L’attentat contre la statue d’Adolphe Thiers en juin 1881

par Emmanuel Glais
mardi 16 juin 2020

En 1885, le député Louis Andrieux défraye la chronique en publiant ses Souvenirs d’un préfet de police. Comme préfet, il revendique avoir contrôlé le principal journal anarchiste, et relate avoir été prévenu de l’attentat sur la statue d’Adolphe Thiers survenu à Saint-Germain-en-Laye dans la nuit du 15 au 16 juin 1881, alors qu’il était à la tête de la préfecture de Paris.

statue de Thiers
A Saint-Germain-en-Laye

Adolphe Thiers, mort en 1877 à l’âge de quatre-vingt ans est le principal responsable de l’écrasement de la Commune. Inaugurée le 19 septembre 1880, sa statue de Saint-Germain-en-Laye est égratignée en juin suivant lors d’un « attentat » qui suscite une certaine émotion chez les héritiers de Thiers. Quel a été le rôle de la préfecture dans cette affaire ? Louis Andrieux, devenu député, s’explique en 1885 en feuilletonnant ses Souvenirs d’un préfet de police, pour le journal La Ligue, qu’il fonde pour l’occasion.

 

Député de Lyon avant d’être préfet, Andrieux a défendu l’amnistie partielle des Communards. Installé à la préfecture, grâce à Gambetta, leader républicain charismatique, il reste en même temps député. Il vote notamment pour l’invalidation de l’élection de Blanqui, le vieux révolutionnaire.

 

« Agé de trente-neuf ans, Andrieux a été choisi par les républicains victorieux pour protéger des contestataires de tout bord. Il a deux missions : organiser le retour des communards amnistiés, et disperser les congrégations religieuses non reconnues par l’Etat  » résume Pierre Juquin dans sa biographie de Louis Aragon, fils de l’intriguant préfet. Andrieux a aussi d’après Pierre Juquin un rôle clef dans « la réinstallation à Paris des pouvoirs publics, repliés à Versailles depuis la fuite de Thiers ». Ce n’est effectivement qu’au cours de cette année 1879 que Paris retrouve son rang de capitale.

 

Le retour des communards amnistiés n’est pas sans danger pour les conservateurs (qui dominent le jeu politique lors des premières années de la IIIe République), et il revient naturellement à un préfet de police de surveiller les anarchistes.

 

« On ne supprime pas les doctrines en les empêchant de se produire. (…) Donner un journal aux anarchistes, c’était place un téléphone entre la salle des conspirations et le cabinet de police.  » se justifie Andrieux, qui avait trouvé un mécène pour fonder La Révolution sociale, journal anarchiste hebdomadaire (« ma générosité de droguiste n’allant pas jusqu’à faire les frais d’un journal quotidien » souligne Andrieux). Louise Michel, qui contribuait au canard, est ridiculisée par l’ancien préfet : « “La grande citoyenne’’ était inconsciente du rôle qu’on lui faisait jouer  ». Cinquante-six numéros paraissent avant que des militants ne découvrent la manipulation.

 

Si Andrieux relate par le menu la préparation de l’attentat de la statue de Thiers, se moquant de la « boîte de sardines, remplie de fulmicoton, et soigneusement enveloppée dans un mouchoir » qui explose difficilement, il n’en revendique pas la paternité, contrairement à ce qu’on peut lire parfois (Pierre Juquin dit d’Andrieux qu’il « suscite » l’attentat). Si la révélation fait du bruit, c’est plutôt parce que le préfet décide de laisser courir les responsables. Il s’en justifie magnifiquement :

 

« Les compagnons n’avaient ni détruit, ni dégradé le libérateur du territoire « destiné à la décoration publique » ils s’étaient bornés à lui faire une tache sous son fauteuil, et j’avais beau relire l’article 287, ce cas n’était pas prévu par le Code pénal.

Il y avait du moins la tentative, me direz- vous.

Oui mais le maximum de la peine n’étant que de deux ans d’emprisonnement, nous étions en matière correctionnelle, et, en cette matière, la tentative de délit n’est punissable qu’autant que la loi le dit formellement.

Les compagnons ne pouvaient être inquiétés tout au plus, aurais-je pu les faire condamner à quinze francs d’amende pour tapage nocturne. J’estimai qu’il était préférable de ne pas leur montrer l’œil de la police et de continuer à les surveiller, assistant invisible à leurs conciliabules jusqu’au moment où il conviendrait d’éteindre la mèche. ou de l’éventer.

Mais cet avortement du grand complot amollit les courages, et les tentatives ne furent pas renouvelées. »

 

Dans sa biographie de Louis Aragon, Pierre Juquin pointe un passage du Roman inachevé, qui fait écho à la fois à son père aux deux visages, et à un poème de Clovis Hugues sur l'ancien préfet.

Chacun devrait lire Aragon pour son plaisir poétique, et les Souvenirs de son père, qui avait aussi la plume alerte, pour sa culture politique. Il faut évidemment mettre ce récit en regard avec l'histoire de l’État policier, dans laquelle Adolphe Thiers a toute sa place. « Thiers, le type même du bourgeois cruel et borné qui s’enfonce sans broncher dans le sang » résumait Georges Clémenceau. Après s’être renseigné, peut-être aura t-on envie de s’attaquer aux dernières statues du premier président de la Troisième République (celle de Saint-Germain-en-Laye fut détruite sous l'Occupation)... Il faudra alors préférer l’acte individuel et oublier son téléphone, pour éviter les mouchards.

Article original : https://blogs.mediapart.fr/emmanuelglais/blog/150620/dans-la-nuit-du-15-au-16-juin-1881-lattentat-contre-la-statue-d-adolphe-thiers


Lire l'article complet, et les commentaires