L’émergence d’En Marche, ou l’art d’accommoder les restes

par Karol
mercredi 14 juin 2017

Emmanuel Macron, le grand timonier de la Révolution En Marche ?

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La déferlante, le tsunami, le raz-de-marée, les mots ne sont pas assez forts dans la bouche des journalistes pour qualifier le succès électoral des clones macroniens au premier tour des élections législatives ce 11 juin, dans les 577 circonscriptions. Le 18 juin, ce seront certainement plus de 400 députés de la « République En Marche » qui occuperont les bancs de l’Assemblée Nationale pour « réformer la France ». Majorité écrasante qui donnera à « notre jeune président » la capacité d’ « aller de l’avant  », de « libérer les énergies » « d’encourager les initiatives  » ; bref d’en finir avec la vieille comédie de la fausse opposition des libéraux de droite dans un parti conservateur, prisonniers de vieilles lunes autoritaires et moralistes et des libéraux de gauche sous le dossard socialiste, constamment freinés par les corps intermédiaires, les syndicats et une règlementation trop pesante , comédie qui ne trouverait plus son public. Mais ce succès électoral de ce fils illégitime des amours clandestines de notre droite patrimoniale et de notre gauche sociale avec l’Europe libérale technocratique et ses lobbies est-il le fait de la mobilisation de l’ensemble des citoyens  ? Cette nouvelle majorité présidentielle est-elle suffisamment représentative et donc légitime pour faire la loi au nom du peuple et non contre la majorité de la population ?

L’évolution des résultats sur la dernière décennie et depuis les élections législatives de 2007, après le quinquennat Sarkozy et le mandat Hollande qui n’ont pas su, chacun dans leur camp, tenir leur rang et jouer correctement le rôle qui leur était assigné, montre que la situation de notre nouveau président n’est pas aussi confortable que l’on veut bien le dire.

LE JEU DÉMOCRATIQUE : DE MOINS EN MOINS DE PARTICIPANTS.

De 2007 à 2017 l’évolution de l’abstention au 1er tour des élections législatives est particulièrement dramatique. De 17 374011 les abstentions sont passées à 23 401 132 soit une progression de plus de 40% en dix ans. ( 1)

Dix ans plus tard, la défiance vis-à-vis des politiques et du jeu démocratique n’a pas faibli, bien au contraire. «  Je n’ai voté qu’une seule fois, en 2002, indique Stéphanie, 33 ans, devant l’école maternelle des Hautes Noëlles. A chaque fois, les sujets importants comme le chômage ou le logement, ne sont pas traités. Si les politiques veulent se préoccuper de la France, il faut agir sur l’emploi.  » ( lien ). Les ouvriers, les employés, les perdants et les délaissés en tout genre de ce capitalisme mondialisé, trahis par cinq années du duo Valls-Hollande, cocufiés par Sarkozy, ont cette fois jeté l’éponge et lâché prise. Les jeunes qui subissent de plein fouet la vague du chômage de masse, la précarisation des emplois et la ghettoïsation des cités ne se sentent pas du tout concernés par le discours optimiste de ceux que la réussite professionnelle réconforte ( lire « comprendre les résultats à la lumière des inégalités » ). Ceux qui pour diverses raisons font le choix de l’abstention s’expriment pleinement et leur attitude doit être respectée et considérée. Il est regrettable que certains, du haut de leur savoir, au lieu de s’interroger sur leur propre défaillance, s’arroge le droit de les stigmatiser (2).

Ainsi un votant de 2007 pesait pour 60 % du corps électoral, en 2017 il est minoritaire et ne représente qu’un peu plus de 48 % des inscrits. Le succès électoral de ce jeune premier avec une abstention massive n’est-il pas l’expression d’un système politique à bout de souffle plutôt que la marque d’un renouveau comme tente de nous le vendre le pouvoir médiatique et qui ne manque pas de disqualifier tous ceux qui font le choix de refuser de voter ?

Une autre indication est d’étudier l’évolution en une décennie du poids électoral de l’ensemble des partis dit de gouvernement.

DES « PARTIS DE GOUVERNEMENT » DE PLUS EN PLUS MINORITAIRES.

En 2007 le total des voix au 1er tour du PS à l’UMP et des diverses droites et gauches en passant par les centres et les écologistes était de 22 804 292 soit 52 % du corps électoral, en 2017 toute cette constellation avec sa nouvelle étoile » En Marche » regroupe seulement 16 271 102 voix, 34 % du potentiel électoral. De quelle victoire parle-t-on quand ceux qui ont de près ou de loin gouverné la France cette dernière décennie perdent plus d’un tiers de leur représentativité ? N’est-ce pas là la sanction d’un bilan désastreux de la droite comme de la gauche « de gouvernement » en matière de progrès social et d’intégration des citoyens dans un projet commun ?

