L’élection de Trump : le révélateur de la fragilité d’un système

par Sigismond
dimanche 13 novembre 2016

Je dois avouer que j'ai passé quelques bons moments en voyant toutes ces mines déconfites après la victoire, qualifiée injustement de victoire-surprise, du Donald aux élections américaines. Les sondages disaient bien que ce serait serré même si Clinton se voyait attribuer un avantage sérieux, mais en tout cas pas définitif. Mais ils ne voulaient tellement pas que ça arrive qu'ils en avaient oublié que ça pouvait arriver. Même l'Elysée, pourtant notre temple de la Sagesse depuis qu'y est installé le gros François, n'avait prévu qu'une lettre de félicitations dont les dithyrambes devaient être telles que changer le nom du destinataire ne pouvait pas suffire sous peine de passer pour le plus gros faux-cul de la terre. On a donc dû la réécrire. Et François la signer à nouveau. Pauvre François ! Mais il n'est pas le seul.

 

Comme l'avait fort bien indiqué dès que les résultats furent connus notre ambassadeur aux Etats-Unis dans un tweet hasardeux et pas très diplomate, j'imagine qu'il sera relevé au plus tard en mai 2017, quoique désormais en France on peut s'attendre à tout et surtout au pire, c'est un monde qui s'écroulait ou qui finissait, je n'ai plus la formule exacte en tête, en fait leur monde. Le monde du TAFTA, de l'OTAN, des sanctions contre la Russie, de l'OMC, de l'exportation de la démocratie contre l'importation de pétrole pas cher, de la mondialisation heureuse, de la fin des nations rebaptisées aires d'identité(s) heureuse(s), etc., etc… Si ça pouvait être vrai ! J'ai quand même quelques doutes sur le fait qu'un seul homme puisse arriver à ça, même si c'est par ailleurs ce qu'il souhaite réellement. Autant dire que là on est vraiment sûr de rien. Mais ne gâchons pas notre plaisir de voir le cocotier ainsi secoué quelques mois seulement après le brexit auquel ils ne pouvaient pas non plus croire.

A cette occasion beaucoup parmi eux avaient noté pour le moins incongrue, mais plutôt insensée voire criminelle, cette idée de laisser s'exprimer le peuple par le biais d'un referendum. Je ne sais quelle haute cour de juges londoniens a même décidé de renvoyer ça devant le Parlement espérant sans doute que celui-ci se comportera comme s'il ne représentait pas le peuple, ce piètre souverain. Peut-être pourrait-on aller plus loin encore en interdisant en plus du referendum toute élection par le peuple dans son entier et en instaurant un suffrage censitaire auquel ne pourraient participer que ceux qui savent ce qui est bon pour tous, donc en fait très peu. De fait les élections au suffrage universel ressemblent de plus en plus à un referendum pour ou contre le système, ce fut typique aux Etats-Unis où l'on vit le parti censé soutenir le futur président se déchirer à son propos jusqu'à aller pour certains de ses membres les plus éminents au-delà de la simple abstention. C'est donc le signe que la machine s'affole. Et qu'elle risque de réagir pour reprendre une main qui semble de plus en plus lui échapper. En France le problème a été résolu par l'instauration des primaires qui permettent aux partis de garder la main sur les candidats désignés par un vingtième ou moins encore de l'électorat. Cela permet de se retrouver le cas échéant à devoir choisir entre ceux dont on ne souhaite absolument pas la candidature, autre point commun avec les Etats-Unis. C'est évidemment contre l'esprit de la 5ème République dont pourtant il n'est pas encore question de se débarrasser tant ses institutions permettent désormais de s'abstraire de la volonté du peuple. Ce qui était acceptable dès lors que le président de la République était l'incarnation de la nation et non le représentant de ses soutiens ne l'est évidemment plus. Sauf pour ceux qui en sont les heureux bénéficiaires.

