L’élargissement de l’OTAN et les prétendues promesses

par Jean Dugenêt
mercredi 8 juin 2022

 

L’éclatement du bloc de l’Est

Pendant toute la guerre froide les deux puissances (USA et URSS) vivaient sur le délicat équilibre de la menace d’attaques nucléaires venant des deux côtés. L’équilibre semble fragilisé par la chute du mur de Berlin en 1989 puis la dislocation de l’URSS en 1991. Le capitalisme sort vainqueur de ce bouleversement sans que les puissances capitalistes aient eu à combattre. La bureaucratie parasitaire s’est en grande partie autodétruite. Elle était devenue la principale force restaurationniste puisqu’elle cherchait à asseoir ses privilèges sur la propriété privée. Gorbatchev fut le représentant de cette large frange de la bureaucratie russe. Il cherchait à orienter la politique de l’URSS vers le « libéralisme » en espérant le faire progressivement mais en craignant de perdre le contrôle du processus. En même temps les masses populaires, tout en contestant la bureaucratie par leur aspiration à davantage de justice sociale, combattaient aussi ce système par leurs aspirations à avoir davantage de libertés. La bureaucratie ne pouvait pas maintenir son pouvoir en le démocratisant car les intérêts du peuple étaient incompatibles avec ce pouvoir de privilégiés. Le cumul de ces forces a fait s’effondrer le pouvoir de la vieille bureaucratie stalinienne. La chute du mur de Berlin reste le symbole fort du désir des peuples de l’Est d’accéder à plus de liberté. Ce sont donc deux forces sociales qui se sont combinées et qui ont toutes les deux contribué à mettre un terme à la domination de type stalinien à la fois sur l’Europe de l’Est et sur l’URSS. La volonté populaire d’avoir plus de liberté se combinait à la volonté d’une large frange de la bureaucratie de conforter ses privilèges par l’accès à la propriété privée des moyens de production. Dès l’effondrement du bloc de l’Est une quantité d’anciens apparatchiks ont cherché à devenir les nouveaux capitalistes en s’accaparant à bas coût les biens de l’Etat. Pendant les années noires (de 1991 à 2000), l’ancien Etat « soviétique » s’est décomposé et de véritables gangs se sont constitués pour s’accaparer et se disputer les dépouilles du vieil Etat. Des anciens bureaucrates de l’appareil stalinien vont émerger dans cette lutte de gangsters. Ce sont en effet les chefs de gangs divers qui ont finalement décidé de se mettre d’accord entre eux pour le partage des richesses. Leur accord ressemble à celui des parrains de la mafia. L’un d’eux a fini par émerger au-dessus des autres en devenant président de la Russie. Il s’appelle Poutine.

Engagements de la Russie envers l’Ukraine

Lorsque l'Union Soviétique disparaît le 31 décembre 1991, quatre anciennes Républiques Socialistes Soviétiques devenues indépendantes possèdent sur leur sol des armes nucléaires : la Russie, qui en détient le plus grand nombre, mais aussi la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine. Cette situation préoccupe les États-Unis et les autres grandes puissances qui veulent à tout prix éviter une extension du nombre de pays détenteurs de l'arme nucléaire. Ils veulent limiter la possession de l’arme nucléaire à la Russie et l’interdire aux trois autres pays. Cette orientation des USA convient très bien à Eltsine. Des négociations sont entamées et un premier accord est signé à Lisbonne le 23 mai 1992 (traité START). Il est ensuite revu et l’accord définitif est signé le 5 décembre 1995. Trois mémorandums sont signés respectivement pour la Biélorussie, l’Ukraine et le Kazakhstan. Sur chacun d’eux figurent les signatures des russes (Boris Eltsine), des américains (Bill Clinton) mais aussi du Royaume Uni (John Major). L’Ukraine ratifie alors le TNP (Traité de Non-Prolifération de l’arme nucléaire) que la Biélorussie et le Kazakhstan avaient déjà ratifié (Signature de Leonid Kuchma). Ce traité est fréquemment appelé le Mémorandum de Budapest puisqu’il a été élaboré, pour l’essentiel, les 5 et 6 décembre 1994 lors d’un sommet de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) à Budapest. Cet accord garantit que l'indépendance et la souveraineté de l’Ukraine dans ses frontières actuelles sera respectée. Boris Eltsine prend donc alors l’engagement :

« de respecter l'indépendance, la souveraineté et les frontières existantes de l'Ukraine. (…) de s'abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de l'Ukraine (…) de s'abstenir de toute coercition économique visant à subordonner à leur propre intérêt l'exercice par l'Ukraine des droits inhérents à sa souveraineté et de s'assurer ainsi des avantages de toute nature. » (Mémorandum de Budapest).

