L’Algérie française - De 1830 à 1954 - Volet n° 1

par Nicole Cheverney
jeudi 7 juillet 2022

 

A l’abdication de Charles X, en 1830, au lendemain de la prise de la Régence d’Alger par le corps expéditionnaire commandé par le Général de Bourmont, l’instabilité politique intérieure en France devient quasi permanente. A l’aube de la Monarchie de Juillet, Bourmont a fait place nette en Algérie, après la reddition du Dey Hussein et des Janissaires.

«  Au lendemain de la conquête, tout reste à faire ». Une période de flottement va suivre la victoire française, à Paris comme en Algérie. Louis-Phillipe a pris le pouvoir et les libéraux louis-phillipards attendent pour prendre le problème à bras le corps, laissant les militaires sur le terrain s’occuper administrativement de ce territoire nouvellement conquis, à défaut d’y installer un « gouvernement pérenne ».

Louis-Philippe, surnommé le « roi bourgeois », laisse aller les choses et se désintéresse du «  branle-bas du débarquement  », qui, vraisemblablement n’a pas marqué les esprits au plus haut sommet de l’État.

Or, c’est l’Angleterre qui va être le déclencheur de l’intérêt soudain de Louis-Philippe pour l’Algérie. La Grande-Bretagne use de toute sa diplomatie – coutumière du fait – pour manipuler depuis Londres les politiciens marionnettes français.

Elle persuade la France de « jouer ses cartes en Algérie », mais en contrepartie, elle lui demande de fermer les yeux sur le conflit entre la Hollande et la Belgique – (siège d’Anvers).

L’Angleterre sait pertinemment que la France ne nourrit aucune ambition territoriale ni en Belgique, ni en Hollande. Mais les Anglais réputés assez retors ont analysé la mentalité de Louis-Philippe. Il n’est pas un foudre de guerre, il n’a pas l’âme conquérante, mais plutôt celle d’un boutiquier, il porte sur les évènements des analyses superficielles. Les Anglais – en apparence – ne s’intéressent pas à l’Afrique du Nord, prétendant laisser à la France, les mains libres.

Sous le regard de la « perfide Albion » qui scrute ses décisions, il en va pour lui de « l’honneur national », face aux Anglais.

On le somme de faire preuve d’esprit d’initiative. Plusieurs milliers de soldats français stationnent en Algérie, parmi des populations autochtones très diverses, désunies, promptes au coup de feu, « dépourvues de structures politiques et d’organisation moderne ».

Louis-Philippe est conscient – renseigné par son Etat-Major et par ses diplomates, que « d’autres envahisseurs » seraient prêts à prendre la place des Français et combler le vide gouvernemental. Son entourage le presse et lui conseille « l’utilité » de terminer l’œuvre entreprise.

Louis-Philippe sous pression décide donc de « garder sa conquête  ».

Tout comme Charles X, le nouveau monarque a de nombreux opposants et ennemis de sa politique libérale. L’Algérie servira à se débarrasser d’une population qu’il a du mal à maîtriser si ce n’est à mater, en l’envoyant loin de Paris et de la France, de l’autre côté de la Méditerranée.

L’implantation va s’opérer à l’intérieur du territoire, dans les beylicats d’Oran et de Constantine.

L’installation des premiers colons ne se fera pas sans douleurs, sans drames et dans des difficultés extrêmes pour ces Français non-habitués à un climat éprouvant, malsain, pour les civils comme pour les militaires. Ils « paieront de leur santé, sinon de leur vie », l’implantation dans des secteurs du pays « insalubres et pestilentiels ».

Un témoignage en 1842 décrit l’état de santé de ces paysans cultivateurs, défricheurs : «  Boufarik était la localité la plus mortelle d’Algérie. Les visages des rares habitants échappés à la fièvre pestilentielle étaient verts et bouffis. Bien que la paroisse eût changé de prêtre en trois fois, en un an, l’église était fermée ; le juge de paix était mort, tout le personnel de l’administration civil et militaire avait dû être renouvelé et le chef du district, resté seul debout, avait été investi de toutes les fonctions par le décès ou la maladie de tous ses titulaires. »

Mais cela n’arrête pas pour autant les candidats à l’implantation. Il s’installent en Algérois, dans la Mitidja, au Sahel, en Oranie, à Bône et Philippeville.

Avec les risques de maladies, de fièvres paludéennes, ils doivent aussi faire face à l’insécurité dans tout le pays. Ils continuent malgré tout les travaux d’assèchement des marécages dans « des conditions d’hygiène déplorables ».

Les difficultés s’accumulent.

La première, sera d’ordre militaire. Louis-Philippe s’est décidé pour une « occupation restreinte ». C’est-à-dire, « conquête progressive « . Il prône une conquête par secteurs. Mais n’ayant à sa disposition aucun plan global de prévu, les contours de ces secteurs ne sont justement pas déterminés.

