L’autodestruction d’une candidature ?

par Olivier Perriet
lundi 3 avril 2017

Les élections, sorte de super entretien d'embauche à l'échelle d'une nation, sont des révélateurs cruels pour les politiciens ; difficile de cacher ses ambiguïtés lorsqu'on est surexposé aux yeux de tous.

On peut même assister à l'évaporation en direct d'un candidat à la télévision. J'ai été témoin d'un épisode de la sorte en regardant l'interview de Nicolas Dupont-Aignan au « 20 heures » de France 2 le 24 mars dernier.

Parce que « Qui aime bien châtie bien », je n'évoquerai pas les points positifs, car il y en a quand même, mais les flottements absolument désastreux d'un discours qui sape minutieusement la légitimité du candidat.

Écartons tout de suite l'erreur involontaire, le journaliste hargneux, ou le message adressé à un auditoire particulier :

quand on s'exprime au journal de 20 heures, on sait qu'on sera largement entendu, pas comme sur une radio périphérique à 6 heures du matin. Et on ne peut pas dire que Laurent Delahousse ait été particulièrement méchant.

« Je ne suis pas pour le Frexit, mais pour la re-né-go-cia-tion »

En politique, certains mots ou expressions sont comme de la nitroglycérine : à manier avec d'infinies précautions. Ainsi des mots « réforme », ou « moderne », qui sont devenus ultra négatifs tant ils ont été synonymes de « régression ».

Et pour un souverainiste, « renégocier les traités européens » fait partie de ces expressions à haut risque, avec des précédents désastreux :

Sauf si on est amnésique, on se souvient que François Hollande a voulu « renégocier le pacte de stabilité » en 2012. Cela fut vite fait, le temps d'un demi week-end, avec l'ajout d'un vague paragraphe sur la croissance, ce qui ne mangeait pas de pain.

En 2015, Alexis Tsipras aussi a voulu renégocier, seul contre tous, et a fini par accepter pire que ce qui lui était proposé au départ, après 6 mois de crise et la mise sous embargo monétaire de la Grèce par la BCE.

Et lorsque Delahousse lui demande ce qu'il compte faire si les autres pays de l'UE, et notamment l'Allemagne, refusent toute « renégociation », NDA répond par une pirouette : « Mais qu'est-ce qu'on en sait ? ». Certes.

Ce discours désinvolte pouvait à la limite passer en 2012 - et encore ! -, mais pas après la tragédie grecque de 2015. Il faut ainsi rejoindre les auteurs eurocritiques (Jacques Sapir, Coralie Delaume, etc.) qui, tirant les conséquences de la crise de 2015, constatent qu'à défaut de se faire entendre dans ce type de discussion, il faut être prêt à aller jusqu'à la rupture complète ; faute de quoi, on avoue ouvertement qu'on « part au combat sans munition en soute » (La Fin de l'Union européenne, C Delaume et D Cayla, p66). Et encore faut-il avoir, en amont, fait la pédagogie de ce que pourrait être cette rupture, pour avoir toute légitimité d'en prendre la responsabilité (voir une analyse de la situation grecque en juillet 2015 - parmi tant d'autres - sur le blogue de Sapir : http://russeurope.hypotheses.org/4177 )

Le moins qu'on puisse dire c'est que ce type de discours fuyant ne clarifie guère les choses dans une période où les faux semblants brouillent tous les enjeux.

Passons rapidement sur le « Je ne veux pas le Frexit » réitéré, qui paraît plutôt étrange pour un politique qui se prévaut de son alliance avec Nigel Farage, le chantre du Brexit, et passe le plus clair de son discours à dénigrer l'UE. On joue toujours sur les mots, comme si sortir de l'Union européenne allait faire de la France une île…

« Cet après-midi j'ai reçu un coup de téléphone d'un parlementaire Les Républicains »

L'explication de ce discours déroutant est peut-être là.

Le bruit court visiblement les rédactions parisiennes : une partie des électeurs de droite déboussolés par leur candidat seraient en train de se déporter sur NDA.

Pour attirer cette nouvelle clientèle qui, évidemment, répugne à se tourner vers Macron, ancien ministre d'un gouvernement de gauche, NDA pourrait avoir envie d'arrondir les angles de son discours. Un peu comme lorsque Robert Ménard avait demandé à Marine Le Pen de mettre une sourdine sur les attaques contre l'euro, pour ne pas trop affoler un électorat conservateur, frileux sur la remise en cause de l'UE.