Lorsque le traité START (protocole de Lisbonne de 1992) expire, les États-Unis et la Russie publient une déclaration commune le 4 décembre 2009 qui confirme que les garanties de sécurité figurant dans les mémorandums de Budapest signés avec l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan demeurent valables au-delà de cette date.

« Le respect par ces États de leurs obligations au titre du protocole au traité START du 23 mai 1992 (Protocole de Lisbonne) et leur adhésion au TNP (Traité de Non-Prolifération) en tant qu'États non dotés d'armes nucléaires ont renforcé leur sécurité, ce qui s'est traduit, entre autres, dans les mémorandums de Budapest du 5 décembre 1994. À cet égard, les États-Unis d'Amérique et la Fédération de Russie confirment que les assurances consignées dans les mémorandums de Budapest resteront en vigueur après le 4 décembre 2009. »

En 2009 les deux grandes puissances ont donc clairement réaffirmé leur engagement « de respecter l'indépendance, la souveraineté et les frontières existantes de l'Ukraine ».

La chute des régimes staliniens en Europe de l’Est

Les évènements de 1991 ne concernent pas seulement la Russie et les autres anciennes républiques soviétiques. Ils concernent aussi les pays de l’Europe de l’Est et par conséquent la question de l’élargissement de l’OTAN c’est-à-dire le processus d'inclusion de nouveaux États dans l'alliance politique et militaire fondée en 1949 par les douze États signataires du traité de l’Atlantique nord. Rappelons que les internationalistes ont toujours été farouchement opposés à ce traité qui subordonne les intérêts des pays de l’Europe de l’Ouest à ceux des USA sur toutes les questions d’ordre militaire. C’est en cela que nous y sommes opposés et nous n’avons nullement besoin de faire état de promesses qui n’auraient pas été tenues. Nous n’avons pas davantage besoin de nous référer aux « règles de droit internationales ». Cependant, hormis les révolutionnaires tous les politiciens défenseurs ou adversaires de Poutine se réfèrent à ces règles de diplomatie internationale et, à l’image de Poutine lui-même, beaucoup essaient de montrer qu’il y aurait eu dans l’élargissement de l’OTAN une trahison d’anciennes promesses.

Il faut donc rappeler que, en principe, les pays de l’Europe de l’Est ont toujours été des pays indépendants. Ils n’ont jamais fait partie de l’URSS mais ils étaient néanmoins sous la tutelle de Moscou. Les peuples qui se révoltaient dans ces pays l’ont vu très concrètement quand les chars russes sont arrivés chez eux que ce soit en Allemagne de l’Est en 1953, en Hongrie en 1956 ou en Tchécoslovaquie en 1968. Ces pays étaient censés être librement membres du Pacte de Varsovie qui était le vis-à-vis de l’OTAN. En fait, nous savons tous que ces pays étaient soumis au diktat de la bureaucratie stalinienne de Russie qui et intervenue pour mâter plusieurs rebellions.

À partir de l'automne 1989, les régimes de l’Europe de l'Est tombent les uns après les autres. Le vaste mouvement de protestation en Pologne qui avait notamment abouti à la création de Solidarność en est une des principales causes. Le « rideau de fer » est ouvert le 2 mai 1989 entre la Hongrie et l’Autriche. La chute du mur de Berlin intervient six mois plus tard (9 novembre 1989) après que des manifestations de masse se soient déroulées à Leipzig, à Dresde et à Berlin-Est. En Roumanie Ceaușescu veut résister à la vague de libéralisation. Il veut rester à l’ère de la politique dictatoriale de Staline. Il est le seul en Europe à avoir provoqué de sanglants affrontements dans son pays. Il est renversé le 22 décembre 1989 par une révolution et exécuté trois jours plus tard par ses propres troupes. Le pouvoir insurrectionnel est confisqué par une aile de la bureaucratie plus proche des idées de Gorbatchev. Les régimes issus du stalinisme chutent ensuite dans les sept pays de l'Europe centrale et orientale. Je renvoie sur cette question le lecteur à la page de la Wikipédia consacrée à ces évènements entre 1988 et 1991. Dans ces pays, le sentiment d’accéder enfin à la liberté l’emporte sur la crainte de réintroduire le capitalisme et les gouvernements mis en place veulent obtenir la garantie qu’il n’y aura pas de retour en arrière c’est pourquoi ils demandent leur adhésion à l’OTAN et à l’UE. La chute des régimes staliniens en Europe est suivie fin 1991 par la dislocation de l’URSS.

