L’argent, un bien public

par Bruno Hubacher
lundi 29 mai 2017

La création monétaire est une affaire privée. L’état, seul détenteur de ce privilège à l’origine, l’a cédé à la banque centrale qui elle l’a rétrocédé, en grande partie, aux banques privées. Celles-ci profitent de ce sésame pour créer l’argent du néant, un procédé qu’on appelle le « système des réserves fractionnaires ».

La création monétaire, dans le système capitaliste, est la pierre angulaire de la distribution de richesses. Une inégale répartition des richesses menace le fondement même de ce système, dont le principe de base est la croissance. Pour qu’il y ait croissance il faut de la demande, pour qu’il y ait de la demande il faut du pouvoir d’achat, et pour qu’il y ait pourvoir d’achat il faut un accès libre aux ressources financières.

Le principe de la croissance économique façon néolibérale ne tient évidemment pas compte de l’épuisement des ressources naturelles.

Nous sommes loin d’un accès démocratique aux ressources, financières et naturelles, car la baguette magique de la multiplication monétaire est en mains des banques privées qui, elles sont redevables à leurs actionnaires qui, eux exigent la maximisation du profit, un profit facile, sans effort, dans ce cas.

Voilà la recette du miracle. Le client d’une banque dépose 100 Euro sur son compte. La banque garde 10 Euro dans ses coffres, au cas où le client aurait besoin d’une partie de ses économies. Le reste, donc 90 Euro, elle les prête à un autre client. Il y a donc, par miracle, 190 Euro dans le système au lieu de 100.

Cet autre client achète, avec ces 90 Euro, que la banque lui a prêtés, un produit chez un commerçant. Le vendeur de ce produit dépose les 90 Euro, issus de la vente, sur son compte en banque. Sa banque garde 9 Euro dans son trésor et prête 81 euro à un autre client. Là il y a déjà 271 euro dans le système. On peut dire qu’à l’origine de la création monétaire est la dette, car sans dette, pas de création monétaire et sans création monétaire l’effondrement du système. Ce procédé s’appelle le système des réserves fractionnaires.

Sur les dépôts de leurs clients, les banques payent un intérêt, et chargent un taux plus élevé sur l’argent qu’elles prêtent, argent qu’elles créent elles-mêmes du néant à l’aide d’un simple clic de souris sur un ordinateur. Ceci pour la multiplication de la masse monétaire déjà en circulation. Pour de l’argent frais, les banques s’adressent à la banque centrale qui, en théorie, détient le monopole de la création monétaire, monopole que lui avait cédé l’état à son tour. Là encore, elles déposent 10 pour recevoir 100.

A la naissance de ce système, il ya bien longtemps, les financiers avaient réussi à convaincre les politiciens d’accepter, pour leur bien, l’indépendance totale de la banque centrale. Ceci pour éviter l’utilisation abusive de ce privilège, la pompe à sous, à des fins politiques, telles que l’effacement de la dette souveraine par l’inflation, mais aussi la préservation des emplois ou l’accès des petites et moyennes entreprises au crédit avantageux.

Ainsi, le seul objectif de la banque centrale consiste désormais à veiller sur la stabilité monétaire, la maitrise de l’inflation, ainsi que l’approvisionnement de l’économie en liquidités, tâche qu’elle a déléguée aux banques privées. Pour l’accès au crédit avantageux des petites et moyennes entreprises, c’est donc loupé, car on sait qu’il vaut mieux prêter aux riches.

La théorie économique prédominante veut que lorsqu’il y a davantage de monnaie mise en circulation que de richesses produites, il y a inflation, dont la maitrise est précisément la tâche de la banque centrale. Seulement, actuellement les banques centrales, inondent les coffres des banques privées de liquidités à coût zéro, dans l’espoir que celles-ci en fassent bénéficier les petites et moyennes entreprises, garantes à 90% de la bonne marche de l’économie. Résultat, nous avons déflation plutôt qu’inflation, ce qui est tout aussi dangereux, si ce n’est plus.

Pourquoi ? Parce que les banques privées ne remplissent pas leur rôle, l’approvisionnement de l’économie en liquidités, mais se contentent d’investir dans les marchés financiers ou prêter aux états à des taux, variant entre 1 et 5%, encaissant par l’occasion un joli bénéfice sans risque aucun, ce qui crée de l’inflation dans la sphère financière et de la déflation dans l’économie réelle.

Ainsi, même l’état, originellement le seul détenteur du droit de la création monétaire, est dorénavant réduit à financer son ménage au bon vouloir des banques privées à un coût exorbitant et contraint à la rigueur budgétaire, empêché d’effectuer les investissements nécessaires aux futures générations. A l’origine, un bien public, l’argent est devenu une marchandise comme une autre.

