L’allocution d’un président, moment de démocratie surréaliste

par Octave Lebel
jeudi 23 mars 2023

Vu à la télé. Allocution d’un président de la cinquième république. France, mercredi 22 mars 2023.

Nous pourrions croire avoir rêvé.

En toute facticité une posture et une gestuelle de sémaphore. Censée conjurer le réel et ses résistances. L’habituelle jonglerie verbale au rythme haché en lieu et place d’une explication tranquille sur la méthode et le contenu de ce qui est en cause et qu’il défend. L’engrenage rhétorique devenu courant. Invocation d’une réalité parallèle, rejet de responsabilité sur ceux qui demandent inlassablement à être écoutés et entendus et comme point d’orgue, la menace de la force par celui qui a réuni les conditions du désordre. Une allusion américaine surréaliste comme signature d’encore un peu plus de décalage d’un certain type d’élites avec notre pays, nos repères et références politiques communes. Un président qui vient pourtant d’être élu, maintenant comme en campagne électorale express, vantant son bilan et nous abreuvant de promesses. Nous pourrions croire avoir rêvé cette séquence.

Dommage, nous avions attendu et espéré en vain, quelques mois en arrière, un moment de vérité avec un véritable opposant comme interlocuteur pour une authentique explication démocratique en profondeur. Non pas devoir nous contenter comme aujourd’hui avec le substitut du jeu habituel des révérences et petites contradictions murmurées par des acteurs médiatiques appliqués et choisis à cet effet. Chargés de rendre moins monotone cette auto célébration un peu hallucinée du chef de l’exécutif formellement le plus puissant parmi les grands pays de l’UE, faute de contre-pouvoirs réellement fonctionnels.

La supercherie mise en lumière.

A la place, comme si cela devait faire partie de nos habitudes dorénavant, profitant malheureusement de l’aide involontaire de ceux qui avaient encore besoin de faire des expériences avant d’apprendre rudement de ceux dont ils guignaient les voix qu’une réponse politique rassembleuse et responsable était demandée en urgence, nous avions eu droit au bon vouloir d’un milliardaire des médias qui s’était ingénié avec une de ses créatures et l’aide de ses collègues à torpiller la campagne de l’élection majeure de nos institutions. Afin que l’opposant souhaité puisse recevoir comme espéré l’adoubement de son incompétence et de son opportunisme si nécessaire au bon fonctionnement de nos institutions par ce temps d’abstentions. Cela a marché d’extrême justesse encore parce que chacun des acteurs a joué comme attendu le rôle prévu et espéré.

Néanmoins, nous avons pu voir, cette fois-ci, dans le même élan, l’extrême-droite et ses deux facettes successives dans les deux temps du processus électoral. L’opposant de pacotille qui emmène à la présidentielle ce qu’il faut de perdants malgré eux quand c’est jouable pour le pouvoir en place, puis l’opposant d’opérette que le pouvoir soutient aux législatives en cas d’urgence quand les gens commencent à voir clair et ne se laissent plus diviser ni abuser. Leçon cruelle mais pédagogique pour ceux qui n’avaient pas encore tout à fait compris. La mise en pleine lumière de la supercherie et du conflit d’intérêt entre ceux des électeurs espérés et la réalité des intérêts que défendent les cadres du parti. Conflits d'intérêts confirmés ensuite par les votes communs ici et au parlement européen en protection de la puissance des gros actionnaires. Puis, pour faire bonne mesure maintenant, les errances du discours concernant la réforme des retraites. Ne nous laissons plus abuser par la confusion des intérêts et des postures idéologiques à visée électoralistes si bien mises en scène par les médias du public comme du privé.

Un bon de consentement et de représentation sans condition ?

Cette réforme des retraites, avec la prétention de croire pouvoir ainsi peser sur la vie de plusieurs générations de la part de personnages incapables d’affronter les risques de la démocratie, bien entendu, ne sera pas réellement mise en application. La dynamique du mouvement qui traverse toutes les couches sociales a été l’occasion de révéler qu’il existait dans le pays toutes sortes de capacités, de compétences et aussi, tranquillement, résolument, une volonté d’information, de compréhension, de réflexion, de discussion, de coopération et de rassemblement devenus nécessaires et incontournables autour de grandes politiques publiques quand il s’agit de faire vivre un pacte démocratique aspirant à plus de justice sociale, de démocratie, d’équité et de responsabilité. De respect réciproque aussi.