Chronologie de la chute des régimes staliniens en Europe de l'Est (Wikipédia)

L’adhésion à l’OTAN des pays de l’Europe de l’Est

Quand ces pays ont décidé, après 1991, d’adhérer à l’OTAN comme ils avaient adhéré au Pacte de Varsovie auparavant, il n’y avait aucunement lieu de parler de traitrise ou de parole non tenue. Ce sont des pays indépendants qui ont le droit de choisir leurs partenaires. Nous ne voyons pas au nom de quoi ceux qui n’avaient jamais contesté leur adhésion au Pacte de Varsovie pendant la guerre froide contesteraient leur adhésion à l’OTAN après la guerre froide. Est-ce que des « règles de droit international » autoriseraient qui que ce soit à s’immiscer dans la politique de ces états ? Les internationalistes sont loin d’être satisfaits de voir ainsi se renforcer la puissance de l’OTAN mais ils ne se réfèrent pas pour cela à des notions de « droit international ».

Les événements de 1991 ont surpris tout le monde : la chute de l’Union soviétique provoque en neuf mois l’émergence de quinze nouveaux pays souverains. Les frontières soviétiques ne sont plus les mêmes : en vertu du droit international, elles ne correspondent plus à l’URSS, mais à celles de la seule Fédération de Russie. Bien évidemment, aucune promesse n’avait été faite concernant des pays comme la Pologne, la République tchèque et la Hongrie. Cela a été confirmé par Mikhaïl Gorbatchev lui-même. Interrogé par Russia Beyond en 2014, un média d’Etat financé par le gouvernement russe, sur ce qui l’a poussé à ne pas demander aux Américains de signer un traité, le dernier dirigeant de l’URSS avait répondu :

« L’élargissement de l’OTAN n’a pas du tout été un sujet de discussion, et n’a pas émergé pendant cette période. Un autre enjeu que nous avons mis sur la table a été de garantir que les infrastructures militaires de l’OTAN n’avanceraient pas et que des forces armées additionnelles ne seraient pas déployées sur le territoire de ce qui était alors la RDA. L’affirmation de Baker a été faite dans ce contexte… Tout ce qui a pu être fait et tout ce qui devait être fait pour concrétiser cette obligation politique a été fait. Et respecté. »

Gorbatchev avait donc seulement évoqué, à propos de l’OTAN, l’avenir de l’Allemagne de l’Est. Mais Poutine se croit mieux placé que Gorbatchev pour parler de ce qui avait été dit.

Depuis la chute de l’URSS et du bloc de l’Est, voici les 14 pays qui sont venus élargir l’OTAN vers l’Est (Nous ne comptons pas l’Allemagne dont la partie ouest était déjà dans l’OTAN) :

Cela porte actuellement à 30 le nombre des pays membres. À sa création en 1949, l’Alliance comptait douze membres fondateurs : Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni. Elle ajouta, entre le 18 février 1952 et le 6 mai 1955, trois autres pays à ses membres, la Grèce, la Turquie, et l’Allemagne, et un quatrième le 30 mai 1982, l’Espagne.

Le principe de cet élargissement ne fut reconnu par les seize qu’au sommet de l’OTAN de janvier 1994 après que l’administration de Clinton ait bien voulu y souscrire. Certains pays, dont la France, ne voyaient alors pas d’un bon œil l’ouverture du processus. L’élection de Jacques Chirac (1995) et l’insistance allemande eurent néanmoins raison des réticences françaises. Finalement, une invitation formelle adressée à la Pologne, à la Hongrie et à la République tchèque fut émise en 1997, après la réélection en Russie de Boris Eltsine, que Bill Clinton ne voulait pas gêner.

