L’Empire du meilleur des mondes

par whistle
lundi 31 décembre 2012

L’Empire du meilleur des mondes :

Dans l’imaginaire collectif, les empires tels que l’empire romain ont établi leur domination sur les multitudes grâce à la Force.

Des légions romaines mues par le culte de Sol Invictus au mur d’Adrien, bon nombre d'éléments nous portent à croire que la puissance de l’empire romain résidait dans l’habilité de ses légionnaires et l’esprit stratégique de ses généraux à vaincre sur les champs de bataille.

Il est vrai que césar soumettant les gaulois et faisant s’agenouiller Vercingétorix est un élément marquant de l’histoire européenne, mais, l’on a tendance à oublier la réflexion qui devrait suivre :

Comment les Romains ont-ils maintenu les Gaulois sous leur domination pendant plus de 500 ans ?

Pourquoi n’y a-t-il pas eu de soulèvement majeur de la population gauloise par la suite ? 

Contrairement à ce qu’a pu affirmer José manuel Barroso, dans un speech à la commission européenne : « l’Europe est un empire non impérial, car les empires sont habituellement constitués par la force », les empires maintiennent leur domination non pas par la force, mais par leur capacité à s’adapter et à convaincre les peuples dominés que leur servitude est plus un gage de confort, de paix et de prospérité, que leurs auto détermination. 

En effet, bien que les peuples dominés soient épris de liberté, leur volonté d’indépendance est un facteur avec lequel l’empire romain a su juguler habilement pendant des centaines d’années au gré des mutations culturelles, politiques, idéologiques. 

Dès lors, l’expression : Panem et circenses (du pain et des jeux) inventée par le poète Romain Juvénal au premier siècle, fait explicitement référence à cette politique de servitude volontaire développé par l’empire romain pour contrôler efficacement les millions de sujets de l’empire.

 

Du sud de l’écosse au nord du Sahara, du Danube jusqu’au Nil, l’oppression romaine était faiblement ressentie, élites locales jouissaient de nourriture de divertissements, mises au point par l’empire pour s’assurer leur adhésion. Cette jouissance et cet art de vivre n’était alors accessible qu’au prix d’une acceptation du système de domination romain.

 Les exemples de Spartacus, et autres tribus irréductibles qui se rebellent face au pouvoir miliaire et au système d’oppression Romains manquent de mettre en lumière que la domination Romaine était surtout établie par un contrôle asymétrique de la culture et du commerce.

Colisées, gladiateurs, orgies romaines, marches triomphales, édifices d’art, voies romaines, Pax Romana, tous ces éléments sont des facteurs qui ont été essentiels à une domination des multitudes durant une longue durée. Le Modus Vivendi romain imposait sa puissance et sa prospérité pour susciter respect et admiration.

Il est donc évident que la domination la plus efficace ne se fait alors pas par l’oppression comme nous avons été habitués à le penser, mais par une illusion de la jouissance et de la liberté.

Les gaulois, les berbères, les égyptiens, les grecs, les alamans, les ibériques, ne sont-ils pas devenus un peu romains ?

 Ainsi, dans notre monde moderne, qui glorifie la liberté d’expression et la démocratie, il est impensable d’envisager que l’oppression ne peut être autre que violente. Après tout, nos ancêtres les résistants et les révolutionnaires de 1789 n’ont-ils pas réagi à un système d’oppression injuste ?

L’oppression à telle besoin d’être injuste pour être une oppression ?

L’oppression ne peut-elle pas être juste ? N’est-il pas nécessaire d’avoir l’adhésion du dominé pour que l’oppression perdure ?

D’ailleurs, N’est-il pas plus efficace de faire désirer à l’opprimé son oppression ?? 

C’est la thèse développée par Aldous Huxley en 1935 dans son Roman le meilleur des mondes :

Considérant que le contrôle par la répression, caractéristique du Roman de Orwell 1984, sera dépassé, il dépeint une forme de dictature douce où les individus, dès leur naissance sont accoutumés à un système d’oppression implicite. 

