L’atteinte à la présomption d’innocence commise par Sarkozy : une habitude dans les médias

par Paul Villach
lundi 28 septembre 2009

L’incroyable accusation portée par le Président de la République depuis New York sur TF1 et France 2 envers les prévenus du procès Clearstream a au moins un mérite : attirer l’attention de tous sur la scandaleuse et quotidienne habitude des médias qui présentent systématiquement tout accusé en coupable. On a, par deux fois déjà, traité du problème sur Agoravox (1).

Une ignorance juridique et linguistique des médias ?

 

On a longtemps cru que cette atteinte systématique à la présomption d’innocence était due à l’ignorance des journalistes, tant juridique que linguistique.

Juridiquement, en effet, dans une démocratie, toute personne accusée est par principe « présumée innocente » tant qu’un tribunal impartial ne l’a pas déclarée coupable. En tyrannie, c’est le contraire : toute personne est présumée coupable et doit donc faire la preuve de son innocence. L’opération est plus difficile, puisqu’un acte reproché non commis, par définition, ne laisse pas de trace.

 

L’adjectif « présumé », de son côté, peut prêter à confusion. Le dictionnaire Robert n’est pas des plus clairs pour des personnes ignorantes des sources latines de la langue française. « Présumé », selon lui, signifierait « que l’on croit tel par hypothèse ». Sans doute, faut-il entendre le mot « hypothèse » dans son sens, donné en sciences expérimentales, de proposition soumise à l’épreuve de l’expérience avant d’être infirmée ou confirmée ; il reste que le mot « hypothèse » comporte une ambiguïté qui laisse planer un doute ici malvenu, selon le plus imbécile des proverbes, « il n’y a pas de fumée sans feu ». On sait pourtant qu’un bon tas de fumier, au propre comme au figuré, peut très bien remplacer le feu. 

 

Le sens du verbe « présumer » d’où l’adjectif est issu, ajoute en plus à la confusion : il veut dire, selon le même dictionnaire, « donner comme probable ». L’étymologie latine, elle, en revanche, écarte toute ambiguïté : « Praesumere » signifie « prendre d’avance », « se représenter avant », « considérer comme, avant tout examen ». Mais voilà qui est bien compliqué et byzantin pour des gens qui maîtrisent souvent mal la langue française !

 Du coup, n’étant pas plus versés dans la procédure judiciaire, ces journalistes ont l’impression qu’en parlant de « coupable présumé », ils respectent le principe de la présomption d’innocence, alors qu’à leur insu, ils inversent la charge de la preuve. Qu’on se promène dans Google ! Il n’y est question que de « meurtrier, violeur ou voleur présumé ». Or, « coupable présumé » signifie « considéré comme coupable avant tout examen ». La présomption d’innocence est bien violée. On se retrouve dans le contexte de la tyrannie, puisque c’est à l’accusé de faire la preuve de son innocence et non à son accusateur de prouver sa culpabilité. 

Un lapsus ou un choix délibéré du président Sarkozy ?

On ne saurait, en revanche, faire ce procès d’intention au président Sarkozy, qui a osé à son tour, mercredi 16 septembre, depuis New-York, sur TF1 et France 2, qualifier de « coupables » les personnes qui comparaissent actuellement devant le tribunal correctionnel de Paris, dans « le procès Clearstream » ? Sans avoir le diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris, il est quand même avocat de profession. On ne lui fera donc pas l’injure de présumer qu’il ne connaît pas le sens des termes juridiques. Et, comme expert en communication, on croit savoir qu’il pèse ses mots, quand il veut frapper fort. Inutile de rappeler des précédents ! Sur un sujet aussi délicat, peut-on même présumer que sa déclaration n’ait pas été mûrement réfléchie ? N’a-t-il pas, comme à son habitude, volontairement parlé le langage de l’électorat d’extrême-droite qui a fait son élection et pour lequel, à force d’entendre les médias le rabâcher, être traduit devant un tribunal signifie être coupable. "Il n’y a pas de fumée sans feu", encore une fois ! Outreau est déjà oublié !

 

Même en reconnaissant au président le droit à l’erreur, qu’est-ce que cela change à la gravité de l’incident ? De deux choses l’une :

- ou il s’agit d’une erreur malencontreuse, d’un lapsus, et elle (ou il) révèle combien dans son esprit la qualité de prévenu se confond avec celle de coupable. Est-ce compatible avec la démocratie, surtout quand on est, comme lui, un président de la République garant de l’indépendance de la Justice ?

- Ou il s’agit d’un choix délibéré. Inutile alors d’insister sur la faute constitutionnelle que cet amalgame représente chez un président de la République manquant gravement aux devoirs de sa charge ! L’émotion soulevée est à la hauteur de l’enjeu.

 

Le pavé de l’ours des partisans et courtisans

 

Et pour aggraver son cas, ses partisans et courtisans ont pratiqué – apparemment sans le savoir ou alors avec cynisme – la technique du pavé de l’ours de La Fontaine, croyant ainsi pouvoir en le lançant chasser une mouche du visage de son maître.

 

M. Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, s’est ainsi offusqué qu’on puisse s’offusquer de la déclaration présidentielle. D’abord, il a cru ou feint de croire qu’il était reproché au président de n’avoir pas associé l’adjectif « présumé » au nom « coupable ». Il avoue par là ignorer le sens de la formule « coupable présumé ». Or il passe pour avoir fait des études de droit ! Ensuite, il a fait diversion en attirant l’attention sur un détail sans importance : «  Est-ce qu’un seul nom a été cité par le président de la République ? a-t-il demandé. Alors, où est le problème ? Il n’y a pas de problème » (2). Qu’aucun nom n’ait été cité, en effet, ne change rien au problème : tous les prévenus ont le droit au respect de la présomption d’innocence, dans l’attente du jugement.

 

Quant à M. Frédéric Lefèbvre, porte-parole de l’UMP, il a renchéri dans l’odieux et même le ridicule  : « Les coupables, s’est-il écrié, sont toujours parmi les prévenus. » (3) Ne s’est-il donc jamais trouvé de prévenus relaxés ou acquittés ? Voilà qui s’appelle piétiner allègrement la présomption d’innocence et qui devrait valoir à celui qui s’y livre en démocratie, le droit de se faire discret à l’avenir et de raser les murs.

Peut-on, en revanche, attendre des rédactions dans les divers médias qu’un séminaire de mise à niveau juridique et linguistique soit organisé pour un usage approprié des adjectifs « présumé », « accusé » ou « soupçonné » ? Oui, mais seulement si cette obstination dans l’erreur depuis tant d’années n’est pas tactique pour, par le procédé de la répétition, imprégner les esprits d’une représentation qui les éloigne en douceur d’une des règles fondamentales de la démocratie et permettre à un président de la République de la violer impunément. Paul Villach

 

 (1) Paul Villach

- « La présomption d’innocence maltraitée par les médias de masse », AGORAVOX, 7 mars 2008

- « La sape indolore et quotidienne de la démocratie par les médias », AGORAVOX, 22 avril 2009

(2) LePoint.fr, 16 septembre 2009 - Nouvel Obs.com, 25.09.2009.

(3) Libération.fr  25.09. 2009


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