L’argent des autres : 40 millions d’€ pour les salaires et retraites... des Tchadiens

par Renaud Bouchard
jeudi 13 décembre 2018

"Jamais plus qu'ici et plus que ce soir, je n'ai senti combien c'est beau, combien c'est grand, combien c'est généreux, la France ! Vive la République ! Vive la France !"

Charles De Gaulle, discours du 4 juin 1958 au Forum d'Alger

 

"The problem with socialism is that you eventually run out of other people's money"

Margaret Thatcher

 

Jésus a parlé aux Français.

Lundi dernier M.Emmanuel Macron est en effet intervenu à la télévision pour tenter de démontrer qu’il avait entendu et compris les Gilets Jaunes et proposer quelques mesures destinées à les faire rentrer dans leurs chaumières.

Il leur a dit combien il souffrait de voir que leurs fins de mois étaient difficiles.

Il a cependant omis (l'émotion, sans doute...) de leur dire que ces fins de mois difficiles, ces inquiétudes financières, l'étaient moins pour certains, surtout avec l'argent des autres. Le leur, en fait.

Le vôtre, le nôtre, pour être encore plus précis.

Chacun espérait un signe. Pourtant, Mme Muriel Pénicaud, ministre du Travail, avait déclaré sur LCI qu’il n’y aurait pas d’augmentation du smic parmi les mesures annoncées par M.Macron. “On sait que ça détruit des emplois, ce n’est pas la bonne méthode”, avait-elle cru utile de préciser avant la divine allocution.

Mais saviez-vous qu'au moment où il faisait son acte de contrition, les traits tirés, affichant une mine de circonstance ("Jésus parle aux Français"), M. Macron avait trouvé un budget pour les retraites et les salaires ?

Mais pas celles et ceux des Français.

Il y avait en effet des priorités puisque chacun doit savoir que M.Macron a préféré commencer par payer les retraites et salaires des fonctionnaires… tchadiens !

Le Tchad est un pays ami dont l'histoire, fort ancienne, commencée avec Toumaï, un probable ancêtre de l’Humanité qui vivait dans le nord du territoire tchadien actuel il y a plus de sept millions d’années, a été partagée avec la nôtre à l'époque contemporaine. Une histoire mouvementée, selon des connaisseurs autorisés, car de l'Afrique-Équatoriale française (1910-1958) jusqu'à son indépendance complète en 1960, le Tchad a connu depuis lors une vie politique très agitée avec 45 ans de conflits armés, ponctués de coups d'Etat et d'interventions militaires françaises.

Des liens se sont ainsi créés, dirons-nous, auxquels certaines mauvaises langues ont donné des noms forgés sur des jeux de mots appuyés où il est question de France, d'Afrique et de "fric", et autrefois de MinAicoop.

http://www.rfi.fr/afrique/20100810-chronologie-tchad-independant

https://walkoulo.wordpress.com/2015/06/14/lhistoire-du-tchad-entre-1700-1900-et-la-traite-negriere/

http://www.rfi.fr/pays/tchad-chronologie-dates-geographie-demographie-economie-chiffres

Mais revenons à notre sujet, lequel ne relève en aucun cas d'une quelconque conspiration et encore moins d'une nouvelle fallacieuse, pensez donc !

La France a bel et bien décidé d'accorder, d’octroyer, de donner (on ne va pas chipoter sur le vocabulaire), d'offrir au Tchad, donc, un budget de 40 millions d’euros pour payer les salaires et les retraites des fonctionnaires, a en effet indiqué l’Agence française de développement (AFD).

https://www.jeuneafrique.com/679626/economie/tchad-la-france-octroie-une-aide-de-40-millions-deuros-pour-payer-les-salaires-des-fonctionnaires/

Officiellement, il s’agit d’un « prêt » d'une « durée de vingt ans », nous dit-on, avec un taux d’intérêt préférentiel. Et vu la dette du pays ( 1,875 milliards $ au 31 Décembre 2016) , le « prêt » risque fort de se transformer en don, les circonstances aidant et « les choses étant ce qu'elles sont et ce que nous en savons », comme c'est souvent le cas.

Les conditions du prêt "entrent dans les critères de soutenabilité de la dette du pays, définis par le Fonds monétaire international", a donc expliqué à l'AFP le directeur de l'AFD au Tchad, M.Olivier Cador.

Nul dérapage en vue, donc, si ce n'est que rien n'interdit d'être généreux, surtout avec un pays ami que l'on porte à bout de bras. Et puis, dira-t-on, 40 millions d'euros ne représentent pas grand chose dans la politique générale qui veut que désormais, avec la signature du Pacte diabolique de Marrakech, l'enseigne "France, Open-Bar", brillera d'un éclat encore plus vif dans la nuit du désert tchadien.