L’OTAN de l’après-guerre froide n’a jamais été prête à s’élargir à n’importe quel prix. Au début les candidats ne devaient remplir que trois conditions :

A partir de 1995, les candidats devaient répondre à cinq critères supplémentaires :

De plus, même si ce n’était pas une condition explicite, les pays candidats devaient en fait être également prêts à rejoindre la structure militaire intégrée. Les américains ne voulaient pas que d’autres pays fassent comme la France qui s’était retirée des structures du commandement militaire intégré de l’Alliance en 1966. On se souvient que De Gaulle avait alors exigé le démantèlement des bases de l’OTAN situées sur le territoire français. Dorénavant, le processus se veut en outre conditionnel et graduel. Depuis 1999, les candidats entament un dialogue intensifié avec l’OTAN puis peuvent se voir proposer le « Plan d’action pour l’adhésion », qui lui-même est seulement susceptible de se conclure par l’adhésion sans que la garantie en soit acquise à l’avance.

Alors que l’OTAN n’a fait que rendre plus difficile l’adhésion de nouveaux pays en instituant des conditions d’admission plus restrictives, Poutine a plus tard accusé les dirigeants occidentaux d’avoir trahi une prétendue promesse. L’OTAN a seulement répondu, avec beaucoup de réticences, à une demande pressante qui venait de ces pays issus de l’Europe de l’Est et de l’ancienne URSS. Ils voulaient tous adhérer au plus vite à l’UE et à l’OTAN. Les internationalistes sont loin de s’en réjouir car ils combattent ces institutions mais il faut examiner la réalité des faits pour comprendre en quoi les discours de Poutine sont mensongers. Il veut seulement trouver une justification à ses agressions. Il veut reconstruire l’empire des tsars et de Staline. Nous sommes à nouveau dans cette situation avec des dirigeants de l’Ukraine qui sont eux aussi demandeurs pour adhérer à l’UE et à l’OTAN afin d’avoir la garantie d’échapper définitivement à l’autorité de Moscou. C’est évidemment ce que Poutine ne supporte pas. Ses discours sur le danger que cela ferait courir à la Russie ne sont que poudre aux yeux. Je ne suis guère spécialiste des questions militaires mais la propagande russe n'hésite pas à dire que Berlin, Londres et Paris ne sont qu'à une ou deux minutes du tir des fusées à têtes nucléaires russes. Les Russes courraient-ils un danger plus grand ?

Les prétendues promesses

Poutine critique une prétendue action agressive des USA laissant entendre que ce serait l’OTAN qui aurait été à l’initiative de l’élargissement. Il n’y a rien de plus faux ! L’initiative venait des pays demandeurs qui voulaient la garantie qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible. La principale opposition à l’adhésion de nouveaux Etats n’est pas venue de l’URSS mais plutôt de l’OTAN elle-même c’est-à-dire des américains, des anglais, des allemands, des français...

Cette affirmation de Poutine est reprise en chœur par tous ses admirateurs. Pourtant, même les poutinolâtres n’ont jamais affirmé que la chute du bloc de l’Est était due à une action des Américains. Connaissant le style des complotistes-alternatifs, je serais capable d’écrire un papier pour expliquer que c’était la CIA qui était à la manœuvre. J’exhiberais quatre ou cinq preuves en reprenant des propos de Brezinsky, l’Attali américain, ou de Roland Dumas affirmant qu’il a participé à une réunion où quelqu’un lui a dit qu’ils étaient quelques-uns à préparer quelque chose… Dans le style à Thierry Meyssan, j’expliquerai que la décision a été prise dans une réunion secrète en Allemagne et qu’un agent du KGB a confié que les documents étaient rédigés en anglais ce qui prouve bien que c’étaient les américains qui étaient à la manœuvre. Je montrerais que lors de la chute du mur de Berlin, des agents infiltrés de la CIA distribuaient… Idem à Moscou lorsque la population est descendue dans la rue pour contrer le coup d’Etat. Je conclurais que ceux qui ne veulent pas voir cette réalité sont décidément abreuvés par la propagande occidentale. Assurément, c’est bien les USA qui, avec la CIA, ont fait en sorte que le bloc de l’Est éclate !

Constatez-le avec moi : même les poutinolâtres les plus bornés n’ont pas osé expliquer cela. Par contre, ils se réveillent pour expliquer que toutes les conséquences de cette chute du bloc de l’Est, comme l’élargissement à l’Est de l’OTAN, serait uniquement le résultat d’une action des dirigeants américains.

