L’ASE sur la sellette dans une vidéo grotesque publiée sur Médiapart : un procès qui touche le fond

par Que sais-je ?
mercredi 13 mars 2019

 

Une vidéo a été publiée via Médiapart sur un sujet en vogue : l’ASE (1). Deux gugus sont à l’image, en posture de trublions, sourire narquois aux lèvres, pour nous en parler. On aurait pu en attendre une distance avec la vision du tout-venant, et particulièrement du traitement sur le mode du scandale qui en est fait, comme de tout événement passant par la moulinette médiatique, d’ailleurs. Non point, c’est tout le contraire. Les voilà qui sans rien en connaitre, couvrent de lauriers la soirée consacrée à ce sujet par France 3 intitulée « Enfants placés, les sacrifiés de la République » (2), qui était un procès sans appel et sans défense de la Protection de l’enfance. Sujet hautement sensible dont la moindre rumeur fait lever des bûchers. Du pain bénit pour ces journalistes plus enclins à mettre en scène leurs bons sentiments qu’à réaliser des enquêtes rigoureuses et respectueuses de leur responsabilité d’informer. Ils font même des émules. C’est dans l’air du temps.

 

L’ASE « un service invisible » ? Rien que de l’ignorance

Titre de la vidéo : « Usul. Aide sociale à l'enfance : le service public invisible ». Ils avancent pour justifier ce titrage, que l’on n’en parlerait jamais, alors que c’est l’un de ces sujets redondant que l’on caricature de façon continue depuis déjà un bon moment. Ce qui est invisible étant plus l’ignorance dans laquelle on le maintient, qui justifie toutes les caricatures. Nous avons eu droit récemment à la reprogrammation du téléfilm « Box 27 », diffusé pour la première fois il y a un an, et faisant le même procès, en nous présentant un père en difficulté sociale comme « victime potentiel » du placement de son enfant. L’ASE « voleurs d’enfants », c’est évident ! Sans parler de reportages réguliers, en général peu ou prou à charge, qui font passer à côté du sujet. Si invisible veut dire, que les départements qui ont la responsabilité de cette mission n’en font pas publicité, c’est en raison avant tout d’un sujet qui touche des familles et des enfants vis-à-vis desquels il y a une certaine pudeur à avoir, au regard d’histoires douloureuses dont on ne fait pas étalage, un respect dû au secret professionnel, car on ne saurait là communiquer comme à propos des espaces verts.

La protection de l’enfance en France, c’est environ 300.000 jeunes sur les 14,7 millions des 0-18 ans, ce qui fait qu’un peu plus de 2% des mineurs sont concernés par une mesure éducative. La moitié sont des placements, dont un quart le sont en accord avec la famille sinon à sa demande, et donc dans un cadre administratif sans Juge des enfants. Ce qui signifie qu’à tout moment ils peuvent reprendre leur progéniture. D’autre part, l’autre moitié des mesures éducatives sont des actions de prévention menées au domicile du ou des enfants, dans le jargon, en « Milieu ouvert », dont un tiers dans un cadre d’adhésion des parents et donc hors décision judiciaire. Ce qui remet déjà un peu les pendules à l’heure sur l’utilité de ce service public qui, par certains côtés, est assez admirable (3). Il demande beaucoup de précautions, du respect, de la hauteur, des savoir-faire et une pertinence qui ne sont pas commodes à acquérir. Une coordination de moyens et la maitrise de dispositifs complexes. C’est un domaine de pertinence, qui devrait être mieux connu et valorisé à la hauteur de l’engagement que ce secteur représente pour notre société. Son action ne concerne pas tout le monde, comme on le voit, mais un nombre d’enfants limité. C’est néanmoins un service public ouvert chaque jour, qui accueille des milliers de familles en difficulté dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, qui nombreuses viennent demander de l’aide. Donc, invisible l’ASE ? Cette première énormité, comme souvent, en justifie une série d’autres.

Une caricature des publics de l’ASE qui ne respecte rien ni personne

Les enfants et leurs familles, concernées par l’ASE, seraient selon eux « des personnes pauvres, immigrées, plus généralement des personnes en situation de fragilité… », sur le ton de la dénonciation et non sans ricanements, laissant ainsi entendre que la protection de l’enfance viserait un public vulnérable, facile en quelque sorte à prendre pour victime… Il se trouve que l’ASE ne choisit pas les familles et les enfants qu’elle accompagne. Les classes moyennes et supérieures à ce titre ne manquent pas, car la maltraitance ou les difficultés éducatives touchent tous les milieux, qui sont traitées de façon égale devant la nécessité de l’intervention ou de la protection. On parle de familles immigrées comme s’il n’y avait parmi elles que des pauvres, et donc, en situation de fragilité, dans l’esprit de cet amalgame. Les familles immigrées seraient-elles donc toutes sur ce modèle ? Il y a dans cette approche, une forme de légèreté qui constitue un préjudice moral grave, pour les familles et les enfants en cause, mais aussi pour les professionnels et les élus qui ont la charge de cette lourde responsabilité. Il est tellement plus facile de piétiner, sous prétexte de défendre la veuve et l’opprimé, que de construire.