Il explique : « Il nous faut remonter jusqu’à la Rome impériale, où la populace était maintenue dans une bonne humeur grâce à des doses fréquentes et gratuites des distractions les plus variées, allant des Drames en vers aux combats de gladiateurs, des récitations de Virgile aux séances de pugilat, des concerts aux revues militaires et aux exécutions publiques. Mais même à Rome, il n’existait rien de semblable aux distractions ininterrompues fournies par les journaux, les revues, la radio, la télévision et le cinéma. Dans le meilleur des mondes, les distractions les plus alléchantes sont délibérément utilisées et à jet continu, comme instruments de gouvernement pour empêcher pour empêcher les populations d’examiner de trop près les réalités de la situation sociale et politique. » 

Dans 1984, l'appétit de puissance (puissance d'être) est restreint par la souffrance ; dans le meilleur des mondes c'est en infligeant un plaisir à peine moins humiliant que l'on assure le contrôle. 

Ainsi, dans les dictatures plus efficaces de demain, il y aura sans doute beaucoup moins de force déployée. Les sujets des tyrans à venir seront enrégimentés sans douleur par un corps d'ingénieurs hautement qualifiés (comportementalistes, publicitaires, éditorialistes, sociologues, psy). 

Une société « dont la plupart des membres passent une grande partie de leur temps, non pas dans l'immédiat et l'avenir prévisible, mais quelque part dans les autres mondes inconséquents du sport, des feuilletons, de la mythologie et de la fantaisie, aura bien du mal à résister aux empiétements de ceux qui voudraient la manipuler et la dominer. » 

« Le soma du meilleur des mondes n’avait aucun inconvénients de l’original indien. Pris à petites doses, il donnait une sensation d’euphorie délicieuse ; à plus fortes doses, des visions, et si vous en absorbiez trois comprimés, vous vous enfonciez, au bout de quelques minutes dans un paisible sommeil. […] ce genre de toxicomanie n’était pas un vice personnel, mais bien une institution politique, l’essence même de la vie, de la liberté et de la poursuite du bonheur garantie par la constitution. Mais ce privilège inaliénable des sujets, précieux entre tous, était en même temps l’un des instruments de domination les plus puissants […] l’intoxication systématique des individus pour le bien de l’Etat était un élément essentiel du plan des Administrateurs mondiaux. La ration de soma quotidienne était une garantie contre l’inquiétude personnelle, l’agitation sociale et la propagation d’idées réellement subversives ».

 

Ainsi, alors que Marie Antoinette rétorquait : « qu’on leur donne de la brioche », les administrateurs mondiaux d’aujourd’hui diront encore plus allègrement : « qu’on leurs donne du space cake ».

Evidemment, dans cette dictature idéale moderne, la recherche de la vérité, implicite dans le principe de recherche du bonheur pour certains philosophes comme de Vattel ou Leibnitz, est proscrite pour le bien de tous. La pensée humaine est aplatie, les sens sont exacerbés, afin d’empêcher tout manque ou prise de conscience, cause des troubles sociaux.

http://www.dailymotion.com/video/x9i0m8_le-meilleur-des-mondes-4-5_news&start=688

« Seul les vigilants peuvent sauvegarder leurs libertés et seuls ceux qui ont sans cesse l’esprit présent et l’intelligence en éveil, peuvent espérer se gouverner effectivement eux-mêmes par des procédures démocratiques. »

 

Mais difficile de se libérer de l’empire, un empire qui agit plus par la persuasion que par la peur. Un empire qui a réussi à nous faire aimer notre servitude, et qui nous a même enseigné que la liberté c’est d’être un peu rebelle face aux autorités mais que de s’abandonner face aux loisirs qu’il nous offre est obligatoire.

Après tout, le modus operandi étant le modus vivendi, on l’aime bien ce meilleur des mondes  ? Ne trouvez-vous pas ??

 


Lire l'article complet, et les commentaires