La Banque Centrale Européenne appartient aux états membres, dont la France détient 14,22 % du capital et l’Allemagne 18,94%. La Réserve Fédérale américaine en revanche, la plus puissante de la planète, est en mains des banques privées américaines, ce qui a son importance quand on mesure l’influence que ses décisions ont pour l’économie mondiale.

La transition écologique et la répartition des richesses sont des préoccupations politiques, incompatibles avec les désidératas de la doctrine néolibérale. De ce fait, le monopole de la création monétaire en mains du secteur privé représente un obstacle insurmontable à leur réalisation. Faute de modèle, remplaçant le capitalisme, il faut il faut retourner en arrière à la période pré néolibérale, période à laquelle celui-ci se laissait encore poser des conditions par le politique.

Pour ces raisons, l’issu des élections législatives françaises sont d’une importance capitale pour la cohésion de l’Europe dans la mesure où, seul, face à un président qui prône le statu quo, il y a un mouvement populaire qui propose une alternative, à la quelle on peut adhérer ou pas, mais sans contre poids politique il y a dictature. En cas de reconduite du statu quo il est fort à parier que ce sera la rue qui répondra, pas seulement en France.

La transition écologique que la France insoumise propose coûte 175 mia Euro, ce qui pour les néolibéraux est une hérésie face à la dette souveraine de 2'000 mia Euro. Il faut savoir que la dette pose un problème si son financement pèse trop lourd dans les dépenses courantes et empêche le bon fonctionnement des services publics.

Seulement, actuellement le coût de financement pour un pays comme la France est proche de zéro et, face à sa dette l’économie française produit chaque année des produits et services d’une valeur proche de 2'000 mia Euro.

Ce que visent le traité de Maastricht, les Républicains en marche, le PS français, le centre, Madame Merkel, Monsieur Schäuble, le CDU, le CSU, le SPD, les Verts allemands, le FDP allemand c’est un taux d’endettement vs PIB de 60% et un déficit public annuel de 3% du PIB et pour y parvenir, la réforme du marché du travail, la réduction des prestations sociales, l’augmentation de l’âge de la retraite.

En effet, la dette souveraine de l’Allemagne a atteint l’année passée 68,3% du PIB et au lieu d’enregistrer un déficit public, comme le traité de Maastricht l’autoriserait, elle a atteint un excédent budgétaire de 24 mia Euro en 2016, un record absolu, tandis que la France a enregistré, pour la même année, un déficit public de 3,4 %, en excès des critères de Maastricht.

Le discours officiel esquive évidemment la question essentielle, celle de la répartition des richesses produites et celle de la répartition des coûts de production de ces richesses. Rien ne s’oppose à ce que l’était ait un budget équilibré. Après tout, cela éviterait qu’il ait à s’endetter pour faire fonctionner le service public et qu’il charge trop son ménage avec le seul paiement des intérêts.

Mais, c’est là que le bat blesse, car l’Allemagne est arrivé à ce beau résultat en chargeant le total du coût de l’opération sur le dos de sa classe moyenne, en gelant les salaires et en taillant massivement dans les prestations sociales et ça continue. 

Malheureusement les élections régionales allemandes, actuellement en cours, ne présagent rien de bien pour ceux qui souhaitent un changement, car il est de plus en plus improbable qu’une une opposition digne de ce nom se cristallise face à la politique de la chancelière et son inévitable trésorier Wolfgang Schäuble.

Le SPD n’a rien trouvé de mieux qu’élire à sa tête l’ancien président du parlement européen, Martin Schulz, une sorte de « Macron » à l’allemande. Son programme électoral est un ramassis de platitudes et de banalités, pas assez pour faire face à l’indétrônable chancelière et sa guilde. En ce qui concerne l’actuelle opposition, le parti « Die Linke », sans le toujours très populaire Gregor Gysi, il aura du mal à se débarrasser du stigma communiste qui lui colle à la peau. A moins qu’il s’ouvre et devienne un mouvement citoyen, à l’instar de la « France insoumise », « Our revolution » aux Etats-Unis, « Momentum » au Royaume Uni ou « Podemos » en Espagne, il est fort à parier qu’il restera dans l’opposition.  

Il se trouve que malheureusement le quatrième pouvoir dans l’état, la presse, ne remplit plus son rôle de force de proposition et opposition, que ce soit en Allemagne, en France ou en Angleterre d’ailleurs. Les journalistes français, en l’occurrence, pas tous mais les mieux payés, préfèrent, encore une fois, faire le jeu de leurs patrons, une attitude irresponsable et un poison pour la démocratie.

Les premiers sondages annoncent déjà le « da capo » pour le deuxième acte.


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