L’Atlantide engloutie, suite et fin

par Emile Mourey
vendredi 29 janvier 2010

Tout au long de mes quatre articles consacrés au texte de Platon sur l’Atlantide, je me suis efforcé de retrouver le substrat historique à partir duquel il a imaginé sa cité idéale. Les trois murs d’enceinte, il les a reportées dans sa ville idéale mais il leur a donné à toutes trois un tracé parfaitement circulaire alors que la muraille de l’oppidum arverne était en forme d’oeuf ouvert vers le ciel. Autrement dit, alors que les fondateurs ont inscrit leur ouvrage dans un symbolisme mystique, le grec Platon a choisi la rigueur très humaine de la géométrie. Conformément aux principes élémentaires d’une bonne défense, il a fait baigner le bas de chaque enceinte, d’un fossé ou canal, un idéal vers lequel tout bon stratège doit tendre. Mais quand il ramène les deux sources d’eau chaude et froide au sommet de son ilot central, on est en droit de se demander s’il n’est pas un peu trop exigeant.

Difficile d’imaginer un fossé rempli d’eau autour des murailles du Crest bien que l’abondance de la source aurait pu le permettre dans une certaine mesure. En revanche, la présence d’un lac que découvrait à la vue Sidoïne en remontant son petit cours d’eau pose un problème puisque celui-ci n’existe plus. Heureusement, on en retrouve la trace, son contour et son étendue à supposer que les fondateurs, ou leurs successeurs, aient dressé des digues, et donc des ponts à des endroits choisis. Et c’est ainsi que ce lac explique les barques que voyait Sidoïne de son point d’observation, la position privilégiée de Tallende baignée de tous côtés et donc le port. Digue, canal, pont, port, nous retrouvons là les éléments que Platon a repris dans sa configuration idéale. On constate également que la position du Crest est baignée sur ces deux côtés par deux rivières dont des digues, au moins pour l’une d’entre elles, ont peut-être relevé le niveau.
 
Levons tout de suite tout malentendu concernant le dilemme ville-cité. La ville, c’est par exemple Chalon (Cabillo), ville éduenne. La cité, c’est son pagus, son territoire, le Chalonnais. La ville ayant été modélisée, nous passons maintenant à la description que fait Platon de la cité idéale.
 
Autour de la ville régnait une vaste plaine qui, elle–même, avait pour ceinture une chaine de montagnes dont la base s’étendait jusqu’à la mer : cette plaine était unie et régulière, mais d’une forme oblongue ; d’un côté elle avait trois mille stades (555km750) et au–dessus, deux mille (370km50) à partir de la mer jusqu’au milieu. Tout cet endroit de l’ile était exposé au midi et défendu contre le nord. Les montagnes qui l’entouraient, d’après ce que dit la tradition, surpassaient en nombre, en grandeur et en beauté toutes celles qui existent aujourd’hui ; elles renfermaient un grand nombre de villages riches et peuplés, en outre des fleuves, des lacs, des prairies qui procuraient une pâture abondante à tous les animaux sauvages et domestiques, enfin des forêts qui fournissaient en grande quantité des bois de toute espèce pour tous les ouvrages en général et pour chacun en particulier. Telle était la manière dont cette plaine avait été disposée par la nature et par les efforts d’une longue suite de rois. Elle avait la forme d’un tétragone carré et oblong dans presque toute sa surface ; et les parties où elle s’en écartait, on les avait corrigées en creusant un fossé alentour. Il est difficile de croire ce qu’on rapporte de la profondeur, de la largeur et de la longueur de ce fossé, si on le considère comme un ouvrage fait de main d’homme et qu’on le compare aux autres travaux de ce genre ; mais il faut vous dire ce que j’en ai entendu raconter. On l’avait creusé à un arpent de profondeur (35m568) sur un stade de largeur (185m25), et, comme on l’avait conduit autour de toute la plaine, sa longueur était de dix mille stades (1852km500). Il recevait les eaux qui descendaient des montagnes et faisait le tour de la plaine ; après s’être rapproché de la ville par ses deux extrémités, il allait ensuite se décharger dans la mer. D’en haut partaient des canaux de cent pieds de largeur (29m64), qui coupaient la plaine en ligne droite et se jetaient de nouveau dans le fossé voisin de la mer : ils étaient éloignés l’un de l’autre de cent stades (18km525). C’est par cette voie que l’on conduisait à la ville les bois des montagnes, et qu’on y transportait sur des bateaux toutes les autres productions ; après avoir coupé ces canaux transversalement par des fossés qui les faisaient communiquer les uns aux autres et se dirigeaient vers la ville. On faisait deux récoltes par an ; parce qu’en hiver les productions de la terre étaient arrosées par les pluies qu’envoyait Jupiter, et, en été par les eaux qu’on tirait des canaux. Quant au contingent militaire, on avait réglé qu’un chef serait fourni par chaque division des habitants de la plaine en état de porter les armes ; ces divisions avaient dix stades sur dix (1km8525), et l’on en comptait en tout 60 000.
 
