L’AMOUR

par Jacques-Robert SIMON
jeudi 4 juin 2020

 Lorsqu’on choque un verre, le tintement que l’on entend correspond à une onde possédant la fréquence propre du verre. Si on envoie un son extérieur à la même fréquence que la fréquence propre, un phénomène de résonance a lieu qui peut conduire à casser le verre. L’Amour, c’est une résonance chimique entre deux êtres.

 Il est difficile de définir l’Amour, mais il est possible de le décrire dans sa plus extrême pureté. Un homme rencontre une inconnue. Ce n’est pas la matérialisation d’un de ses rêves, ce n’est pas la plus désirable, ce n’est pas la plus intelligente, la plus belle, la plus riche… C’est elle, c’est lui ! Le phénomène est proche de celui de la résonance : des ondes se rencontrent et s’amplifient l’une l’autre. En phase, c’est à dire vibrant à l’unisson, les ondes s’ajoutent et quelquefois même si le milieu s’y prête peut conduire à une amplification considérable des signaux. Hors de phase, l’une des ondes grandit tandis que l’autre diminue, les deux ondes peuvent se détruire jusqu’au néant. Cette illustration physique d’une rencontre amoureuse n’est pas qu’une image et repose sur des éléments bien concrets.

 La réalité environnante est captée par les cinq sens (vue, ouïe, odorat, goût, toucher). Les images, les sons, les senteurs, les saveurs, le contact, activent des récepteurs, les signaux sont traités par le cerveau qui les interprètent et commande un certain nombre de glandes qui vont émettre des messagers chimiques, les hormones, Il en existe environ 50, pour modeler un comportement, l’attirance, l’effroi, l’envie, le dédain. Une rencontre amoureuse déclenche ainsi une tempête hormonale : dopamine, adrénaline, phényléthylamine, ocytocine, testostérone et maints autres produits chimiques vont stimuler, apaiser, euphoriser, apaiser, exciter, faire connaître l’extase, le bien-être, un bonheur.

 Une résonance chimique peut prendre place dès que les regards se rencontrent. L’excitation chez l’une augmente l’excitation chez l’autre qui en contrecoup va renforcer l’excitation de la première par rétroaction. L'ocytocine est surnommée l'hormone de l'amour, car elle est sécrétée en grandes quantités lors de l'orgasme (mais aussi en d’autres occasions moins paroxystiques). Ces moments de plaisir font partie des différents stades successifs de l’Amour et c’est de fait un phénomène de résonance chimique exacerbé mais bref, et l’Amour occupe aussi les intervalles entre les 3 à 25 secondes de plaisir intense.

 Pour que deux ondes entrent en résonance, il faut que leurs fréquences (le nombre de fois où elles oscillent par seconde) soient sinon identiques du moins extrêmement proches l’une de l’autre. C’est rare pour deux ondes quelconques, c’est encore plus rare pour trois, et pratiquement impossible lorsque davantage d’ondes sont prises en compte. L’Amour concerne donc uniquement un couple, un homme et une femme. L’union de leurs dissemblances se produit malgré de très significatives différences, l’unisson peut être trouvé. C’est un phénomène rare, l’union se fait le plus souvent par une communion d’intérêts, des rêves partagés, des pulsions irrépressibles, un besoin de se rassurer, pour ne plus être seul, seule, pour faire comme tout le monde… mais sans cette irréfragable résonance, il manque l’essentiel. Elle est tellement rare qu’il est improbable de la connaître une seule fois, totalement impossible de la voir se répéter.

 On n’aime pas seulement une femme, on aime aussi, dans une moindre mesure, un paysage, une peinture, son pays, mais jamais son prochain lorsqu’il est multiple. Le genre humain ne créé pas de bouleversement chimique même si tout est fait par la Raison pour le faire émerger. Si on mesure le nombre d’hectares, si on détermine le prix d’une œuvre, si on cible les honneurs nationaux, on reste dans le raisonnable, qui ne transporte pas, qui ne donne plus une raison d’espérer que d’espérer. L’Amour est un sentiment personnel et intime qui ne supporte pas les généralisations.

 Si « Aimer son prochain » est le commandement principal, peut-être même le seul, décrit dans l’Évangile. Il a fait l’objet de quantité de discours, de paroles verbales souvent contredites par des comportements plus terre à terre. Il n’existe pas de phénomène de résonance collectif à l’échelle de l’humanité. La Raison peut permettre d’aimer son prochain, mais il ne faut pas compter sur l’Amour qui n’a rien à voir avec la Raison. Malgré tout le Bien et le Mal peuvent se manifester même sans évoquer un Amour inaccessible.

 Lorsque deux personnes parlent, se jaugent, s’estiment, deux façons de faire radicalement différentes peuvent être utilisées qui conduiront à des notions du Bien et du Mal. L’homme ne connaît pas la femme, l’homme essaie de la dominer, la femme essaie de le séduire, rien que de très banal : la volonté de puissance, de dominer est le sentiment le plus commun même si quelques millénaires l’a dissimulé sous la politesse et une certaine courtoisie. Pour dominer, il faut trouver les points faibles d’autrui. Qui ne se souvient pas de cet instituteur qui griffonnait au stylo rouge votre copie en soulignant les erreurs, les fautes, les maladresses. Même si les choses se sont peut-être apaisées, personne n’a pas rencontré une telle situation. Une forme plus quotidienne de la recherche des faiblesses des tiers a été institutionnalisée sous la forme de ‘concurrence libre et non faussée’ qui, non seulement évite mais exclut l’Amour pour le remplacer par un bilan comptable des erreurs et essais. Le degré de volonté de puissance peut être varié de la taquinerie, aux coups d’épingle, jusqu’aux plus atroces atrocités, il relève cependant de la même approche : voir ce qui est déplaisant chez l’autre et en tirer profit.

 Pour aimer son prochain sans tomber dans une fausse et inaccessible sainteté, il suffit de faire l’inverse de ce qui est décrit précédemment : essayer de voir, de cerner, de mettre en évidence ce qui vous plait chez l’autre. La relation est alors toujours entre deux êtres, il y a un émetteur et un récepteur qui échangent leurs rôles, l’un déterminant ce qui lui sied chez l’autre avant que celui-ci fasse de même. Ce qui est déterminé comme intéressant n’est pas obligatoirement une qualité au sens usuel, c’est seulement ce qui convient. Le reste, tout le reste, est passé sous silence, n’interfère pas, n’est même pas vu. Selon ce processus l’analyse d’une multitude n’a strictement aucun sens, le Bien est la somme de couples aussi nombreux qu’il est possible mais ne peut pas être traité comme une masse. Le Bien ne peut pas en conséquence animer les foules, les fasciner, les hystériser, c’est pourtant ce qui s’est passé au cours des siècles. 

 L’Amour existe-t-il malgré le fait que se déclarer amoureux fait immédiatement de vous un benêt ?

 « Doutez, si vous voulez, de celui qui vous aime, d'une femme ou d'un chien, mais non de l'amour même. » Alfred De Musset

 Et l’Amour est la seule chose qui console de la mort.

 


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