Un plan global de conquête et d’occupation, n’ayant pas été fixé pralablement, les militaires vont mettre des années à occuper tout le terrain. Loin d’être une partie jouée d’avance. Les chefs militaires ne connaissent rien au terrain africain. Les corps expéditionnaires découvrent petit à petit que « l’Afrique n’est pas l’Europe », tou y est différent, le climat, la topographie, la mentalité des autochtones, leur façon de guerroyer, leur armement, équipement, etc. Les Français voient arriver sur eux, des hommes aguerris, courageux, spartiates, connaissant parfaitement le terrain.

Voici la description d’un témoin de l’époque de ces cavaliers farouches et hors pair : « … cavaliers au teint fauve, aux vêtement flottants, aux longs fusils, criant, hurlant, arrivant de toute vitesse de leurs chevaux, debout sur les étriers, la bride au vent, les mains libres, faisant feu sans s’arrêter puis tournant court et, toujours au galop, rechargeant leurs armes. Puis revenant à l’attaque pour se dérober encore et, par les tours et retours de ce va-et-vient perpétuel, s’efforçant d’étourdir et de décourager l’adversaire... ».

Le premier Gouverneur Général Clauzel, tente de se concilier les Chefs des tribus des territoires voisins d’Alger. Mais ceux-ci opposent aux Français une franche hostilité. De part et d’autre, des combats sans merci se livrent.

Les corps expéditionnaires français gagnent de jour en jour du terrain.

Le 31 octobre 1838, les termes officiels de « possession française dans le Nord de l’Afrique » sont supprimés au profit du nom « Algérie » qui deviendra le terme officiel pour désigner le pays.

Les résultats des Français sur le terrain, convainquent suffisamment Paris. Les valses-hésitations font place à un réel enthousiasme, de la part de la France.

C’est à ce moment-là qu’apparaît Abd – El – Kader.

Né en 1808, près de Mascara, issu d’une famille de dignitaires religieux, son père est Marabout d’origine chérifienne, Abd – El – Kader profite du désordre généré par la prise d’Alger et le départ du Dey Hussein et des Janissaires, pour se faire proclamer : « Sultan des Arabes ».

Le Général français Desmichels le reconnaît comme « Émir », ce qui assoit un peu plus son autorité sur les tribus de « toute la région qui s’étend de la frontière marocaine à Médéa  ». Le Général Desmichels accusé d’être trop conciliant envers l’Emir, est remplacé par le Général Trézel. Les hostilités reprennent. En 1834, il attaque les Français et les défait à la Macta.

En 1837, le Général Bugeaud signe le Traité de la Tafna et concède à l’Emir la possession de la Province d’Oran et de la majeure partie de celle d’Alger.

Abd-El-Kader, rompant les accords, proclame le djihad « la guerre sainte » contre la France, envahit la Mitidja et « massacre les premiers colons  ».

Une guerre sans merci alors s’engage. Bien que moins nombreux que les Français, les troupes de l’Émir sont plus mobiles et « mieux adaptées aux conditions de vie ». Les soldats français sont désorientés, car trop lourdement équipés.

Le Général Bugeaud a alors l’idée d’adopter la tactique de son ennemi : mobilité, tenue plus légère et pratique du raid et de la razzia. Pour parvenir à vaincre les troupes d’Abd-el-Kader, Bugeaud fait appel à la légion étrangère, et les spahis recrutés parmi les tribus adversaires de l’Émir.

Les troupes de Bugeaud vont contrôler « la plus grande partie du territoire algérien ». Les troupes d’Abd-el-Khader s’épuisent en batailles et en « escarmouches » incessantes en vue de harceler l’ennemi qui a beaucoup retenu de la tactique des troupes de l’Émir. De plus, son camp « mobile » ( Smala) ne représente pas que des avantages, bien au contraire, car lui et sa « Smala » se déplacent sans arrêt, traqués et charriant 350 groupes de tentes (douars) soit près de 20000 hommes.

Bugeaud porte contre lui un coup décisif, le 16 mai 1843, la cavalerie du Duc d’Aumale porte la charge. Après une bataille féroce, Abd-El-Kader, acculé, prend la fuite abandonnant tout sur place. Pour lui, cette défaite signe la fin de sa carrière politique. Les tribus se détournent de l’Émir et se soumettent aux vainqueurs : les Français. L’Emir se rend au Général Lamoricière.

Interné en France pendant 5 ans, il sera délivré par Napoléon III, se retirera en Syrie où il interviendra en 1860 pour sauver des massacres par les Turcs, de nombreux Chrétiens.

D’Abd-El-Kader, l’on retiendra un Chef militaire d’un grand prestige et respecté autant par les Algériens que par les Français.

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NB : Les extraits de texte que j’emprunte pour les besoins de cet article, ainsi que pour les articles précédents, à Charles-André Julien – professeur à la Sorbonne, « Histoire de l’Afrique du Nord – Tunisie – Algérie – Maroc – de la conquête arabe à 1830 » - Éditions Payot Paris – 1952 » sont retranscrits en italique, ou entre guillemets.

Tous les extraits de texte empruntés (avec son aimable autorisation) à la thèse de Pierre Gourinard, historien, professeur docteur en Histoire-Géographie, sont retranscrits pour les besoins de l’article, en italique ou entre guillemets.

Idem pour les autres sources.

 


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