Est-ce pour ça qu'on a aussi pu noter quelques œillades en direction de Nicolas Sarkozy, comme la nécessité de refonder une « Union pour la méditerranée » ? Dommage que, comme ce n'était pas le centre du sujet, Delahousse n'ait pas pu faire le parallèle avec la « renégociation » des traités évoquée avant : on s'en souvient, l'UPM de Sarkozy, victime collatérale du printemps arabe, avait aussi été consciencieusement sabotée par l'Allemagne d'Angela Merkel, vexée d'en être écartée, qui avait exigé d'y inclure l'ensemble des pays de l'UE, Scandinavie comprise.

Alors, bon ou mauvais calcul ?

On ne le saura que le 23 avril, mais on peut émettre dès à présent quelques hypothèses :

Au terme d'une course à l’échalote vers le plus sectaire, l'électorat conservateur a choisi François Fillon en toute connaissance de cause, les yeux grands ouverts. Quoi qu'on en pense, sa légitimité est incontestable, et une fois que le vin est tiré, il faut le boire jusqu'au bout.

On ne voit toujours pas en réalité pour quelles raisons ces électeurs se détourneraient en masse vers un candidat, certes issu de l'UMP, mais qui demeure un marginal aux positions anti européennes affirmées de longue date.

Rappelons par exemple qu' à ce jour, même Henri Guaino, qui dit pourtant la même chose, à 100 %, que NDA, ne s'est aucunement décidé à le rejoindre.

On imagine plutôt, en vérité, tout le manque d'intérêt que l'électeur filloniste lambda, qui voit son candidat bousculé de toutes parts, peut nourrir envers une candidature dissidente.

« Mais finalement, qu'est-ce qui vous différencie fondamentalement de Marine Le Pen ? »

C'est la question qui fâche, qui revient régulièrement et ne trouve pas de réponse satisfaisante, ici comme avant :

« Ce que je suis », « Mon programme plus crédible », « Il n'y a pas d'arrière boutique néo nazie chez moi », etc.

Là aussi, il n'est pas lieu de faire des procès d'intention, et toutes les sensibilités peuvent s'exprimer au premier tour d'une élection. Toutefois, le précédent des régionales 2015, où les listes DLF avaient courageusement choisi de ne pas choisir au second tour, n'est pas des plus rassurants.

Il demeure tout de même étrange, pour un candidat gaulliste, de feindre de méconnaître le principe d'une élection à deux tours majoritaires : si au premier tour, toutes les sensibilités peuvent d'exprimer, au 2e on dégage une majorité absolue sur un candidat qui est un candidat « de raison ».

On ne peut pas non plus éternellement tenir un discours alarmiste sur la situation du pays et se payer le luxe de ne s'adresser qu'à sa chapelle, ou de feindre de croire que seule sa chapelle détient la vérité. À l'heure où enfin les lignes bougent, « la guerre des égos souverainistes » apparaît de plus en plus incompréhensible et risque de dégoûter les électeurs. La remarque vaut aussi pour Guaino, Asselineau, Chevènement ou d'autres intellectuels évoqués plus haut, qui signent une Tribune fort intéressante (http://www.chevenement.fr/Europe-la-supranationalite-a-echoue-faisons-confiance-aux-nations_a1911.html) mais se gardent bien de désigner qui pourrait mettre en œuvre leurs projets.

Quant à Marine Le Pen, veut-elle réellement être élue ? La question n'est pas si anodine que ça, tant la candidate met un soin appliqué à enchaîner remarques de bon sens et âneries...

Conclusion

Ligotée dans des messages contradictoires et peu audibles, la candidature souverainiste de Nicolas Dupont-Aignan, semble susciter elle même des chausse-trappes pour se faire trébucher. Même si on peut tout à fait lui concéder quelques efforts méritoires, tels ceux déployés le 15 mars dernier sur France 2, pour réhabiliter l'usage de la banque centrale comme émettrice de prêts à 0 % pour l’État, devant un François Lenglet qui tombait des nues en découvrant cette possibilité.

Il est à ce stade impossible de prévoir l'avenir, mais tout se paye :

faire un score entre 5 et 8 % le 23 avril, avec le renfort d'électeurs timorés sur l'UE, au prix d'une dilution du message, risque fort de ressembler à une victoire à la Pyrrhus, qui ne débouchera sur rien d'exploitable.

Et ce n'est là encore là qu'un scénario relativement optimiste : on peut très bien imaginer un jeu à somme nulle entre NDA et Asselineau, où chacun des deux va faire un score inférieur à 5 %, et gardera, bien évidemment, sa précieuse « part de marché » pour la suite.

Sauf que l'histoire ne repasse pas les plats, et que la suite risque fort d'être une France durablement marginalisée après 5 années supplémentaires de suivisme européen, qu'il soit austéritaire et sérieux, ou libéral et cool.


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