L'AFD (Agence française de développement), établissement public dont la mission est de financer et d’accompagner le développement des pays du Sud et des Outre-mer français, fait de grandes et belles choses dans le monde, en Afrique, tout comme au Tchad. Là n'est pas la question. Son implication financière et humaine est réelle, à l'image de la belle devise qui guide son action : « Continuer de faire vivre les valeurs de solidarité et de résistance ».

https://www.afd.fr/fr/remy-rioux

http://www.afd.fr/en/page-region-pays/chad

Mais il existe une toute autre réalité dont beaucoup de compatriotes n'ont pas vraiment idée.

30 millions d'euros serviront à payer les salaires de décembre 2018 des quelques 90.000 fonctionnaires civils tchadiens et 10 millions iront au paiement de plus de trois mois de retraites.

Et qu'en sera-t-il du prochain trimestre 2019 ? Y aura-t-il un nouvel "emprunt" ? 90.000 (!) fonctionnaires sur 13 631 456 habitants sont inquiets... Que va faire la France (coloniale) ?

D’ailleurs, la France accorde aussi au Tchad un don - et non un prêt -, d’un montant de 10 millions d’euros pour le secteur de la santé.

On rappellera qu’un même montant de 50 millions d’euros avait déjà été accordé au Tchad en 2017 avec les mêmes objectifs.

Cette générosité sans fin avec l’argent des contribuables français, cet appui budgétaire 2018 succède à l'aide budgétaire 2017 dont les objectifs et le montant étaient similaires, a encore indiqué M. Cador, soit 50 millions d'euros qui s'inscrivent dans les "promesses faites par la France à l'occasion de la table ronde de financement du Programme national de développement (PND) tenue à Paris en septembre 2017".

Lors de cette table ronde, les annonces des bailleurs publics, dont la France, s'étaient élevées à 7 milliards de dollars pour le PND, tandis que les annonces d'investissement du secteur privé avaient atteint 13 milliards de dollars.

Depuis juin 2017, le FMI prête sur trois ans 312,1 millions de dollars au Tchad, pays pétrolier ruiné en proie à une crise économique aggravée depuis la chute du prix du baril en 2014.

https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/economie-africaine/le-tchad-ruine-par-la-dette-et-la-corruption-liees-au-petrole_3054887.html

https://www.lesechos.fr/23/02/2018/lesechos.fr/0301339273138_glencore-et-le-tchad-parviennent-a-un-accord-sur-la-dette.htm

Le FMI a ainsi notamment recommandé à N'Djamena de baisser la masse salariale à la charge de l’État et de régler ou rééchelonner ses dettes. Il n'a pas dit exactement comment.

D'où ces deux questions ici posées pour l'aider ainsi que le Tchad a sortir de cette impasse financière :

1- A-t-on en effet revu et vraiment remis en cause la pratique criminelle des "préfinancements pétroliers" qui revient à obtenir des liquidités en gageant la future production d'hydrocarbures, comme ce fut déjà le cas au Congo ?

2- A-t-on revu la pratique néfaste des pré-affectations des ressources en hydrocarbures ?

Le 30 décembre 1999, M. Idriss Deby, président de la République du Tchad, promulguait une loi sur les modalités de gestion des revenus pétroliers des champs de Kome, Miandoum et Bolobo alors récemment mis en exploitation..

Cette loi établissait la pré-affectation d’une partie des ressources pétrolières à des secteurs particuliers et un contrôle des dépenses financées sur les ressources pétrolières par un collège spécifique.

Ce dispositif visait à garantir la bonne allocation et la transparence dans l’utilisation des recettes pétrolières.Reconnaissons que comme pour les fonds souverains et l'utilisation de leurs ressources, l'intention était, pour le cas du Tchad, nouveau membre des pays producteurs de pétrole, à la fois intelligente et généreuse.

Mais une loi peut-elle être un rempart contre la « malédiction pétrolière », telle que l’ont connue la plupart des pays en développement dont l’économie repose en grande partie sur le secteur pétrolier, que ce soit en montants de devises apportées ou en ressources publiques ? La crainte repose sur le constat que la richesse en pétrole ou en gaz est souvent un obstacle à l’amélioration du bien-être des populations. En Afrique, on peut citer les exemples de l’Algérie, du Nigeria, du Gabon, du Congo ou encore de l’Angola.

