L’austérité est-elle une fatalité ? Sur la réduction des acquis sociaux

par Erdal
jeudi 5 février 2015

Depuis un certain nombre d’années on assiste à la fin progressive de ce qu’on a hérité des « 30 glorieuses ». Les « acquis sociaux » sont de plus en plus perçus comme inutiles et néfastes par l'élite capitaliste et son Etat, le « péril rouge » ayant disparu il n’y a plus de raisons de les conserver, ils ne « servent » désormais plus qu’à endommager la compétitivité et les précieux profits des capitalistes. Emmanuel Macron, le nouveau ministre de l’Economie et banquier d’affaires chez Rothschild, avait dit lors d’un entretien en octobre dernier : « C’est le moment pour la France de repartir à l’offensive. L’Europe a besoin d’un New Deal : la France s’engage à poursuivre et même à intensifier ses réformes […]. Demandez aux entreprises si rien n’a changé ! Beaucoup de réformes ont été votées et engagées : le Cice (Crédit d’impôt compétitivité emploi, NDR), le pacte de responsabilité et de solidarité, l’accord de janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi. L’Etat, la sécurité sociale et les collectivités font des efforts considérables pour réduire nos dépenses publiques de 50 milliards en trois ans… C’est historique ! Faire changer les choses, c’est toujours prendre un risque. C’est comme rentrer dans la vallée de la Mort : jusqu’au dernier moment, on ne sait pas quand on va en sortir ; mais la pire des erreurs est de faire marche arrière. Nous avons six mois pour créer une nouvelle donne en France et en Europe ». [1]

C’est officiel, le gouvernement « socialiste » d’Hollande fait pire que son prédécesseur en matière d’écroulement social et de cadeaux au patronat et contribue à montrer que le classement gauche/droit n’a plus aucun sens. Un Etat impuissant face aux délocalisations de l’industrie nationale, un Etat qui préfère intensifier l’exploitation des travailleurs, baisser les indemnités, les adoucissements à l’exploitation, pointer du doigts les fraudes des individus aux prestations sociales alors que les fraudes des entreprises (fraude fiscale ou fraude aux cotisations sociales) représentent… 6 fois plus ! Mais ça il ne faut pas toucher !

Macron en compagnie de Montebourg

Vous l’avez votre « le changement c’est maintenant » tant promis ! Et dire qu’Hollande est présenté comme un « mou », au contraire, c’est près de 50 milliards d’euros qu’il a réussi à retirer des caisses de l’Etat pour le patronat, et cela en moins de 3 ans.

Dans les années de guerre froide la voix des patrons ne s’était jamais élevé contre les lois dites sociales, qui étaient tolérées voire encouragées, ce n’est qu’à partir des années 1980, avec l’affaiblissement du communisme, qu’elles ont été rejetées. Mais les capitalistes sont conscients qu’il faut procéder le plus minutieusement possible. En 1996 un rapport de l’OCDE, au départ confidentiel, affirmait qu’il était effectivement temps pour les « pays développés » d’accélérer la libéralisation financière et la destruction des adoucissements à l’exploitation et qu’il fallait s’y prendre progressivement en cherchant à limiter le plus possible les conséquences politiques (émeutes, grèves…) car « comporte nécessairement beaucoup de mesures impopulaires puisque l’on réduit brutalement les revenus et les consommations des ménages » !! [2]

Bien sûr les pleurnicheuses de gauche vont appeler à un retour dans un passé révolu, mais le contexte n’est plus le même qu’après la Seconde guerre mondiale, le mythe des « 30 glorieuses » était le fruit de circonstances exceptionnelles qui n’aurait sans doute pas pu voir le jour sans les immenses dépenses en armement et en reconstructions due à la plus dévastatrice des guerres (qui marque ainsi la fin de la crise des années 1930), une tentative de remake de son aspect « social » engendrerait une fuite massive de capitaux, des grèves de l’investissement voire des sabotages car la peur permanente du communisme (à l’extérieur aussi bien qu’à l’intérieur) n’est plus là pour justifier la générosité de l’oligarchie, et constatant leur échec les réformistes devront faire lamentablement marche arrière comme ce fut le cas avec le « Tournant de la rigueur » de Mitterrand en 1983… et même avec Hollande de nos jours qui avait, avant son élection, promis une taxe sur les riches suffisamment « forte » pour susciter l’indignation du MEDEF… Une fois élu il a proposé une forme très atténuée de cette taxe devant la Cour constitutionnel pour finalement se coucher devant les exigences des capitalistes, Forbes titrait à ce propos : « Hollande converti, propose l’austérité et une baisse des taxes pour renforcer la croissance en France » [3], et la fameuse taxe à 75% va totalement disparaître au 1er janvier 2015. C’est que le gouvernement n’a plus le choix, il ne fait qu’obéir aux exigences des capitalistes, c’est un processus inévitable qui va s’intensifier dans les prochaines années. Le capitalisme ne peut pas être réformé, la « révolution bolivarienne » au Venezuela nous le montre d’ailleurs tous les jours, le capital n’est pas qu’un compte en banque, c’est aussi un rapport social. Et de toute façon les Etats sont massivement endettés, ruinés par le capitalisme, en France la moitié des recettes publiques servent à rembourser la dette et les intérêts. Les travailleurs et les capitalistes ne supporteraient de nouvelles hausses d’impôts, les uns devront resserrer leur consommation, les autres réagiront par des grèves de l’investissements ou pire. Intensifier l’austérité réduirait la consommation intérieures mais creuser davantage la dette nous ferait plonger dans le même marasme que la Grèce. « Nous savons où se trouvent les ressources matérielles dont nous avons besoin. Les travailleurs les produisent, mais ce sont les capitalistes qui les possèdent. L’expropriation des capitalistes doit retrouver sa place au cœur de nos revendications. Et s’il faut rattacher un nom au programme dont nous avons besoin, ce ne doit pas être Keynes, mais Marx » [4].

