L’affaire du SMS : le silence aussi est une information

par Paul Villach
lundi 10 mars 2008

Interrogée comme témoin, le 7 mars 2008 par la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte sur plainte déposée le 7 février 2008 par le président Sarkozy pour « faux, usage de faux et recel », après la publication par Le Nouvel Observateur-nouvelobs.com d’un supposé SMS qu’elle aurait reçu de son ex-époux, le 2 février, à quelques jours de son remariage avec Mme Carla Bruni, Mme Ciganer-Albeniz a nié l’avoir reçu, selon le Nouvelobs.com du 8 mars.

Auditionné le 21 février, le journaliste du magazine qui avait pris l’initiative de la publication de ce SMS, avait soutenu que, s’il n’avait pas “vu de ses yeux vu ce qui s’appelle vu” le SMS incriminé, il s’était fondé tout de même sur des témoignages verbaux fiables.

Un démenti tardif

La dénégation de Mme Ciganer-Albeniz met sans doute à mal la défense du journaliste pour confirmer le bien-fondé de la plainte de son ex-époux. Si elle a bien été conservée par l’opérateur téléphonique, la liste des appels de l’abonnée peut permettre de trancher entre les deux versions. En attendant, cependant, un problème demeure. La publication du SMS est du 6 février et Mme Ciganer-Albeniz a attendu sa convocation par la police pour le démentir le 7 mars. Un mois s’est écoulé. Pourquoi tout ce temps perdu quand il s’agissait d’étouffer dans l’œuf une information venimeuse qui tendait à discréditer le président de la République, en le présentant comme un adolescent immature à l’affectivité perturbée alors qu’à la tête du pays, il dispose de pouvoirs considérables qui peuvent engager l’avenir sans retour ?

La fiabilité de l’information extorquée

Le plus simple n’était-il pas, dès la parution de ce SMS, de publier un communiqué qui démente aussitôt l’existence de ce SMS et coupe court à tous les commentaires qu’il pouvait susciter ? Pourquoi cette abstention et ce risque pris de laisser courir des rumeurs insanes ? Mme Ciganer-Albeniz s’était montrée plus prompte en janvier dernier à réagir quand elle a tenté vainement de faire suspendre par la justice la parution d’un livre de la journaliste Anna Bitton, auteur du livre Cécilia, portrait. Il est vrai que le résultat de son action en justice a été de donner au livre une publicité accrue, en lui conférant le statut d’information extorquée et donc fiable dans la mesure où les critiques qui lui étaient prêtées et qui accablaient son ex-mari, avaient l’air d’être révélées à son insu et contre son gré.

S’est-il agi de ne pas rééditer l’opération en préférant répondre par le mépris à une information inepte pour ne pas lui donner du crédit par la répétition, fût-elle négative ? Pourtant, invitée de Musique de stars d’Ollivier Bellamy, sur « Radio classique », entre 9 et 11 heures, ce même vendredi 7 mars, où selon le principe de l’émission elle faisait entendre, en tant qu’arrière-petite-fille d’Albeniz, ses musiques préférées, elle a tenu à faire connaître sa stupeur de voir publier des biographies à son sujet sans que les auteurs songeassent à recueillir préalablement auprès d’elle la confirmation de conduites ou de propos qu’on lui prêtait. Or, sans en avoir l’air, pouvait-elle mieux confirmer la fiabilité des informations extorquées livrées par ces biographies et accroître leur attrait, puisque, a contrario, une biographie autorisée est une information volontairement donnée et donc peu fiable puisque, passée au crible de l’esprit critique de l’émetteur, elle écarte toute révélation susceptible de lui nuire ?

Le silence est aussi une information

Mme Ciganer-Albeniz peut-elle en outre ignorer que le silence gardé est une information ? Descendante d’un grand compositeur espagnol, n’aurait-elle jamais entendu parler de Miguel de Unamuno qui, dans des circonstances autrement plus tragiques de la guerre civile d’Espagne, et au risque de sa propre vie, en avait formulé le principe, le 12 octobre 1936, dans l’amphithéâtre de l’université de Salamanque dont il était le recteur, en présence d’un des chefs nationalistes les plus fanatiques, le général Millan Astray, dont le discours venait d’être ponctué par ses partisans d’un slogan répugnant « Viva la muerte ! » : « Vous êtes tous suspendus à ce que je vais dire, s’était-il écrié.Tous vous me connaissez, vous savez que je suis incapable de garder le silence. En soixante-treize ans de vie, je n’ai pas appris à le faire. Et je ne veux pas l’apprendre aujourd’hui. Se taire équivaut parfois à mentir, car le silence peut s’interpréter comme un acquiescement. » (1)

À défaut, Mme Ciganer-Albeniz doit connaître le proverbe : « Qui ne dit mot consent ». En se taisant, alors que son ex-époux démentait fermement par voie de justice l’existence de ce SMS dont elle était tout de même la première à pouvoir nier la réception pour ainsi clore l’incident, pourquoi a-t-elle gardé le silence pendant un mois ? L’être vivant est ainsi fait qu’il ne peut pas ne pas diffuser d’information, qu’il parle ou qu’il se taise. Le silence n’est même pas un refuge pour tenter d’échapper à cette diffusion continue d’informations qui émanent continûment de lui.

Ce silence gardé pendant un mois éclaire donc d’une lueur singulière sa dénégation d’aujourd’hui. Le paradoxe est qu’un démenti qui survient si tardivement perd de sa fiabilité et tend même à conférer à l’objet du démenti une fiabilité qu’il s’agissait d’anéantir. La relation d’information recèle bien des surprises : on peut vouloir interdire un livre pour lui donner plus de crédit et donc plus d’attrait et de notoriété, comme on peut démentir trop tardivement un SMS pour en accréditer l’existence, qu’il existe ou non. Paul Villach

(1) Après son discours, M. de Unamuno a été aussitôt assigné à résidence et il est mort trois mois plus tard.


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