Un quart des SDF seraient issus de l’ASE ? Dit comme ça, c’est une fable

Ils reprennent au passage l’information qui circule selon laquelle, un quart des SDF seraient issus de l’ASE. Un chiffre qui présenté ainsi n’est qu’une fable. Car faut-il encore savoir s’il s’agit de jeunes majeurs ayant été accompagnés dans leur enfance quelques mois, ou jusqu’à 18 ans voire jusqu’à 21 ans. Il faut aussi sortir d’un certain angélisme. Ne sous-estimons pas le fait que parmi ces jeunes, il y en a qui ont rejeté toute aide, toute autorité, ou se sont mis hors de tout projet d’accompagnement éducatif. L’ASE est un service éducatif, ce n’est nullement un service d’accompagnement social et économique de majeurs, ce qui revient à d’autres services et politiques sociales. D’autre part, faut-il avoir encore à l’esprit que ces jeunes s’ils sont dans ces situations, cela n’est pas du fait de leur passage à l’ASE mais plutôt semble-t-il, des raisons pour lesquelles elle est intervenue. Lorsque l’on s’intéresse un peu au sujet, les problématiques familiales qui provoquent fréquemment des dégâts gravissimes, à l’origine de l’intervention de l’ASE, ne parviennent pas à être dépassées parfois par certains jeunes, car l’action éducative et les suivis psychologiques ne peuvent pas tout. Des problématiques qui tendent chez certains à se reproduire par-delà toute velléité d’intervention, jusqu’à être autodestructrices. Voilà pourquoi la proposition de généralisation du dispositif qu’est le Contrat jeune majeur, un contrat qui concerne les jeunes accompagnés par l’ASE jusqu’à 18 ans, qui permet d’aller au-delà et au maximum jusqu’à 21 ans, n’est pas la solution pour tous. Les moyens manquent pour proposer à ceux qui en ont besoin des CJM en nombre suffisant, mais c’est un autre problème. Ce n’est pas à l’ASE de servir de cache-misère en palliant à des problèmes sociaux qui relèvent, le cas échéant, d’un revenu universel pour les jeunes de 16 à 25 ans et donc, d’autres décisions politiques, pour tous les jeunes en difficulté sociale. Mais cela est sans doute trop fin pour ces esprits qui se font plaisir en traitant le problème à la louche.

L’ASE désignée comme sujette à « l’arbitraire, le clientélisme, la corruption parfois »… Un procès en amalgame et de dénigrement qui plonge dans la boue

J’ai gardé le meilleur pour la fin. En s’appuyant sur le reportage de la soirée en question diffusé sur France 3, qui, pour prouver par l’exemple, est allé cherché un cas de malversation d’un directeur de structure, sur le ton de la généralisation comme savent le faire ceux qui veulent tuer leur chien en disant qu’il a la rage, nos deux animateurs improvisés en viennent à généraliser encore un peu plus. Evoquant ainsi le « manque de contrôle » qui serait prétendument général dans ce secteur, ce qui est absolument faux (On fait fermer régulièrement des lieux d’accueil qui sortent du cadre), se permettent de dire, que ce non-contrôle favoriserait « l’arbitraire, le clientélisme, la corruption parfois », jetant l’opprobre sur l’ensemble de ce secteur. En choisissant quelques exemples pris à la marge de tout domaine on trouvera toujours quelques brebis galeuses, mais faire ainsi état d’une généralisation sans éléments objectifs, preuves, confine à un procès indigne. C’est bien le problème d’ailleurs, que les Présidents de Conseils départementaux n’aient pas déjà réagit ensemble contre des généralités qui s’en prennent à un service public qui joue son rôle, dans un domaine ultra-sensible et difficile, où les gens ont en général la vocation et ce, à tous les niveaux. Ce qui ne signifie pas que la chose soit exempte de défauts, de manques de moyens, frappée d’erreur parfois car elle est humaine, mais ce qui n’a pour autant rien à voir avec la façon dont on dépeint l’Aide sociale à l’enfance comme un monstre tentaculaire depuis quelques semaines et cette émission de France 3 à charge complètement paranoïaque. « Le mieux c’est l’ennemi du bien » dit l’adage. La recherche obsessionnelle de la perfection au nom de faire le bien, peut même en arriver à signer par excès, l’acte de décès des meilleures des choses.

Il semble que la volonté de dénoncer des parcours d’enfants placés où ils ont pu subir des dysfonctionnements institutionnels, ait justifié de s’engouffrer sans nuance dans ce sujet à un niveau de caricature et de simplisme extrêmes, avec en prime la bonne conscience que cela soit fait au service de la défense inconditionnelle des enfants. Cette campagne d’hystérisation nuit à un service dont des enfants et des familles bénéficient chaque jour et qui leur est indispensable. Ainsi, le discréditer en le trainant littéralement dans la boue, c’est tout simplement s’en prendre à eux.

1-Usul. Aide sociale à l'enfance : le service public invisible https://www.youtube.com/watch?v=s63aPJbMZVA

2-Pièces à conviction : « Enfants placés, les sacrifiés de la République ».  https://www.france.tv/france-3/pieces-a-conviction/856735-aide-sociale-a-l-enfance.html

3-« Protection de l’enfance : « C’est grâce au foyer que ma vie va bien », Le Monde, 28 février 2017. https://www.lemonde.fr/societe/article/2017/02/28/c-est-grace-au-foyer-que-ma-vie-va-bien_5086872_3224.html

 


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