L’armée US rase trois villages afghans, mais c’est pour le bien de leurs habitants (parait-il ?)

par morice
mercredi 2 février 2011

Depuis la guerre du Viet-Nam, on n’avait pas vu ça. Trois villages afghans constitués de maisons en pisé, abandonnés par leur population sur ordre des américains ont été pulvérisés par plus de 20 tonnes de bombes chacun lancées par une attaque combinée de bombardiers B-1 et A-10 (*) et même des roquettes Himars. Qu’est-ce qui a bien pu traverser la tête de ce général Petraeus, et de son représentant sur place, pour décider pareil bombardement aberrant ? Ce même Petraeus qui déclarait à la cantonade il n’y a pas si longtemps que « chaque civil tué fabriquait un taliban » ! L’affaire s’est passée en octobre dernier et elle vient seulement d’être connue du grand public : elle résume à elle seule l’imbécilité la plus complète avec laquelle cette guerre est menée par le Pentagone. A quoi peut bien rimer ce genre de choses ? Qui a bien ou prendre pareille initiative et pourquoi donc ? Pour l’instant, tout ce qu’on sait, c’est qu’à la place des villages détruits, il ne reste rien, sinon de la poussière. Mais il y a plus idiot encore : à peine les villages rasés, les américains annonçaient qu’ils allaient les rebâtir  ! A leurs normes, on suppose, pour pouvoir faire passer leurs monstres idiots dans les rues ? Avec des néons et des distributeurs ce coca à chaque coin de rue ? Mais quelle crétinerie ! C’est Ubu qui dirige le Pentagone !

Aucun militaire digne de ce nom ne peut expliquer la décision prise. Aucun. Même si Petraeus parle après coup de "repère de talibans", car il lui faudra alors passer tout le pays au tapis de bombes pour les éradiquer tous, à ce rythme. On lui souhaite bon courage. A part une énième et inutile démonstration de force, on ne comprend toujours pas l'intérêt, pour rallier des populations à sa cause, de raser ses villages et de vouloir les remplacer par des maisons "made in america" (ou des bungalows type Katrina ?). Un seul village de rasé, croyait-on au départ ? Non, trois : Tarok Kolache, Khosrow Sofla et Lower Babur, qui ont été passés à la moulinette du tapis de bombe version opération Linebacker, revue et corrigée. Pour tenter d'expliquer pourquoi, Wired est allé interviewer le responsable véritable des trois bombardements, le Lt. Col. David Flynn qui n'en démord pas : les villages ont été anéantis car ils étaient bourrés de bombes talibanes, selon lui. Pour Tarok Kolache, il affirme avoir employé la bagatelle de 49,200 lbs comme poids de bombes : 22,3 tonnes de munitions. Ce qui revient cher le kilo de "roadside bomb" détruit ! Mais selon lui, les trois villages seront bel et bien reconstruits : le Père Ubu n'aurait pas fait mieux ! Alfred Jarry doit être aux anges ! Les raisons invoquées tiennent difficilement la route : en fait, le désormais célèbre David Flynn est une personne traumatisée. Sa photo, peu flatteuse (terrible cliché), présentée dans l'article de Wired semble en dire long sur son état d'esprit. Si tenté qu'il en ait un encore.

Ancien de la Combined Joint Task Force 1-320 chargée de nettoyer Kandahar, il avait en effet été surpris par le nombre d'IEDs dans les alentours qui lui avaient fait perdre des hommes. Selon lui, les talibans les cachaient déjà dans les villages alentour à son arrivée du Massachusetts, fin 2004. Selon lui toujours, elles étaient dissimulées partout : "dans les jardins, sur les routes, dans les villages, dans les habitations"... bref Wired, en allant l'interviewer, était tombé sans le savoir sur un responsable de troupe faisant une fixation grave, voyant des road-sides bombs absolument partout. Il est vrai que les dégâts de ses engins sont meurtriers et qu'elles tuent sans distinction militaires et civils, notamment des enfants : mais est-ce une raison pour décider de raser des villages entiers au prétexte qu'ils serviraient de caches d'armes ? Des tas de villages afghans ont été visités par les soldats américains et vidés de l'armement qu'ils dissimulaient : on a vu la séquence de propagande mille fois sur les téléviseurs US ! en quoi les cas de Tarok Kolache, Khosrow Sofla et Lower Babur ont-ils été différents aux yeux d'un seul individu qui a réussi à convaincre sa hiérarchie de ne pas risquer une inspection systématique et de raser le tout pour y faire aussi exploser ce qui aurait pu y être dissimulé ?

