L’arrestation inouïe d’un ancien directeur de la publication de « Libération » : une provocation délibérée ?

par Paul Villach
lundi 1er décembre 2008

L’inspection nocturne subie à la cour d’appel de Metz, le 8 octobre 2008, par des magistrats responsables de l’incarcération d’un mineur qui s’était suicidé deux jours auparavant, avait ému le milieu judiciaire. Plus de cinq cents magistrats avaient adressé une pétition à la Garde des sceaux pour protester et demander des excuses publiques envers les magistrats mis en cause. Le Conseil supérieur de la magistrature, lui-même, l’avait tancée sévèrement, le 27 novembre, en rappelant qu’ « une mesure d’inspection doit être conduite dans des conditions de sérénité excluant tout risque de déstabilisation de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle. »

Pour une simple plainte en diffamation

Précisément, l’autorité judiciaire s’est-elle comportée en « gardienne de la liberté individuelle » en faisant procéder, vers 6h40, à l’arrestation à son domicile, dans des conditions de brutalité et d’humiliation inouïes, M. de Filippis, directeur de la publication du journal Libération en 2006, comme s’il s’était agi d’un dangereux malfaiteur ? Le témoignage qu’en a donné Libération.fr, le soir même du 28 novembre, est tout simplement effrayant, du moins quand on vit dans une démocratie.

Saisie d’une simple plainte en diffamation, une juge d’instruction du Tribunal de Grande instance de Paris n’a rien trouvé de mieux que de délivrer un mandat d’amener. Pourquoi cette mesure coercitive, alors que Libération, à ce qu’on sache, n’est pas un journal clandestin ? Il a pignon sur rue et son domicile comme celui de sa rédaction est connu de tous. Les faits reprochés ont trait à l’activité professionnelle et non personnelle du prévenu. Et le délit de diffamation est le grief le plus banal qui soit auquel s’exposent les médias.

Une volonté manifeste d’humilier 

1- Qu’est-ce qui a motivé cette arrestation à l’heure du laitier ? Est-ce si fréquent de voir un directeur de publication ne pas répondre à une convocation d’un juge d’instruction et entrer dans la clandestinité en cas de mise en examen après une plainte en diffamation ? Ce journaliste était-il susceptible de se soustraire à la justice ? Comment croire que de précédentes convocations adressées dans les formes que l’on sait, n’aient pas été suivies d’effet ?


2- Au cours de cette arrestation, les méthodes employées par les policiers auraient été particulièrement vexatoires. M. de Filippis, la victime, qui s’étonne d’entrée des méthodes dont on use à son égard, prétend s’être fait injurier devant ses enfants réveillés en catastrophe : « Vous, vous êtes pire que la racaille », lui aurait lancé un policier. Qu’est-ce qui autorise un policier républicain à se conduire ainsi ?

3- L’humiliation paraît avoir été systématiquement visée par la conduite policière. Le journaliste aurait été menotté. Par deux fois, dans les sous-sols du TGI, lui aurait été infligée la fouille au corps, slip baissé, obligation de tousser et examen de ce qui en résulte … De quels indices les policiers disposaient-ils pour une application aussi peu pondérée d’une procédure pourtant strictement réglementée quand il s’agit d’un prévenu (1) ?

4- Toute personne en état d’arrestation a le droit à l’assistance d’un avocat. Le journaliste dit avoir demandé à contacter les avocats du journal par deux fois. Il aurait essuyé à chaque fois un refus. Quel texte autorise police et justice à violer ce droit ?

La justice, « gardienne de la liberté individuelle » ?

Encore une fois, l’objet du délit soupçonné serait un commentaire d’internaute, publié sur le site de Libération, et accusé d’être diffamatoire par la personne mise en cause, le fondateur de Free, fournisseur d’accès à Internet. M. de Filippis en sa qualité de directeur de la publication du journal en 2006, aurait eu à en répondre puisque la loi de 1881 fait du directeur de la publication « l’auteur principal » en cas de diffamation.

Mais, dans ce cas d’espèce, l’autorité judiciaire s’est-elle conduite en digne « gardienne de la liberté individuelle » ? Les mesures prises pour s’assurer de la présence du journaliste dans le bureau de la juge d’instruction qui avait à lui notifier sa mise en examen, ont-elle été proportionnées au danger que M. de Filippis représentait ? L’institution judiciaire avait-elle besoin de cette nouvelle affaire pour retrouver son crédit perdu, en particulier depuis « l’affaire d’Outreau ». Combien de magistrats vont signer une pétition et sortir leur hermine sur les marches du palais de justice de Paris pour dénoncer ce qui ressemble, si les faits sont avérés, à une sinistre provocation destinée à nuire encore plus à l’image de la justice, et dans le même temps à intimider la profession journalistique ?


Les conditions de cette arrestation sont si extravagantes, si on en croit le témoignage de la victime, qu’on ne peut pas, en effet, ne pas s’interroger sur les raisons qui les ont inspirées. 1- Survenant le lendemain même de la volée de bois vert administrée par le Conseil supérieur de la magistrature à la Garde des sceaux, s’agit-il d’un nouvel épisode du conflit entre la police et la justice attisée avant l’élection présidentielle par électoralisme ? Car ici, la police ayant agi sur ordre, c’est au juge d’ assumer la responsabilité de cette arrestation et le manque de discernement qu’elle révèle. 2- Ou est-ce une invitation à l’autocensure lancée aux responsables de sites d’information sur Internet en leur montrant à quoi ils s’exposent désormais en cas de plainte en diffamation ? Les deux hypothèses, dans cette partie de billard à plusieurs bandes, ne sont pas d’ailleurs exclusives l’une de l’autre. Paul Villach

(1) Selon Eolas, in « Journal d’un avocat » « Ensemble depuis 1957 » (http://www.maitre-eolas.fr/2008/11/29/1227-reportage-de-terrain), le 29 novembre 2008.

« Hormis des cas expressément prévus par la loi (douanes, détenus…) qui ne s’appliquent pas ici, le seul support textuel est une circulaire (article C.117 de l’instruction générale relative à l’application du code de procédure pénale), mais ce texte n’a aucune valeur normative. La jurisprudence assimile quant à elle la fouille corporelle à une perquisition, qui suppose une enquête de flagrance, une commission rogatoire ou le consentement écrit de l’intéressé (art. 56, 92 et 76 du CPP respectivement), que la fouille soit réalisée par un officier de police judiciaire (art. 56 du CPP) ou par le juge d’instruction en personne, le cas échéant accompagné du procureur (art. 92), ce qui serait cocasse dans notre hypothèse, et que la perquisition vise à découvrir des éléments relatifs au délit poursuivi (art. 56 du CPP), et j’avoue que j’ignore comment on peut cacher une diffamation à l’endroit qui nous intéresse — Heu, en tout cas qui intéresse la police— ; quant au moyen de commission de l’infraction, ce serait faire injure à l’intelligence de la police que d’insinuer qu’elle pourrait penser qu’une rotative de presse a été dissimulée à cet endroit.

Précisons que la jurisprudence exclut du domaine de la perquisition la palpation de sécurité, qui consiste à s’assurer que l’individu n’est porteur d’aucun objet dangereux pour lui même ou pour autrui. Mais la palpation de sécurité exclut que le slip du palpé se trouve au niveau de ses chevilles (sauf s’il est porteur d’un baggy)
 ».
 


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