On comparera les inquiétudes déjà pointées en 2006 avec la situation actuelle en se reportant à l'étude qui suit : Massuyeau Benoît, Dorbeau-Falchier Delphine, « Gouvernance pétrolière au Tchad : la loi de gestion des revenus pétroliers », Afrique contemporaine, 2005/4 (n° 216), p. 139-156. DOI : 10.3917/afco.216.0139. URL : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2005-4.htm-page-139.htm

 

Pour le moment, la France bienveillante est là, qui aime ses petits enfants.

N'Djamena a lancé plusieurs mesures d'austérité depuis 2016, dont une coupe d'un tiers du revenu global des fonctionnaires, provoquant des grèves sèches à travers le pays.

Que reste-t-il de l'argent du pétrole ?

https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/05/26/prive-de-sa-rente-petroliere-le-tchad-s-enfonce-dans-la-crise_5134099_3234.html

https://afrique.latribune.fr/entreprises/industrie/energie-environnement/2018-06-02/petrole-le-pipeline-tchad-cameroun-a-genere-8-milliards-fcfa-de-droits-de-transit-entre-janvier-et-avril-2018-780493.html

Il semblerait que les perspectives en matière d'exploitation d'hydrocarbures soient prometteuses, mais pour qui exactement ?Le Tchad est à l'heure actuelle un pays riche mais déjà ruiné par la malédiction pétrolière.

https://www.agenceecofin.com/la-une-de-lhebdo/1602-54435-le-gaz-naturel-liquefie-futur-eldorado-de-l-afrique

Pays allié de la France, l'ex-puissance coloniale, mais aussi des États-Unis, nouvel ami parmi d'autres amis comme la Chine, l'Inde, la Russie (car l'Afrique compte beaucoup d'amis un peu collants, certes, mais qui lui veulent du bien, comme de véritables amis), le Tchad abrite l'opération française Barkhane de lutte anti-terroriste dans la bande sahélo-saharienne.

L'AFD fait de grandes et belles choses en Afrique, tout comme au Tchad, je le répète. Son implication financière et humaine est réelle, comme on le voit, au nom de la France et des Français, donc.Mais il existe une toute autre réalité dont beaucoup de compatriotes n'ont pas vraiment idée.

http://www.afd.fr/en/page-region-pays/chad

Depuis juin 2017, le FMI a injecté, sur trois ans, 312,1 millions de dollars pour aider le Tchad à amortir le choc de la fonte du prix du baril de pétrole en 2014. Mais il avait été recommandé aux autorités de rogner la masse salariale qui pèse lourd sur les caisses publiques. N’Djamena avait alors fait des efforts dans ce sens, en 2016, en gommant un tiers du montant global des rémunérations des fonctionnaires, ce qui avait provoqué une vague de mouvements sociaux qu’avait exploités l’opposition…

Les "boubous jaunes", déjà...

Là-bas aussi on achète la paix sociale et géopolitique. Pour le moment. Il me semble que si j'en avais la possibilité, je changerais quelques données fondamentales en révisant moi aussi quelques "conditionnalités" dans l'aide fournie à nos clients.

https://survie.org/billets-d-afrique/2017/268-juin-2017/article/tchad-france-une-histoire-militaire

 

Sources et références :

 

https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00011/discours-du-4-juin-1958-au-forum-d-alger.html

https://www.medias-presse.info/macron-debloque-40-millions-deuros-pour-les-salaires-et-retraites-des-tchadiens/102195/

https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/economie-africaine/le-tchad-ruine-par-la-dette-et-la-corruption-liees-au-petrole_3054887.html

https://www.lesechos.fr/23/02/2018/lesechos.fr/0301339273138_glencore-et-le-tchad-parviennent-a-un-accord-sur-la-dette.htm

https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/05/26/prive-de-sa-rente-petroliere-le-tchad-s-enfonce-dans-la-crise_5134099_3234.html

https://afrique.latribune.fr/entreprises/industrie/energie-environnement/2018-06-02/petrole-le-pipeline-tchad-cameroun-a-genere-8-milliards-fcfa-de-droits-de-transit-entre-janvier-et-avril-2018-780493.html

https://www.agenceecofin.com/la-une-de-lhebdo/1602-54435-le-gaz-naturel-liquefie-futur-eldorado-de-l-afrique

http://www.afd.fr/en/page-region-pays/chad

https://survie.org/billets-d-afrique/2017/268-juin-2017/article/tchad-france-une-histoire-militaire

Massuyeau Benoît, Dorbeau-Falchier Delphine, « Gouvernance pétrolière au Tchad : la loi de gestion des revenus pétroliers », Afrique contemporaine, 2005/4 (n° 216), p. 139-156. DOI : 10.3917/afco.216.0139. URL : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2005-4.htm-page-139.htm

 

Documents joints à cet article


Lire l'article complet, et les commentaires