Evidemment, Poutine, pour évoquer de prétendues promesses, est dans l’incapacité de citer la moindre phrase, de dire où et quand de telles promesses auraient été faites. Mais, il ne manque pas d’aplomb. Ecoutez la vidéo intitulée : « Poutine : les Etats-Unis instrumentalisent l'Ukraine pour menacer la Russie ». A 0mn48s, il déclare :

« Il est de notoriété publique qu’on nous a promis que l’infrastructure du bloc de l’OTAN ne s’étendrait pas d’un pouce vers l’est. Tout le monde le sait. »

Si vous ne savez pas exposer une preuve (notamment en mathématiques) : dîtes « Il est trivial que…  ». Si vous n’avez rien pour prouver ce que vous affirmez dîtes : « Il est évident que…  » ou « Il est de notoriété publique que… ». Les pires mensonges ont toujours été des vérités reconnues de notoriété publique chez les staliniens.

Poutine continue sur sa lancée en s’enfermant dans le mensonge :

« Aujourd’hui, nous voyons où se trouve l’OTAN : en Pologne, en Roumanie et dans les États baltes. Ils ont dit une chose mais en ont fait une autre. Comme on dit, ils nous ont bien eus. Ils ont simplement triché. C’est ce qui s’est passé, voilà tout. »

Il martèle son mensonge. Il n’y a eu aucune tricherie. Tout ce discours, sans réel fondement, vise à justifier l’invasion de l’Ukraine.

Poutine a aussi lancé ces accusations le 18 mars 2014, au moment où il s’est emparé de la Crimée :

« Ils nous ont menti à plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont mis devant le fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’OTAN vers l’Est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières ».

Le comble c’est qu’à l’occasion, Poutine a bel et bien renié un engagement signé noir sur blanc. Il est bien le seul à ne pas respecter un engagement.

Voyons plus précisément à quel point il est aberrant d’évoquer de prétendues promesses faites par les leaders américains, britanniques, français ou allemands à Mikhaïl Gorbatchev vers 1990. Rappelons qu’à cette époque, Gorbatchev essayait d’orienter la politique de l’URSS vers une politique libérale sans savoir exactement comment il y allait. Dans les multiples discussions qu’il a pu avoir à ce moment avec les hommes politiques occidentaux, il est probable que les questions du Pacte de Varsovie et de l’OTAN aient été abordées sans que personne ne sache précisément ce qui allait advenir mais chacun exprimant des souhaits sur cette question. Il ne pouvait donc s’agir que de simples discussions si ce n’est de bavardages. Bien évidemment aucun accord sur la question n’a été signé à cette époque et il n’y a donc eu aucune promesse quoi qu’en disent Poutine et ses admirateurs. Il n’est guère possible qu’il en soit autrement si on veut bien se replonger dans le contexte de l’époque. Comment de quelconques promesses auraient pu être faites pour un avenir aussi incertain ? Personne ne pouvait prévoir ce qui se passerait en 1991. Mais, Poutine veut faire comme s’il y avait eu une promesse. Il considère donc que ce n’est qu’une erreur de détail s’il n’y a pas eu d’accord signé. Interrogé en 2015 par le réalisateur américain Oliver Stone, Poutine avait affirmé :

« Rien n’avait été couché sur le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée. Gorbatchev a seulement discuté avec eux et a considéré que cette parole était suffisante. »

L’élargissement de l’OTAN est une conséquence de la victoire sans combat du capitalisme en 1989-91. Lorsque le bloc de l’Est s’est effondré de nouveaux marchés se sont ouverts avec la fin de l’économie planifiée sur cette vaste zone. Cela a donné, pour un temps, une bouffée d’oxygène au capitalisme qui en avait bien besoin pour repousser une nouvelle crise. Cela a permis aussi à la première puissance mondiale d’étendre sa puissance militaire vers l’Est. Ce fut là un autre aspect de cette victoire contre-révolutionnaire. La montée en puissance, en Russie, d’une nouvelle force impérialiste en est encore un autre aspect. Cette victoire du capitalisme ne s’est pas faite selon les souhaits de Gorbatchev qui voulait une entente entre les USA et l’URSS. Cela aurait probablement abouti à la suppression pure et simple de l’OTAN. Mais dès sa naissance, avec Eltsine, le caractère impérialiste de la Russie capitaliste s’est affirmé avec le conflit en Tchétchénie et il s’est amplifié avec Poutine. En face, le Complexe Militaro-Industriel des USA trouvait dans cette fracture entre les deux puissances la justification de son gigantesque budget. L’ensemble de ces forces réactionnaires a façonné la forme qu’a prise cette victoire sans combat du capitalisme

