L’art de la guerre expliqué à un Nul
par Michel Koutouzis
mardi 24 avril 2012
Pour ces quinze jours entre les deux, les amis de Nicolas Sarkozy devraient lui offrir non pas la Princesse de Clèves, ouvrage contre-productif pour tout tempérament sanguin, mais l’Art de la guerre ; Il y apprendrait que l’important dans une campagne, c’est l’inattendu. L’évaluation des forces de soi-même et des autres. La mise en avant de ses propres avantages et pas de ses défauts criards. La connaissance et le contrôle de soi. Et surtout l’articulation dosée entre humilité et audace : dans cette campagne, la démesure sera mortelle.
Le soir même des résultats le général Nicolas a sacrifié le meilleur de ses éléments en les obligeant à utiliser des « éléments de langage » stéréotypés, toujours les mêmes. Lorsque les mêmes phrases sont utilisées, à la virgule près, par Juppé et Nadine, par NKM, Rachida ou Copé deux choses arrivent : uniformisés, ils s’abaissent au plus petit dénominateur commun. A quoi bon d’être « le meilleur d’entre nous » si ont dit la même chose que la cantinière ? Par ailleurs, écouter durant une soirée cinquante fois la même chose n’est pas forcement productif. On s’amuse, s’en lasse, on décortique les défauts de logique, et on finit par ressentir une allergie dès que la phrase commence. Entre le seigneur de la guerre et la cantinière, il faut un minimum de hiérarchie. Des relais, des interprétations divergentes et saisissantes qui restent à la mémoire et pour longtemps.
Il n’y a pas pire ennemi de la parole que la logorrhée (en grec colique des mots). Qui ne se souvient d’un je vous ai compris, vous n’avez pas le monopole du cœur, vous êtes le président du passif, existe-t-il une fatalité de la gauche ? Pour ne citer que quelques-unes de ces phrases qui font désormais partie de notre patrimoine politique. Incisives, elles faisaient en même temps partie du personnage qui les prononçait tout en étant inattendues, surprenantes en décalage avec lui-même. Le soir du premier tour, après une défaite de votre camp ressentie par tous et visible sur tous vos visages, il en fallait une. Or, c’est le président gadget qui est apparu, en proposant un nouveau et déjà élimé : face à la situation, il proposa trois débats au lieu d’un. En sachant que il y aurait une fin de non recevoir, et donc en affirmant que la campagne de ces deux semaines sera axée sur ce refus. Est-ce productif ? Est-ce cohérent que de voir cette demande démultipliée et argumentée par toutes les bouches de tous vos gradés, du caporal au général ? Evidemment non. A l’argument élimé vous avez pourtant effectué trois débats pour désigner le candidat socialiste, vous avez in fine la réponse malicieuse et assassine et vous, combien de débats avez-vous eu pour désigner le votre ? A trop répéter le même argument, on donne le temps de la parade la plus logique, la plus cohérente et surtout la plus létale. Si vous aviez lu Sun Tsé, vous auriez su qu’une arme (proposition) peut être exhibée, puis cachée (oubliée) pour réapparaitre au moment propice (pendant le débat lui-même, par exemple). Dans ce cas vous aurez subi une riposte (efficace ou non) mais pas une ribambelle de réponses, les unes plus spirituelles et élaborées que les autres.
Votre arme préférée, monsieur le général en chef, semble être le bélier, et c’est sans doute une arme propice lorsqu’il faut prendre un château fort. En est-il ainsi ? Avez vous à faire à une place fortifiée, à un bunker, à un oppidum ? Certainement pas, malgré l’idée que vous vous en faites. Mais serait-il ainsi, le bélier n’est pas suffisant. Ni la fougue offensive, ni même vos soldats aguerris. Il faut occuper le territoire, couper les vivres, faire, comme disait Mao, un disciple du stratège, le vide par le plein. Hélas pour vous, être omniprésent, comme une puce excitée, n’est pas occuper le terrain. Dire tout et son contraire n’est pas articuler un discours dominant. Il y a eu plusieurs fautes, tactiques ou stratégiques durant votre première campagne, dont celle d’utiliser le discours de vos supposés ennemis n’est pas la moindre. Une autre pourtant, passée quasiment inaperçue mais qui revient comme un boomerang pourrait vous être fatale : juste pour amuser et galvaniser vos troupes vous avez inventé un voyage imaginaire à Fukushima. La futilité de l’objectif (faire le malin, lancer une vanne), adossé à un drame terrible du aux penchants prométhéens de l’humanité, a démonétisé à l’extrême votre parole. Quand on ment pour si peu sur un sujet aussi grave, comment pourrait-on être cru pour l’essentiel ? Comment peut-on proposer un monde, des solutions, un projet, sans que ceux-là soient dépréciés à l’instant même où ils sont prononcés ? Sun Tsé vous aurait dit : la moralité est l’accord de tous sur les lois, qui les suivront au péril de leur vie et sans voir le danger. En d’autres termes, on ne badine pas avec la vérité, les lois établies, les règles. On peut ruser pour prendre une place forte mais pas avec la morale communément établie. Faire le vide par le plein, c’est être irréprochable sur le tronc commun des règles et des lois. Sinon, toute prise reste éphémère, car le choix final se fait selon Sun Tsé : lequel des deux souverains est le plus moral, en accord avec ses sujets ?
Le choix exclusif du bélier, cette vision monomaniaque d’une offensive sur un mur solide qui esquive le choc, finira par vous détruire : Quand vos armes et vos hommes s’émousseront, quand vos forces s’épuiseront et quand votre trésor sera vide, d'autres chefs apparaîtront brusquement pour profiter de votre état.