Car une chose cloche dans les explications de Flynn. Il y a une bonne paire d'années que le Pentagone nous a expliqué que les fameuses "roadsides bombs" n'avaient plus qu'à bien se tenir. Car pour lutter contre elles, les américains ont employé les grands moyens. De grandes oreilles, exactement, dissimulées à bord d'avions de taille conséquente, des Boeing 707 (KC-135) spéciaux River Joint SIGINT capables de déclencher les téléphones portables qui servaient à les faire déclencher ces bombes meurtrières. L'engin avait été fièrement montré à la presse, et c'est sûr, avec lui, les soldats gravement handicapés par les explosions, ça ne serait plus qu'un vilain souvenir. Si ce n'était le Boeing spécial, ce serait le Prowler, en fin de vie, qui aurait servi avait-on aussi raconté (un moyen de plus de maintenir en vol de vieux appareils ?). Un Prowler datant.. de la guerre du Viet-Nam, lui aussi. Le E-8 Joint Surveillance Target Attack Radar System (E-8 Joint STARS) avait également été poussé en avant par un de ces fameux conseillers militaires, en l'occurrence Loren B. Thompson, du Lexington Institute. Au total, la facture de lutte contre les IEDs était annoncée dans un document officiel à 12 milliards de dollars... pour combattre des bombes revenant à moins de 20 dollars pièce...

En août 2007, Boeing vantait même un "pod", issu de son programme Avenger (AMWS) vieux de 20 ans, capable d'étre monté sur un drone, et muni d'un laser pour détruire les bombes talibanes, nous annonçait-on fièrement ! En 2009, on claironnait même l'incroyable réussite de ces tests de tir : "Boeing a démontré avec succès l'utilisation du laser Avenger de son système de défense pour détruire des dispositifs d'explosifs improvisé (IED) à une distance sûre. Au cours d'un essai en septembre 2009 sur le terrain du Redstone Arsenal à Huntsville, le Laser Avenger a neutralisé plus de 50 IEDs et les munitions non explosées de différents types, y compris des munitions d'artillerie de gros calibre, des petites bombes et des obus de mortier. Le système a fonctionné à forte distance par rapport aux objectifs fixés et sous une variété de conditions, y compris sous des angles différents. Les soldats voyageant avec le Laser Avenger n'auraient pas à sortir de leurs véhicules blindés ou à attendre qu'une équipe de neutralisation des munitions détruise un engin explosif improvisé et pourraient ainsi poursuivre leur mission" dit le communiqué dithyrambique ... accompagné d'une illustration digne des jeux vidéos ! Même Popular Mechanics en avait parlé ! Une armée serait donc capable de détruire au laser des bombes, même d'hélicoptère ou d'Humvee, et là on tente de nous faire croire que c'est trop difficile dans trois malheureux villages de briques séchées ? Mais à quoi sert donc tout cet arsenal ? Ou plutôt, n'aurait-on pas plutôt affaire à de la propagande pure et simple ? Un article de presse dévastateur déclarant en effet juste à côté que le chien restait le meilleur détecteur face à cette débauche d'électronique ! Et certains autres avouant en même temps que le meilleur moyen d'empêcher ce type de bombe étant de chercher à supprimer son poseur via un drone tueur !

