« L’Effroyable Imposture 2 » : le scandale Meyssan est de retour ?
par Pascal Grosjean
mardi 5 juin 2007
De nouveau, Thierry Meyssan fait mouche avec son dernier livre, « L’Effroyable Imposture 2 », même si on peut s’attendre à une charge médiatique en règle contre ce journaliste hors du commun qui dérange. Revenant sur l’attaque du Liban par Israël à l’été 2006, il déconstruit patiemment et méthodiquement la longue histoire d’un mouvement trop méconnu, le sionisme politique, son réseau politique et ses outils médiatiques, avec juste ce qu’il faut de révélations. Devenu intime du pouvoir dans nombre de pays du Proche et Moyen-Orient depuis la parution du premier tome choc en 2001, il a largement confronté son analyse à la réalité du terrain et sait de quoi il parle.
Comment
comprendre les guerres du Proche-Orient quand les bases de raisonnement sont
faussées par une machine médiatique servant les objectifs stratégiques d’une
minorité de décideurs cyniques et distillant des mensonges les uns après les
autres afin de court-circuiter l’opinion ?
Dans une transparence et une rigueur académiques, Thierry Meyssan revient sur ces bases de raisonnement biaisées, fait table rase des idées reçues et intoxications pour finalement s’emparer du problème en des termes autrement plus sérieux et compréhensibles. De l’idéologie théopolitique des pionniers calvinistes au plan de remodelage du « grand Moyen-Orient » néoconservateur, de Balfour à la réorganisation de l’armée israélienne par le Pentagone, il retrace avec soin - et une cohorte de documents officiels - la convergence d’intérêts qui a finalement conduit Israël à sous-traiter l’agression du Liban pour les États-Unis.
Le lecteur oscille entre surprise et consternation à mesure que Thierry Meyssan déroule devant ses yeux le fil d’acier reliant les machines militaro-idéologiques israélienne et états-unienne.
Ce livre contient en outre de surprenantes révélations soigneusement documentées sur les acteurs de l’ombre dans ce scénario catastrophe, tel un Edward Luttwak préconisant la confiscation des gisements pétroliers arabes en 1974 pour finalement superviser la quasi-fusion militaire entre Israël et les États-Unis.
En outre, on y apprend que la France a joué un rôle beaucoup plus important dans ce conflit que ne veut bien l’admettre la presse institutionnelle ; encore une fois les arguments avancés sont aisément vérifiables. En fin de compte on s’aperçoit que la diplomatie française a cette fois contribué à sauver la démocratie libanaise, ce qui n’a pas forcément toujours été le cas.
À
ce tableau j’ajouterai néanmoins un bémol : Meyssan avance l’hypothèse,
sur la foi de sources personnelles non divulguées, selon laquelle la défaite
d’Israël au Liban était pour l’essentiel imputable à l’action d’officiers au
sein de Tsahal, qui auraient transmis des renseignements en temps réel au
Hezbollah. Or cette imputation étant la seule qui soit non vérifiable dans cet
ouvrage, on peut se demander s’il ne cherche pas de fait à minimiser le rôle de
grandes puissances comme la Russie ou la France, qui profitent généralement de
ce type de conflit pour tester leur matériel d’interception de
communications militaires. Quoi qu’il en soit, cette information aurait des
implications graves si elle devait s’avérer authentique.
Par ailleurs, si la relecture et la mise en page laissent un peu à désirer,
l’inclusion d’un index en revanche est appréciable dans ce type d’ouvrage.
De par son rôle d’ « éminence grise » sur le théâtre proche-oriental, dans lequel il est amené à concilier des intérêts parfois très divergents autour de mêmes priorités politiques, Thierry Meyssan se doit de livrer une réflexion distanciée et pondérée. Toutefois, les faibles contraintes diplomatiques pesant sur ses épaules lui confèrent simultanément une liberté de parole salutaire, que même ses ennemis auraient bien tort de négliger en balayant d’un revers de main tout débat suscité par « L’Effroyable Imposture 2 ». En cela Thierry Meyssan est d’ailleurs bien fidèle à la pensée de Voltaire et au combat du réseau qui porte son nom.
D’une part, « L’Effroyable Imposture 2 » intéressera donc autant ceux qui, tentant de se faire une opinion claire sur le conflit au Proche-Orient, veulent dissiper le brouillard médiatique qui neutralise l’opinion publique occidentale et permet aux dirigeants cyniques de poursuivre leurs grands desseins stratégiques. Mais il est également amené à devenir une référence pour les milieux spécialisés, diplomatiques et autres, victimes eux aussi de l’intoxication à plus ou moins grande échelle. Car si on a beaucoup attaqué Thierry Meyssan pour son précédent ouvrage en le qualifiant au bas mot de sensationnaliste, la rue et les dirigeants des pays opprimés, eux, ne s’y sont pas trompés.