L’affaire Plantu, Sarkozy, les médias : pressions et autocensure
par Thomas Guénolé
mercredi 2 mai 2007
L’idée est dans l’air : « Sarkozy a fait pression sur les grands médias pour qu’ils ne relayent pas le débat Royal-Bayrou. Il a aussi essayé de faire pression sur le dessinateur Plantu ». Il y a bien les pressions directes de Nicolas Sarkozy. Mais le vrai problème, c’est que les grands médias français s’autocensurent.
Plantu racontait récemment que Nicolas Sarkozy lui avait téléphoné pour se plaindre des mouches que le caricaturiste fait voler autour de sa tête quand il le dessine. Le candidat de l’UMP lui avait fait part de son incompréhension, et l’invitait à une rencontre pour s’expliquer. Ce n’est pas une pression directe, puisqu’il n’y a pas eu de menaces sur le dessinateur. C’est en revanche une pression indirecte. En effet, si la direction du journal « Le Monde » ou Plantu lui-même avaient été lâches, ce coup de fil du candidat de l’UMP aurait eu pour conséquence la disparition des mouches sur les dessins concernés, au mépris de la liberté d’expression.
Cela ne signifie pas que Nicolas Sarkozy s’abstient de pressions directes. Citons un cas connu : suite à la une de Paris Match montrant l’épouse de Nicolas Sarkozy avec son amant (appelons les choses par leur nom), un coup de fil du candidat de l’UMP au principal actionnaire du journal avait eu pour conséquence le limogeage de son rédacteur en chef, Alain Genestar.
Dans tous les cas, Nicolas Sarkozy, étant un grand professionnel de la politique, est systématiquement en mesure de se justifier face aux critiques. Dans le cas Plantu, il peut avancer qu’il n’a fait qu’inviter le dessinateur à une discussion cordiale. Dans le cas Genestar, il peut reprendre l’argument du principal actionnaire du journal justifiant officiellement le limogeage de M. Genestar, à savoir la baisse des ventes du journal sous la direction de ce dernier.
L’on peut estimer que ce sont des excuses valables. L’on peut également estimer qu’il n’est de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
Cela étant, ces cas abondamment commentés de pressions explicites ne doivent pas masquer un phénomène médiatique beaucoup plus grave : l’autocensure à laquelle se livrent les journalistes de nombreux grands médias. Autocensure, parce qu’ils se censurent d’eux-mêmes, sans que le candidat de l’UMP ait besoin de faire pression. Le motif de cette autocensure est simple : plusieurs grands médias sont la propriété d’actionnaires qui, par ailleurs, dépendent des commandes de l’Etat dans d’autres activités. On peut citer l’exemple de Bouygues, actionnaire principal de TF1 et dépendant des commandes de l’Etat dans ses activités de BTP. On peut également citer l’exemple de Dassault, actionnaire principal du Figaro et qui dépend des commandes de l’Etat dans ses activités d’armement. Ces grands actionnaires ne peuvent se permettre de contrarier le favori de l’élection présidentielle. Les journalistes qu’ils salarient n’ont donc pas besoin d’ordres pour s’autocensurer, par manque de courage, plutôt que de risquer d’être licenciés ou placardisés sous tel ou tel prétexte officiel.
Les pressions directes et indirectes du candidat de l’UMP sur les médias sont une atteinte à la liberté d’expression. Mais le problème de fond, le seul qui compte, est que des actionnaires qui dépendent de l’Etat dans certaines de leurs activités soient par ailleurs propriétaires de grands médias. Plutôt que de critiquer Nicolas Sarkozy, la véritable urgence est donc de militer pour une loi de séparation excluant du capital des grands médias les actionnaires qui dépendent par ailleurs des commandes de l’Etat dans d’autres activités.