A quoi bon avoir en ce cas tout un service appellé ODIN (pour "Observe, Detect, Identify, and Neutralize") doté de 400 hommes et d'appareils fort sophistiqués pour s'attaquer à ces bombes improvisées ? Des avions, une armada de C-12 Huron " Horned Owl", et des drones (Shadow 200), qui ont volé 29 000 heures en 2009 pour quoi faire ? Des avions dotés d"un radar GPR (ground-penetrating radar) capable de détecter des IEDs enterrés"  ? Mais incapable de traverser des toits de pisé ??? Ou même de renifler à distance l'odeur de la poudre, selon les documents officiels : "la Task Force ODIN développe un capteur de détection chimique (Ursus) conçu pour repérer les explosifs des IEDs, sous la forme d'un pod emporté par un MC-12". Des drones et des avions qui marchent tellement bien que "l'armée irakienne a passé également commande de 24 appareils, équipés de radars SAR, de caméras MX-15 et de contre-mesures anti-missiles. La formation des pilotes irakiens fut assurée par des pilotes de l'US Air Force et de la Navy, dotés d'une longue expérience surGuardrail". Qu'on de dise tout de suite, si le but c'est de vendre ou d'être efficace ! 

En fait, sans l'avouer, le Lieutenant Colonel avouait une impuissance stratégique flagrante à contrôler l'accès à la rivière Arghandab, dont les trois villages représentaient le verrou d'accès. Alors, au prétexte de présence d'IEDs, ont les a volatilisés, mettant fin à trois années de circulation ininterrompue de talibans sur les rives de la rivière. Comme les Viet-Congs et la piste Ho-Chi-Minh, bombardée de jour et utilisée la nuit par une myriade de... vélos, transporteurs d'armes et de munitions. En 2005, le lieutenant avait du combattre quatre jours d'affilée avec sa Task Force 1-320 pour conquérir l'accès : le véritable traumatisme était là, et pas seulement dans les IEDs. Il y avait eu trois soldats tués et huit blessés le premier jour de combat, et douze blessés supplémentaires le lendemain. Un lieutenant colonel ayant eu du mal avec sa compagnie voici cinq ans au même endroit était revenu avec une idée en tête. Faire comprendre aux talibans qui était le maître. C'est de la psychologie de western de série B, mais c'est hélas celle qui motive encore les responsables de l'armée, visiblement. On a bombardé et rasé en définitive trois villages en souvenir d'une quasi déculottée vécue cinq années auparavant. Au Viet-Nam, les américains avaient inventé la brigade Zippo pour faire la même chose. Des soldats, munis de briquets du même nom, incendiaient les paillottes censées contenir les armes des Viet-Congs et contenant le plus souvent les réserves de riz. Le célèbre lieutenant Calley était allé encore plus loin, on le sait. Chez les américains, c'est simple et ça ne change jamais : leur univers demeure celui de John Wayne et son "yellow ribbon". Les Tuniques Bleues ont débarqué en Afghanistan... avec les méthodes d'antan, pas censées plaire davantage aux indiens. Selon le capitaine Patrick McGuigan du 1st Battalion, 320th Field Artillery Regiment, 2nd Brigade Combat Team, 101st Airborne Division, "les gars sur place étaient vraiment furieux. Le plus âgé de Tarok Kalacheh ne me parlera pas pendant trois semaines, il était vraiment en colère"... Et en plus ils ne s'en rendent pas compte de ce qu'ils provoquent chez les gens ! Ils détruisent des villages parfois centenaires, sinon plus, et voudraient être aimés ?