Les poutinolâtres français en remettent une couche

Poutine a dit qu’il y a eu une promesse. S’il l’a dit, il est hors de question que les poutinolâtres français admettent le contraire. Tous les raisonnements et les analyses n’y changeront rien. Poutine l’a dit et nos poutinolâtres n’en démordront pas. Ils sont hostiles à tout argument, toute information qui pourrait contredire leur idôle. Ils ne veulent rien entendre et surtout pas les paroles de Gorbatchev. Rien ne pourra les faire dévier de leur conviction. Ils sont obstinément attachés aux paroles de Poutine.

Comment faire pour défendre, malgré tout, cet invraisemblable mensonge. La répétition, le martèlement suffiront peut-être. Ils se disent qu’à force de répéter le mensonge, comme au temps du stalinisme triomphant (les procès de Moscou), on finira par faire passer les bobards pour la pure vérité. Mais il faut avoir l’air de tenir un raisonnement, d’avoir des arguments, des preuves… En êtes-vous certain ? Est-ce vraiment utile ? Ne peut-on pas se contenter de faire semblant d’avoir des arguments ?

Il suffit de dire qu’on a la preuve, d’emmener le lecteur dans un parcours sinueux vers cette prétendue preuve sans jamais l’atteindre. Ce pauvre lecteur finira peut-être par être persuadé que la preuve existe sans jamais l’avoir vue. Le mensonge est un grand art.

Démonstration : Voici un article daté du 21 février 2022 d’un certain Bruno Odent. C’est un chef d’œuvre du genre ! Je reproduis le début de l’article.

 « Ukraine : la preuve que les occidentaux s’étaient engagés à ne pas étendre l’OTAN vers l’Est »

« Un document émanant des archives britanniques, révélé par le magazine allemand Der Spiegel, souligne que des accords écrits ont bien été passés avec Moscou pour ne pas étendre la sphère d’influence et d’action de l’Alliance atlantique « au-delà de l’Elbe ».

Un document émanant des archives nationales britanniques corrobore la thèse avancée par Moscou de l’existence d’un engagement de Washington et des puissances occidentales à ne pas étendre l’Alliance atlantique vers l’Est. Le magazine allemand Der Spiegel en révèle l’existence.

Ce texte, longtemps classé secret défense, a été remonté des profondeurs des archives par le chercheur états-unien Joshua Shifrinson, professeur à l’université de Boston. Il y est question du procès-verbal d’une réunion des directeurs politiques des ministères des affaires étrangères des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne, tenue à Bonn le 6 mars 1991. Le thème était la sécurité en Europe centrale et orientale.

Le titre de l’article est complètement mensonger.

Ce qui est le plus important pour l’auteur c’est d’écrire le titre. Le contenu n’est qu’un vague laïus dans lequel aucune preuve ne peut être trouvée.

Le style est parfaitement conforme à la littérature complotiste. L’auteur présente une révélation : Il y aurait eu un document écrit qui aurait été classé secret défense au sujet de la promesse faite de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est. On est plongé d’emblée dans l’espionite. Le moteur de l’histoire c’est la manipulation opérée par les services secrets. Il n’est jamais question de lutte de classe. Leur leitmotiv est : « Avec de l’argent et des armes, on peut déclencher n’importe quelle révolution ». Rien de mieux comme argument que de faire état d’un document classé secret défense. Il est surtout utile d’en parler. Quant à le montrer… C’est plus difficile !

Cette révélation viendrait d’un article de Der Spiegel que l’auteur de cite même pas. Il se contente d’affirmer que l’article en question citerait des documents d’archives découverts par un politologue américain, le professeur en relations internationales de l’Université de Boston Joshua Shifrinson. Pour l’instant, nous apprenons seulement que Bruno Odent (l’auteur) révèle que le journal Der Spiegel fait une révélation. On avance doucement.

Pourtant l’auteur affirme. Il n’insinue pas. Il ne laisse pas entendre :  "des accords écrits ont bien été passés avec Moscou pour ne pas étendre la sphère d’influence et d’action de l’Alliance atlantique « au-delà de l’Elbe".

