L’effritement de la laïcité ; conséquence de l’évolution de la nation multiculturelle ?

par L’apostilleur
samedi 3 décembre 2016

 

La laïcité « allait de soi » pendant deux siècles

La laïcité, donnée cardinale de la nation républicaine, a été largement admise en France depuis la révolution jusqu’à la fin du XXe siècle. Pendant cette période le concept de « nation française » s’entendait sans que se pose la question de sa caractérisation culturelle. C’était la période réussie du mariage entre la laïcité et la nation. Les déistes révolutionnaires introduisaient « l’être suprême » en préambule à la constitution qui l’enfermait dans le carcan de l’Article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »

Les athées révolutionnaires concédaient la pratique de la religion en la subordonnant à l’ordre public, ce qui était d’autant plus concevable que les pouvoirs et privilèges ecclésiastiques avaient été confisqués par la révolution. L’ordre était établi ; d’abord l’Etat ensuite la religion, catholique principalement alors. La laïcité s’imposait à une nation cimentée par la communauté des valeurs dont elle était héritière ; gréco-romaine et chrétienne.

Cette idée sous-jacente dans la vie de la République, a été silencieuse pendant plus de deux siècles jusqu’à ce qu’elle soit réveillée en 2015.

Des croyants (musulmans islamistes) s’attaquaient aux valeurs républicaines, à la laïcité.

La « presque » totalité du peuple français l’a reprise en cœur en écho aux attentats dans sa capitale. La laïcité, totem de la nation, avait été bousculée. Cette valeur éclatait au visage de la République qui l’avait négligée comme une évidence inutile à entretenir. Comment la République a-t-elle réagit ? Par des actions sécuritaires destinées à contrer les extrémistes et la diffusion de chartes dans les écoles et dans les hôpitaux destinées aux laïques pour qu’ils puissent s’y référer et aux « non laïques » pour qu’ils soient informés. Nos ethno-sociologues sauront dire qui et combien sont ces derniers. Les timides présentations médiatiques de ces chartes montrent la prudence de l’Etat et leurs contenus celle de ses auteurs face aux communautés concernées. Cette prudence reflète une situation très sensible dans le pays, elle s’apparente à une faiblesse de l’Etat incapable d’imposer énergiquement la laïcité par des lois appropriées.

Pourquoi est-ce une nécessité ? Parce que la nation a changé.

 

La laïcité s’entendait lorsque la nation française était mono-culturelle

Ces dernières décennies nous ont montré une laïcité contorsionnée suivant en cela les transformations de la nation, alors que la nation tout entière aurait dû s’adapter au carcan de la laïcité. Pendant que les rodomontades politiciennes nous rappelaient l’exigence de laïcité pour le pays, les actes d’accommodation avec les particularismes communautaires se multipliaient.

Pour se convaincre de l’évolution de la nation, il suffit de parcourir ses définitions depuis l’origine. La définition de la nation a été amendée au gré des époques. C’est le signe à postériori de son changement.

Plusieurs définitions au fil du temps vont faire émerger des distinctions que la prise en compte des différences entre individus vont rendre nécessaires. La nation est en continuelle évolution. Elle a de tout temps, agrégé des individus d’origines et de cultures différentes, régénérant la Nation avec la volonté et la capacité culturelle d’adaptation des arrivants.

Le « dictionnaire historique de la langue française » nous donne une indication quant à son sens originel. Le peuple ici, n’a pas besoin d’être défini, il est « homogène ».

« La notion moderne de nation émerge véritablement au XVIIIe s. avec la Révolution la nation devient une entité politique identique au tiers état (1789 Sieyès), au peuple révolutionnaire, et prend sa définition de "personne juridique constituée par l'ensemble des individus composant l’État. »

Le « Nouveau dictionnaire universel des synonymes de la langue française » de François Guizot en1822, distingue le peuple et la Nation en introduisant un complément de définition.

« Un peuple est une multitude d'hommes, sous les mêmes lois et vivant dans le même pays.

Une nation est une multitude d'hommes, sous les mêmes lois, vivant dans le même État et ayant la même origine ».

Pour le dictionnaire de la langue française, la nation est un « Ensemble de personnes vivant sur un territoire commun, conscient de son unité (historique, culturelle, etc.) et constituant une entité politique. »

Pour le dictionnaire Hachette, « la nation est une communauté humaine caractérisée par la conscience de son identité historique ou culturelle, et souvent par l'unité linguistique ou religieuse. C'est aussi une communauté, définie comme entité politique, réunie sur un territoire et organisée institutionnellement en État. » 

Gérard Bouchard (Université de Québec- 2011) ajoute : « …que la langue officielle, le cadre juridique et la référence territoriale ne suffisent pas à fonder une nation ; il faut y ajouter toute la symbolique qui nourrit l'identitaire, la mémoire et l'appartenance… »

On voit que l’évolution de l’idée de la nation repose sur un triptyque ; « identité politique, territoire donné, communauté d’individus » et que seule la « communauté d’individus » fait l’objet de rectifications. Initialement il est fait référence sans distinctions aux « … individus » en précisant plus tard « ayant la même origine », qu’il conviendra de compléter par « l’unité culturelle » et ce qu’elle comporte ; « l’unité historique, l'unité linguistique ou religieuse…. »

Le changement de définition de la nation acte la diversité grandissante de la population française pendant le XXe s. siècle principalement.

 

L’UNESCO atteste de ce changement avec la définition de l’Etat et de la nation. « Après la première guerre mondiale (…) l’état et la nation en sont arrivés à signifier la même chose et ont commencé à être utilisés de façon interchangeable. Le terme « national » en est arrivé à signifier tout ce qui est conduit et régulé par l’état… »

Le Petit Robert confirme cette définition actuelle qui se confond, pour la France par exemple, avec celle de peuple français, « une nation est un groupe humain constituant une communauté politique, établie sur un territoire défini (…) et personnifiée par une autorité souveraine ». Il n’est plus fait référence à « … la même origine » ou à « ll'unité historique, l'unité linguistique ou religieuse…. »

Ce qui se traduit par le « mélange » de la notion de pays et de nation, comme dans le tournoi de rugby des « 6 nations » qui oppose l’Angleterre, l’Irlande, l’Écosse, le Pays de Galle, la France et l'Italie.

Par exemple, la Ligue celtique et le Congrès celtique reconnaissent six nations : l’Écosse, l’Irlande, l’Ile de Man, le Pays de Galles, la Cornouailles et … la Bretagne.

Le récent référendum nous a rappelé l’attachement des écossais à la nation, leur volonté d’indépendance et l’importance de leur différence culturelle y compris avec celles des autres nations du Royaume-Uni. C’est une manifestation de la vigoureuse unité de la nation et de l’importance que certains peuples lui accordent encore.

La nation multiculturelle n’existe pas, la société multiculturelle se substitue à la nation.


Lire l'article complet, et les commentaires