 

Leur problème, à ceux-là, c'est de faire perdurer un système qu'ils savent être complètement étranger à la démocratie qui se résume à leurs yeux à la désignation périodique par l'électeur de celui ou ceux qu'ils ont au préalable cooptés. Seulement voilà, quand on fait des erreurs de casting comme avec Clinton on risque de se prendre un retour de boomerang violent. De même si en France on nous donne le choix entre Hollande et Le Pen, les chances de voir perdre le premier deviennent importantes. Parce que c'est là où le bât blesse pour le système. Quand émergent des figures politiques se réclamant du peuple, on les appelle donc avec mépris populistes, et contrairement aux autres capables de s'adresser à lui en lui racontant tous les problèmes dont il souffre, les dés sont pipés. Quand on est le seul à décrire aux gens ordinaires leur quotidien, dès lors que les autres ne le font pas, continuant de pérorer sur des grands concepts comme l'Europe, le libre-échange, la mondialisation heureuse et l'identité qui va avec, la richesse de la diversité, etc., on commence à engranger des voix quelle que soit d'ailleurs la qualité des solutions proposées. C'est un autre problème. Et un jour, à cause d'un casting lamentable, ou parce qu'on a tiré beaucoup trop sur la ficelle, ça bascule. Pour le meilleur, pour le pire ou pour rien. Souvent pour rien d'ailleurs car les garde-fous sont en place et les résistances vives. Demandez à Tsipras ce qu'il en pense.

 

Mais si effectivement avec la Grèce c'est facile, ça devient plus compliqué quand il s'agit de la Grande-Bretagne. Les coups de menton de François et Angela ont beaucoup moins d'effets déjà. Les juges londoniens auront peut-être plus de résultats. Mais ce n'est pas sûr dans ce pays où apparemment les parlementaires ont davantage de respect pour leur peuple que n'en ont leurs homologues français de droite ou de gauche, piétinant sans vergogne le résultat du referendum de 2005, sans doute le dernier avant longtemps sur une question ayant une réelle importance. La politique d'immigration par exemple.

Et quand ça touche les Etats-Unis, alors là ça devient insoluble ou presque. Je m'appellerais Trump, je vérifierais de près la compétence et la loyauté de mes gardes du corps. Les Etats-Unis, c'est le phare, le guide spirituel, le pays qui évite aux dirigeants des autres, inféodés, de réfléchir parce qu'on suit aveuglément les consignes. L'alignement ça a des vertus surtout quand on est une burne à la tête d'un Etat qu'on a plus besoin de diriger. Et puis ça libère du temps pour faire la causette aux journalistes. Vous avez vu la tête de Hollande quand il félicitait Trump pour son élection ! Et les réactions en Allemagne, notamment de la ministre de la défense venant de découvrir qu'elle allait peut-être devoir bosser pour mériter sa paye. Leurs attitudes m'ont ramené en mémoire la première fois où je me suis retrouvé seul au volant d'une voiture, c'était un 2cv, alors que je venais juste de passer le permis de conduire. Mais je crains que pour eux ça dure plus longtemps que pour moi.

C'est là qu'on découvre en voyant ce désarroi qui s'apparente à une panique qu'on n'était pas vraiment gouverné, que nos dirigeants faisaient semblant tandis que nous, enfin beaucoup parmi nous, faisions de moins en moins semblant de croire qu'ils nous gouvernaient, allant voter ailleurs ou restant à la maison le jour du vote. C'est là qu'on se rend compte que l'Europe n'est rien d'un point de vue politique, juste un agent fidèle et a-démocratique du libéralisme extrême, et que nos pays ne sont même plus des puissances moyennes. A force de déléguer on finit par ne plus exister. Tout ça parce que celui qui incarne le système à vocation mondialiste a changé de tête. Et sans même connaitre les véritables intentions de cette nouvelle incarnation qui, en fait, ne voulait peut-être même pas être élue, pratiquant un show électoral outrancier, tellement outrancier que personne parmi nos élites ne pouvait imaginer qu'il serait élu.

 

Que tirer de tout cela ? On ne sait guère ce qui va se passer à partir du 20 janvier quand la nouvelle administration prendra ses fonctions. L'angoisse des uns à ce sujet constitue l'espoir de beaucoup d'autres, de ceux qui ne veulent plus de ce monde soumis aux seuls intérêts d'une seule puissance ou de quelques lobbies d'armement aimant à entretenir l'idée de l'imminence d'une guerre avec un ennemi qu'on s'est soi-même créé en le provoquant sans cesse. L'espoir de ceux qui refusent un monde où les nations devraient disparaitre au profit d'un monde multiculturel dont le point commun entre les individus serait l'envie de consommer. Mais tout ceci n'est qu'hypothétique. En tout cas il y a un enseignement qu'on peut tirer de ça, c'est que si la seule élection d'un seul homme peut faire naitre tant d'angoisses chez nos dirigeants, c'est que le système est finalement bien plus fragile qu'on pourrait le penser. Et ça c'est vraiment un grand motif d'espérance.


Lire l'article complet, et les commentaires