Certains pensent encore que leurs personnes et leurs intérêts seraient au-dessus de la mêlée commune issue de formalités électorales organisées autour de promesses de circonstances et qui auraient délivré ainsi de toute façon un bon de consentement et de représentation sans condition. L’agacement d’un président ramené à la réalité à ce jour en pensant encore pouvoir nous imposer la sienne en témoigne.

Réformons en urgence nos institutions.

Sans surprise une fois de plus, nous avons pu constater qu’avant toute chose, pour ne plus perdre de temps ni d’énergie et pouvoir avancer dans la responsabilité et la clarté, la mise en place d’une authentique démocratie est le préalable urgent et indépassable au travail qui nous attend. Nous avons besoin ensemble de pacifier et de redonner de l’élan et de la confiance à notre société. Réformons sans délai nos institutions pour que celles-ci permettent et accompagnent les réflexions à conduire et les arbitrages et les décisions à prendre sans que nous soyons régulièrement piégés et contournés. Nous ne demandons pas des choses extraordinaires. Juste les avancées vers lesquelles nous portent toute notre histoire, notre expérience et le fruit aussi de notre intelligence collective. Une démocratie fonctionnelle fondée sur un citoyen éclairé et responsabilisé. Nous les demandons et nous les feront advenir sans plus tarder dorénavant.

Récréation

Puisque le surréalisme est devenu pour un temps un outil d’illustration plus que de compréhension de notre vie politique, et que nous avons besoin de fantaisie dans un monde si formaté par la trame médiatique qui l’enveloppe, ne nous privons pas d’un de ces moments présenté comme solennel, dévoilé par l’ironie de la vie qui déchire toutes les trames, un moment de sublimation surréaliste. Il fut un temps où de grands humoristes auraient célébré cette "vision". Gageons que les nouvelles générations ne manqueront pas de contribuer à cette liberté. Rire de bon cœur nous fait du bien et délivre du respect des apparences faites pour nous tromper.

→ Dans un entretien donnée au journal hebdomadaire « Le 1 » paru le 8 juillet 2015, Emmanuel Macron a dit ceci en parlant de la France : « Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là ! »

Quelques repères pour nourrir nos réflexions et mieux comprendre le présent.

« Plus un peuple est éclairé, plus ses suffrages sont difficiles à surprendre... même sous la constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave. »
Condorcet - 1743-1794 - Cinq Mémoires sur l'instruction publique, 1791-1792.

« Tout gouvernement porté par les experts dans lequel les masses n’ont pas l’opportunité d’informer les experts sur leurs besoins ne peut qu’être qu’une oligarchie au service de quelques-uns. »  John Devey (1859-1962, philosophe et psychologue américain).

« La liberté de l’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. » Hannah Arendt (1906-1975, philosophe, politologue, journaliste, allemande puis américaine).

« La façon la plus intelligente de maintenir la passivité des gens, c’est de limiter strictement l’éventail des opinions acceptables, mais en permettant un débat vif à l’intérieur de cet éventail et même d’encourager des opinions plus critiques et dissidentes. Cela donne aux gens l’impression d’être libres de leurs pensées, alors qu’en fait, à tout instant, les présuppositions du système sont renforcées par les limites posées au débat. » Noam Chomsky (1928- , professeur et théoricien de linguistique, intellectuel engagé, américain).

● Un moment de malaise démocratique (France Inter, 25mn, le 23/03/23). Document exceptionnel où un certain type d’élites politiques perd pied sans même s'en apercevoir, accuse autrui de ne pas lui ressembler ni vouloir faire comme elle. Même Nicolas Demorand et Léa Salamé n’ont pu sauver les apparences.

L’invité du 8h20, Jean-Louis Bourlanges, député MoDem des Hauts-de-Seine et président de la Commission des Affaires Etrangères, revient sur l'interview d'Emmanuel Macron au Journal de 13 heures de TF1 et sur l'état de la démocratie parlementaire.

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-23-mars-2023-8425504

 


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