Keynes disait lui-même qu’il proposait les interventions étatiques pour la raison que cela constituait le « seul moyen d’éviter la complète destruction des institutions économiques actuelles » et la « condition nécessaire d’un fructueux exercice de l’initiative individuelle » [5], l’interventionnisme devait donc servir de béquille au capital. En un peu plus direct : « C’est un parti de classe, et cette classe n’est pas ma classe [la classe ouvrière]. Si je dois revendiquer des avantages pour une fraction de la société, ce sera pour celle à laquelle j’appartiens. […] Je peux être sensible à ce que je crois être la justice et le bon sens ; mais la lutte des classes me trouvera du côté de la bourgeoisie cultivée ». [6] La seule chose qui agitait l’esprit de Keynes était de quelle manière sauver la classe dominante, ni plus ni moins.

Pour Keynes « les salaires réels et le niveau de la production (et donc de l’emploi) [étant] inversement corrélés » en économie de marché, il préconisait la montée générale des prix (l’inflation) afin de faire baisser les salaires et les taux d’intérêts réels, car il savait qu’il est plus difficile pour les ouvriers de résister à une hausse des prix qu’à une baisse des salaires nominaux, cela devait permettre d’équilibrer l’épargne et l’investissement et d’accroître la « rentabilité du capital » afin d’augmenter le niveau d’emploi et de créer les conditions pour le développement « normal » du capital, l’Etat devait aussi étatiser des branches économiques entières (comprenant bien que les interventions de l’Etat capitaliste servent les intérêts privés), mettre en oeuvre d’importantes subventions et investissements publics, qu’ils soient utiles ou pas (armement…) afin de soutenir l’économie. Occultant les causes réelles des crises et le mécanisme pervers du capitalisme, pour Keynes l’insuffisance de la demande était due à des raisons « psychologiques », en réalité cela était due à la paupérisation relative (si ce n’est pas absolue) des travailleurs, et cette baisse des salaires réels allait encore plus appauvrir la demande intérieure des classes populaires.

Les politiques keynésiennes, non seulement se réalisent dans le seul but de sauver le capitalisme donc doit être l’ennemi de la classe ouvrière, mais en plus ne fonctionnent pas. Même un authentique keynésien comme Denis Clerc avait admis : « Partout où elles étaient tentées (sauf aux Etats-Unis), les politiques keynésiennes de relance ont échoué, ou n’ont réussi qu’en provoquant des déséquilibres intolérables à terme (déficit commercial extérieur, inflation) » [7]. On notera que le New Deal américain a également échoué à retrouver le niveau de 1929, il est à l’origine de la récession de 1937 et ce n’est que la Seconde guerre mondiale qui a vraiment sortie le pays de la crise. Il est clair que les solutions à la crise structurelle que nous subissons et à l’écroulement social qui l’accompagne ne se trouvent pas dans un cadre capitaliste, qu’il soit « libéral » ou « keynésien », ces deux faces d’une même pièce. Aujourd’hui le capitalisme ne peut plus assurer un certain bien-être social aux exploités, c’est l’une des raisons pour lesquelles le socialisme doit prendre sa place. Il ne faut pas chercher à améliorer les conditions de vie dans le cadre du capitalisme, il faut le renverser.

Notes : 

[1] : E. Macron, entretien avec Le JDD, 11/10/2014
[2] : Cahier de politique économique n° 13, « La faisabilité politique de l’ajustement », par Christian Morrisson, 1996
[3] : Site du CIO ivoirien, Thomas Piketty : le nouveau Marx ?, 09/07/2014
[4] : La Riposte, Qui était John Maynard Keynes ?, 14/02/2012
[5] : Cité par Paul Mattick dans Marx et Keynes, éd. Gallimard, 1972, p. 13
[6] : Keynes, Suis-je un libéral ? (1928), cité par Mattick, op. cit, p. 33
[7] : Denis Clerc, Déchiffrer l’économie, édition de 1994, p. 358
[8] : Contrepoints.org, Piketty détruit Marx et Keynes, 03/06/2014


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