en dépit d’invitations à être simplement sincère, [la plaignante]  n’a pas été sincère, sur des questions majeures ou mineures, beaucoup ayant trait à son histoire personnelle, quelques unes aux circonstances de l’incident lui-même. (…) » (1)
 
Dans « l’opération Dreyfus », l’armée française et la justice ont mis des années avant de réhabiliter le capitaine Dreyfus en 1906. C’est indéniable, cette capacité à reconnaître son erreur rapidement est une qualité de la justice américaine.
 
- Des usages indignes d’une démocratie
 
Mais ne s’épargnerait-elle pas pareille bévue dévastatrice pour elle-même et ses victimes si elle respectait tout simplement la présomption d’innocence en s’interdisant des usages abjects. La sortie du commissariat du prévenu menotté entre deux policiers sous les caméras des médias préalablement ameutés (2), tout comme son entrée au tribunal sous les huées orchestrées d’un syndicat du personnel hôtelier (3), sont en démocratie des mises en scène indignes d’une police et d’une justice qui font d’ « un présumé innocent » « un coupable présumé ».
 
- Un mal irréparable
 
Police et Justice ont beau reconnaître leurs erreurs trois mois plus tard, le mal est fait et de façon irréparable. DSK a dû démissionner de son poste de directeur du FMI et renoncer à se présenter à l’élection présidentielle française, sans compter l’indélébile flétrissure qui frappe celui dont la réputation est ainsi salie. Car, on n’y peut rien, nombre de gens adhérent au proverbe imbécile « Il n’y a pas de fumée sans feu », même si un bon tas de fumier peut faire l’affaire.
 
- Une machination ?
 
On en vient dès lors à se demander si tel n’était pas le but de cette affaire. Dans ce cas, se poserait alors la question de savoir si l’accusatrice a été l’agent stipendié d’une machination fomenté par des instigateurs tapis dans l’ombre (3). Mais, dans le pays où l’assassinat du président Kennedy reste encore mal élucidé 50 ans après, pourra-t-on le savoir un jour ?
 
Une nouvelle faillite des médias officiels
 
- Une soumission aveugle à l’autorité
 
Les médias officiels ont, de leur côté, rivalisé d’incompétence ou de partialité jusqu’à l’indignité. Soumis aveuglément à l’autorité par réflexe, ils ont été les porte-voix de l’autorité institutionnelle. La parole de la police et de la justice reste pour eux parole d’Évangile. Aucun doute méthodique ne les effleure. Ils jouent un rôle de simples répétiteurs des informations livrées par le pouvoir.
 
- La plus élémentaire prudence écartée
 
Pourtant, était-il si difficile d’observer que la procédure américaine a la particularité de faire entendre dans un premier temps la seule version de l’accusation ? Jamais celle de DSK n’a été exposée.
 
- Celui-ci s’est contenté de nier farouchement par deux fois les crimes qu’on lui imputait, d’abord dans sa lettre de démission au conseil d’administration du FMI, le 19 mai, puis dans un courriel à ses anciens collaborateurs de l’institution, le 22 mai.
 
- À ce jour, on ne connaît toujours pas sa version des faits. Seules ont été rendues publiques les contre-mesures tactiques qui visaient à neutraliser les accusations portées : une relation sexuelle reconnue mais qualifiée de consentie mutuellement et un chantage financier allégué, exercé par l’accusatrice à l’issue de la prestation sexuelle. Or, il se peut très bien que, dans le cadre d’une machination supposée, ces contre-arguments soient éloignés d’une réalité, que l’accusé était alors dans l'incapacité de prouver. On attend avec intérêt à ce sujet les déclarations que DSK a promis de faire à son retour en France. 
 
Comment des professionnels de l’information n’ont-ils pas été capables de tenir la balance égale entre les deux hypothèses contraires susceptibles de résoudre l’énigme posée par cette affaire ? (4) Ce n’était pourtant pas sorcier. On l’a fait soi-même dans un livre publié trois semaines après l’événement, précisément intitulé, « L’affaire DSK : deux hypothèses pour une énigme  » (5). Les événements ont validé cette approche prudente de l’information.
 