En 2007 le gagnant, l’UMP, rassemblait plus de 10 millions de voix, 23,5 % des inscrits alors que le perdant, le PS, obtenait 6 436 520 voix. En Marche, en 2017 regroupe péniblement 6 390 797 d’électeurs, soit 13,5 % du corps électoral et va certainement au 2ème tour rafler la très grande majorité des sièges à l’Assemblée Nationale, pendant que l’opposition de gauche comme celle d’extrême droite se partageront quelques strapontins.

UNE OPPOSITION DE PLUS EN PLUS FORTE MAIS BAILLONNEE.

Alors que dix ans auparavant le PCF et l’extrême gauche totalisaient 2 003 913 voix, 4,54 % des inscrits et obtenaient 15 sièges à l’assemblée, ce 11 juin c’est 3 288 551 électeurs, 6,91% du corps électoral, qui ont mis dans l’urne un bulletin d’extrême gauche, de la France Insoumise ou du PCF. C’est une progression de plus de 64 % qu’aucun journaliste ne souligne, tout en titrant sur la défaite de cette gauche alternative.

A l’extrême droite, le FN et divers groupuscules totalisaient en 2007 1 218 260 voix . Ce sont 3 058 911 électeurs qui en 2017 ont voté FN ou pour ses alliés, soit une progression de plus de 150 %.

L’ensemble de ces citoyens qui ont décidé par leur vote de se faire entendre, de marquer leur opposition aux politiques menées depuis des décennies ou de crier leur ressentiment et leur haine, représente une force aussi importante ( 6 347 462 voix ) que la nouvelle génération de la REM, jeune et souriante, que l’on veut bien nous vendre ( 6 390 797 électeurs ). Les uns disposeront pour faire entendre leur voix que de quelques sièges pendant que les autres occuperont de façon disproportionnée la scène législative et médiatique.

 

Fort de cette victoire à la Pyrrhus où l’art d’accommoder les restes de ces deux derniers quinquennats est à son sommet, il est à craindre que le prochain quinquennat Macron ne soit non pas la première étape d’une nouvelle donne mais au contraire l’aboutissement de la dérive libérale de la société où chacun est condamné à réussir par tous les moyens, dans une compétition sans fin, pour ne pas être exclu d’un partage minimal de la richesse créée. Mais comme le souligne Fréderic Lordon dans l’article « Situation » dans le N° 108 de Lundi matin : « Le problème du macronisme, c’est précisément… qu’il a réussi : sa disqualification des termes de l’alternance prive le système de son dernier degré de liberté, assurément factice mais encore doté de quelque efficacité résiduelle. Quand il aura bien mis en œuvre son programme, poussé tous les feux, par conséquent rendu folle de rage une fraction encore plus grande de la population, où trouvera-t-il son faux alternandum et vrai semblable, l’entité faussement opposée et parfaitement jumelle qui, dans le régime antérieur, avait pour double fonction de soulager momentanément la colère par un simulacre de changement tout en assurant la continuité, quoique sous une étiquette différente ? »

Il est à craindre que tous ceux que la confrontation démocratique périodique a lassé, ne pouvant plus soulager leur colère par un vote protestataire ou pour une fausse alternative, ne fasse entendre leur voix dans la rue et la cour des usines. « Quand tout est verrouillé et que la pression n’en finit pas de monter, il doit se passer quelque chose. Ce dont les forces instituées sont incapables, seul l’événement peut l’accomplir  » .(F. Lordon – Situation)

La responsabilité de ceux qui sont la parole de tous ces sans voix , « la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche » ( 3) et qui prétendent sincèrement offrir une alternative à ce monde en crise n’en n’est que plus grande.

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(1) Tous les chiffres sont du Ministère de l’Intérieur. Ils sont présentés dans le tableau Excel suivant :https://1drv.ms/x/s !AsmyjJZc1V8jgWtk37Fpv3o_uMGC

(2) : « La seule menace qui pèse sur la démocratie, ce sont les 52% de paresseux qui s’indignent devant leur miroir, au lieu d’aller voter » Tweet de Raphael Enthoven le 11 juin 2017.

(3) « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. » Aimé Césaire – Cahier du retour au pays natal.


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