Selon Flynn encore, les talibans avaient truffé les environs des villages d'IEDs (son obession, visiblement) : dans les champs aussi, ils en avaient disposé, les villageois sachant où et en ayant averti les soldats US : qu'on m'explique alors, là pourquoi vouloir en récompense détruire la totalité du village ! Selon lui toujours, il avait envoyé ses soldats vérifier les emplacements, dans le village même, des IEDs, eux aussi connus des habitants, paraît-il. Mais ses émissaires étaient revenus en déclarant qu'il y en avait trop, et qu'elles étaient trop complexes à déminer. Résultat, il avait donné l'ordre de raser l'endroit pour ces deux raisons : une vengeance, pour un affront précédent, et des renseignements non vérifiés de sa part sur la présence réelle de bombes. Et au final une prise de responsabilité douteuse, à n'avoir écouté que le rapport fait oralement par des subalternes. Faisons le bilan de cette attitude : il est profondément désastreux. Les villageois afghans, qui désiraient aider les soldats en signalant les pièges ont vu leur maison détruite. Pour recruter de futurs talibans, difficile de faire mieux. 

Ces mêmes villageois se sont aperçus qu'entre envoyer une équipe de déminage et donc prendre des risques et aller au plus vite et tout détruire, la décision avait été vite prise : question image de marque, il faut avouer que sans être de la couardise totale (les IEDs sont de véritables pièges extrêmement dangereux !) ce n'était guère glorieux, ce que les talibans auraient vite fait de faire remarquer dans leur propagande. Voilà une armée bien piteuse, face à un adversaire plutôt coriace. Selon Wired, c'est aussi parce que les villlageois n'avaient pas tous voulu collaborer avec lui que sa décision avait été prise : on retombe sur le célèbre programme Zippo, celui qui consistait à vouloir faire de tous les habitants du Viet-Nam des dénonciateurs de Viet-Congs, les "bons" villageois étant récompensés par des victuailles (et étripés le lendemain par les Viet-Congs !) et les "mauvais" voyant leurs cases incendiées à l'aide du fameux briquet. Dans la version officielle des faits, cette fois-ci, les paysans afghans avaient été chassés de leur village par les talibans qui les avaient transformé en dépôts d'armes : belle version, mais d'où venaient alors les habitants venus réclamer des compensations aux américains pour les destructions ??? Petraeus étant censé être venu les voir sur place pour tenir sa promesse de reconstruction intégrale... La propagande américaine n'hésite pas à s'empêtrer dans ses propres contradictions ! Petraeus, qui promettait un million de dollars pour rebâtir Tarok Kolache !

Flynn veillera seulement à faire vider les villages avant de les réduire en poussières, mais le principe est resté le même : les USA, en Afghanistan, recommencent bel et bien un nouveau Viet-Nam ! En reproduisant à la lettre les mêmes erreurs ! Et le parallèle se tient d'autant plus que le Viet-Nam Sud ne tenait que par la grâce de deux frères, despotes cyniques choyés pendant des années par les américains, Ngô Đình Diệm et Ngô Đình Nhu, catholiques fervents qui faisaient eux aussi dans le trafic de drogue et les comptes en banque dissimulé à l'étranger. Exactement ce que fait la clique afghane au pouvoir (la catholicité en moins !), architecturée autour de la famille Karzaï, qui a réussi la prouesse de faire évader un milliard de dollars de la banque du pays sans que les USA ne disent quoi que ce soit. Au Viet-Nam, les frères Diem avaient fini pitoyablement au fond d'un véhicule blindé américain "suicidés" à la mitraillette, selon l'acte de décès officiel. La CIA avait fini par s'en séparer, en trouvant une main armée charitable pour les faire disparaître sans qu'on ne puisse imputer leur sort à l'Amérique : l'honneur était sauf. Karzaï en prend le chemin, à part que nous sommes en 2011, que c'est Obama en face, et que la communauté internationale avalerait moins bien une pilule comme celle du 2 novembre 1963. Ne reste qu'une possibilité, comme je l'ai déjà dit ici à deux reprises : qu'un garde du corps de l'entreprise privée qui veille sur Hamid Karzaï soit pris d'un soudain accès de folie. Dans l'arsenal des psychotropes que manipule depuis longtemps la CIA il doit bien y avoir une fiole de ce genre, ayant des effets secondaires bien plus graves que ceux associés aux labos de chez Servier...

(*) les faits ont été révélés par l'analyste Paula Broadwell.


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