La plaine de l’Atlantide était donc divisée en 60 000 parcelles. Chaque parcelle représentait un carré d’un peu moins de 2km de côté. Dans les vastes plaines de la Limagne, déclare, de son côté, l’archéologue Vincent Guichard, la situation est tout autre (que dans le reste de la Gaule) : on observe un réseau incroyablement dense de hameaux plus modestes, éloignés de 2 à 3 km, qui se partagent la mise en valeur des terres.

Les découvertes archéologiques de Vincent Guichard (1), éclairées par le texte de Platon, prouvent qu’au IVe siècle avant J.C., et probablement plus tôt, les rois arvernes avaient cadastré toute la plaine de la Limagne. Et Platon ajoute - je résume - que chaque chef (de parcelle) devait fournir la sixième partie d’un chariot de guerre afin que le nombre en fut de dix mille ; deux cavaliers à cheval, un combattant de char et son cocher, deux fantassins puissamment armés, deux archers, deux frondeurs, trois lanceurs de fronde, trois lanceurs de javelots, soit 16 hommes multipliés par 60 000, ce qui fait une armée de 960 000 hommes si l’on suit Platon. L’armée de Bituit qui fut vaincue par les Romains en 121 avant J. C., ne s’élevant, d’après Strabon, qu’à 200 000 hommes, cela nous donne un premier coefficient d’exagération. L’armée de César ne s’élevant qu’à 40 000 hommes environ nous incite à revoir encore à la baisse le chiffre de Strabon. Mais le plus important n’est pas là ; l’important, c’est de comprendre que si Bituit a pu rassembler sous les armes une troupe aussi importante, c’est parce que sa cité était une cité organisée, cadastrée, disposant d’un plan de mobilisation et d’une agriculture structurée... d’où l’admiration de Platon.

Or que dit Strabon ? Les Arvernes étendirent leur domination jusqu’à Narbonne et jusqu’aux frontières de l’empire marseillais. Ils soumirent des peuples jusqu’aux Pyrénées, jusqu’à l’océan et jusqu’au Rhin (Géographie de la Gaule, IV, 2,3).

Bref, tout concorde. S’il tombe sous le sens que la Gergovie de Napoléon III ne pouvait être la cité qui se dressa jadis contre Athènes, en revanche la Gergovie du Crest, oui, cent fois oui !

Et puis, qu’on regarde la frise du vase de Vix : les escadrons de cavalerie succèdent aux unités d’infanterie lourde et ainsi de suite. Voici l’armée de Gergovie !

Renvois

(1) M. Vincent Guichard est actuellement président du Centre archéologique européen du mont Beuvray. Toujours partisan de la thèse de Bibracte sur ce site et de Gergovie sur le plateau de Merdogne, je lui ai fait demander de se désolidariser de M. Christian Goudineau, titulaire de la chaire des Antiquités nationales. J’attends qu’il fasse connaitre sa position.

(2) Pour ne pas faire un article trop long, je reporte à plus tard (peut-être) le célèbre sacrifice du taureau par les rois prêtres de l’Atlantide ainsi que la grande scène du jugement qui a suivi. Le lecteur intelligent aura déjà compris que cette chasse au taureau aux allures de tournoi n’a pu avoir lieu que sur le plateau de La Serre.

(3) Je rappelle que l’article que j’ai fait paraitre le 26 février 2007 sur l’Atlantide m’a valu les pires sarcasmes. On s’est même référé à cet article pour essayer de m’enlever toute crédibilité pour les autres que j’ai publiés. Pendant ce temps-là, pendant qu’on m’écharpait, le silence du ministère de la Culture est resté assourdissant comme si certains de ses membres se réjouissaient même de ne pas être obligés de se remettre en question. Et ce silence est toujours assourdissant.

 Cet article est un extrait de mes ouvrages
ainsi que les croquis.
 

Lire l'article complet, et les commentaires