Très bien ! Alors nous voulons tous voir ces prétendus accords écrits. Déception ! Nous ne verrons rien ! Mais alors, qu’est ce qu’il y a dans ces documents longtemps restés classés « secret défense ». Réponse :

"Il y est question du procès-verbal d’une réunion des directeurs politiques des ministères des affaires étrangères des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne, tenue à Bonn le 6 mars 1991."

Si ce document enfin porté à la connaissance du public était le procès-verbal de la réunion en question nous aimerions le voir. Mais, outre que nous ne verrons rien, ce n’est même pas de cela qu’il s’agit. Dans ce document longtemps resté classé « secret défense », il serait question du procès-verbal de cette réunion dans laquelle il aurait été dit que ...

Il n’y a évidemment aucune preuve.

C’est comme avec cette vidéo où on voit Roland Dumas répondre à un journaliste. Le titre de la vidéo est tout autant catégorique et mensonger : « Comment l'Occident a promis à l'URSS que l'OTAN ne s'étendrait pas, par Roland Dumas, ex-ministre ». Pour appuyer davantage, la vidéo s’ouvre sur cette image :

Evidemment, Roland Dumas, a aucun moment ne dit qu’il y a eu ce genre de promesse. Mais il était important de mettre ce titre et tous les poutinolâtres se repassent l’info et finissent par y croire.

Et ce n’est pas fini ! Celui qui a élaboré ce montage est Olivier Berruyer : le nouveau champion du complotisme-alternatif. Il est en passe de détrôner Thierry Meyssan. Il relaie la propagande du Kremlin sur son site : « Les Crises » et y apporte en plus ses propres contributions. Il n’a pas hésité à écrire trois articles intitulés « Expansion de l’OTAN, Les origines de la grave crise actuelle ». La vidéo fait partie de son dossier. C’est le premier de ces trois articles qui nous intéresse car il nous amène d’autres prétendues « preuves » que les américains ont promis de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est.

Il exhibe un texte en anglais. Il le présente en écrivant simplement : « Afin de clore toute polémique inutile sur ce sujet, voici les promesses telles qu’elles figurent dans les archives occidentales ». Dans quelles archives ? Mystère ! Nous n’avons rien vu.

Evidemment, il n’y a pas davantage de preuves ici qu’ailleurs mais en martelant encore et encore les complotistes-alternatifs finissent par se persuader eux-mêmes que Poutine dit la vérité.

Tout cela est tellement ridicule et dérisoire que ça ne sort même pas du petit cercle franco-français des poutinolâtres. Il est certain que, s’il y avait l’ombre d’un semblant de début de preuve, celle-ci serait reprise par les services d’information de Poutine.

Conclusion

Si, à l’image des complotistes-alternatifs nous devions nous contenter d’exhiber des révélations extraordinaires en matière de preuve, nous en aurions une. C’est effectivement une preuve irréfutable. C’est la déclaration de Gorbatchev lui-même. Rappelons-là :

« L’élargissement de l’OTAN n’a pas du tout été un sujet de discussion, et n’a pas émergé pendant cette période. Un autre enjeu que nous avons mis sur la table a été de garantir que les infrastructures militaires de l’OTAN n’avanceraient pas et que des forces armées additionnelles ne seraient pas déployées sur le territoire de ce qui était alors la RDA. L’affirmation de Baker a été faite dans ce contexte… Tout ce qui a pu être fait et tout ce qui devait être fait pour concrétiser cette obligation politique a été fait. Et respecté. »

Gorbatchev avait donc seulement évoqué, à propos de l’OTAN, l’avenir de l’Allemagne de l’Est. Il n’a jamais discuté de quoi que ce soit d’autre au sujet de l’expansion de l’OTAN.

Mais, à l’inverse des complotistes-alternatifs, nous ne sommes jamais à la recherche de la révélation sensationnelle. Plus encore que la déclaration de Gorbatchev, c’est la compréhension des conditions dans lesquelles s’est fait l’éclatement du bloc de l’Est qui nous montre qu’il était impossible qu’il y ait des promesses à ce sujet. Personne ne savait ce qui allait se passer. Personne ne maitrisait le processus de cette dislocation et par conséquent, personne n’était en mesure de faire la moindre promesse


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