- Des médias aveuglés par une mythologie de l’information insensée
 
On ne voit que deux solutions à cette faillite des médias : ou une inféodation aux pouvoirs dont ils ne seraient que les hauts-parleurs, ou une incompétence notoire en matière d’information. On pencherait pour la seconde solution. La profession journalistique est aveuglée par une mythologie de l’information insensée qu’elle répand depuis des lustres pour asseoir son crédit et que l’École et l’Université enseignent en toute inconscience. Elle est dès lors condamnée à reproduire sans cesse les mêmes erreurs : la soumission aveugle à l’autorité institutionnelle paralyse tout doute méthodique, comme on l’a vu précédemment dans « l’affaire Baudis » et « l’affaire d’Outreau ».
 
Même quand un journal réputé sérieux se targue de mener soi-même l’enquête, c’est pour confirmer l’information officielle de la justice et de la police : le New York Times s’est vanté d’avoir mis sept journalistes sur la piste de l’accusatrice ; les conclusions de ces experts étaient formelles : Mme Diallo était une femme au-dessus de tout soupçon !
 
DSK contre les médias accusés d’avoir violé sa présomption d’innocence ?
 
On se prend à rêver. Ne serait-il pas salutaire que, désormais pénalement innocenté, DSK se retourne contre les principaux médias qu’il pourrait accuser d’avoir violé le principe de sa présomption d’innocence : le Wahington Post et le Daily Mail en tête qui ont atteint des sommets d’indignité (6), les grands hebdomadaires français (7) , France Inter (8) , et même Le Canard Enchaîné (9), ce parangon de la vertu journalistique. Ce ne serait pas pour de l’argent, puisque DSK n’en manque pas grâce à son épouse, mais pour, avec les dommages et intérêts susceptibles d’être obtenus, constituer le capital d’une fondation qui enseignerait les rudiments de « la relation d’information », puisque ni l’École ni l’Université, gagnées à l’insensée mythologie journalistique de l’information, n’ont pas la compétence pour le faire.
 
L’affaire DSK ouvrirait alors une période nouvelle. L’éducation des citoyens contraindrait les médias à la prudence. Il n’est tout de même pas difficile dans une affaire, quelle qu’elle soit, d’attendre de disposer des versions de l’accusateur et de l’accusé pour se déterminer ou suspendre son jugement. On propose que cette fondation de rêve fonde sa charte sur la ligne de conduite adoptée par Descartes dans son « Discours de la méthode » de 1637 : « (…) Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c'est-à-dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute. » Fontenelle pourrait aussi être utilement mis à contribution : ces conseils, tirés de «  La dent d’or » dont il relate l’aventure dans « L’histoire des oracles  », parue en 1687, seraient aussi bienvenus : « Assurons nous bien du fait, écrit-il, avant de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens, qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point. » Paul Villach
 
(1) Procureur C. Vance, « Recommandation for dismissal, Aug 22 2011  »
« If we do not believe (the complainant) beyond a reasonable doubt, we cannot ask a jury to do so (…) We are confronted with a situation in which it twas become increasingly clear that the complainant’s credibility cannot withstand the most basic evaluation. (…) We cannot be sufficiently certain of what actually happened on May 14, 2011. (…) In virtually every substantive interview with prosecutors, despite entreaties to simply be truthful, (the complainant) has not been truthful, on matters great and small, many pertaining to her background and some relating to the circumstances of the incident itself.  »
 
(2) Paul Villach, « La photo de DSK menotté : le pilori américain avant jugement  », AgoraVox, 17 mai 2011
 
(3) Paul Villach, « DSK : deux barbares chorégraphies pour une redécouverte de l’Amérique !  », AgoraVox, 8 juin 2011
 
(4) Paul Villach, « DSK : l’hypothèse d’une machination  », AgoraVox, 16 mai 2011
 
(5) Paul Villach,
- « Affaire DSK : avis de débâcle en vue pour la Justice et les médias officiels  », AgoraVox, 4 juillet 2011
- « Affaire DSK : « la chute » et « la descente aux Enfers » des médias traditionnels ?  » AgoraVox, 8 juillet 2011
 
(6) Pierre-Yves Chereul, « L’affaire DSK : deux hypothèses pour une énigme  », Éditions Golias, juin 2011. 
 
(7) Paul Villach, « DSK : la presse populacière et la manipulation des esprits  », AgoraVox, 10 juin 2011
 
(8) Paul Villach, « DSK condamné en couverture de six hebdomadaires avant tout jugement  », AgoraVox, 23 mai 2011
 
(9) Paul Villach, « Le coup de pied de l’âne de France Inter à DSK  », AgoraVox, 24 mai 2011
 
(10) Paul Villach, « DSK : quand « Le Canard Enchaîné » ne fait pas sourire… », AgoraVox, 20 mai 2011

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