L’épuration en France selon Annie Lacroix-Riz

par Coppo Marc-Antoine
mercredi 20 novembre 2019

Par curiosité, je me suis rendu à la conférence qu'Annie Lacroix-Riz (ALR) a donnée à Nice le 15 novembre. Invitée par une association niçoise de gauche, le Comité pour une Nouvelle Résistance (CNR), elle venait présenter son dernier livre "La non-épuration en France. De 1943 aux années 1950" publié chez Armand Colin. Cette historienne (professeur émérite d'histoire contemporaine) ayant la réputation de verser dans le complotisme, j'ai voulu en avoir le cœur net et me forger ma propre opinion. J'aurais souhaité lui poser une ou deux questions à la fin de son exposé mais la parole ne fut pas donnée aux auditeurs, les organisateurs expliquant qu'il fallait très vite rendre la salle...

La première chose qui m'a interpellé, c'est la manière dont ALR a critiqué d'emblée le documentaire "La tondue de Chartres" (Simone Touseau) diffusé récemment par la chaîne LCP (émission DébatDoc du 13 octobre). ALR commence par expliquer que ce documentaire lui paraît très représentatif de la tendance historique actuelle (qu'elle déplore) où la thématique du "genre" a remplacé la notion de "classe", et elle ajoute aussitôt que le documentaire diffusé est particulièrement malhonnête, qu'il mélange tout, et cherche à faire passer la jeune mère tondue photographiée par Robert Capa pour une simple "amoureuse" ! (Une personne s'écrie "c'est la Madone !", la salle rit).

Or, sur le plateau de LCP, lors du débat qui avait suivi la projection du documentaire, ALR s'était abstenu de faire ce genre de commentaire factuellement faux (le parcours politique de Simone Touseau - qui, à l'âge de 15 ans, dessinait déjà des croix gammées sur ses cahiers de lycéenne puis adhéra au PPF à 23 ans - est bien retracé) très probablement parce qu'elle avait en face d'elle un véritable spécialiste de l'épuration, l'historien du CNRS Fabrice Virgili, par ailleurs conseiller historique du documentaire, qui l'aurait immédiatement contredite.

En revanche, lorsque ALR se trouve face à une assistance composée essentiellement de braves gens qui ne connaissent à peu près rien au sujet, ne demandent qu'à la croire sur parole, et ne disposent pas des outils nécessaires pour décrypter son discours, elle se sent libre de faire passer à peu près n'importe quel mensonge, omission ou déformation des faits sans risquer la moindre contradiction (et elle ne s'en prive pas). À plusieurs reprises, ALR se plaint de n'être que très rarement invitée dans les débats télévisés (deux fois en 23 ans dit-elle), mais quand elle se trouve sur un plateau de télévision en présence d'autres historiens, elle dissimule le fond de sa pensée pour mieux se "lâcher" ensuite devant un parterre acquis à sa cause. Ce double langage d'ALR qui confine à l'hypocrisie est difficilement acceptable. 

Une autre chose qui m'a frappé est le regard très dépréciatif porté par ALR sur ses collègues historiens français de la nouvelle génération dont aucun (à une exception près, une femme dont j'ai oublié son nom) ne trouve grâce à ses yeux. En bonne dualiste, elle les classe en deux catégories : les historiens de droite qui insistent lourdement sur les horreurs (attribuées aux communistes) de l'épuration "sauvage" pour mieux relativiser les crimes de Vichy, et les historiens de gauche/extrême-gauche dont l'anticommunisme foncier les conduit à s'apitoyer excessivement sur le sort des malheureuses victimes de la vindicte populaire (surtout quand elles sont du genre féminin...), ce qui les empêcherait de voir que l'épuration, en réalité, n'a pas eu lieu (ou si peu) ! Le point commun entre ces deux tendances historiographiques serait, selon elle, que ni les uns ni les autres ne prendraient la peine de consulter et d'exploiter les archives de la police ou de la justice ! Car pour ALR (et elle insiste beaucoup là-dessus), la vérité historique est contenue dans les archives.

Deux autres points ont également retenu mon attention :

- À propos de l'épuration dite "sauvage", ALR affirme que les 2/3 des exécutions sommaires de collaborateurs par la Résistance ont eu lieu avant la libération (proportion également retenue par Virgili), mais elle tient pour quantité négligeable le dernier tiers qui représente tout de même la bagatelle de plus de 3000 personnes exécutées en dehors de tout cadre légal, sans jugement (ou par des sentences expéditives prononcées par des "tribunaux du peuple" improvisés) dans les territoires libérés. En même temps, elle récuse avec force l'idée qu'il y aurait eu une guerre civile en France en 1943-44 ce qui est très discutable au regard du bilan.

- ALR affirme connaître toute la vérité sur l'arrestation de Jean Moulin ; elle prétend que Moulin a été victime d'un complot dont Charles de Gaulle lui-même était au courant, mais qu'il n'aurait rien fait pour empêcher son arrestation en raison du fait qu'il aurait vu en Moulin un rival potentiel (une "théorie du complot" pour le moins surprenante qu'elle est la seule historienne à défendre...). Au cours de son exposé, ALR présente De Gaulle comme un homme politique extrêmement conservateur qui s'était entouré à Londres d'anciens cagoulards. Son seul mérite à ses yeux semble être d'avoir tenu tête aux Américains et la détestation qu'il leur inspirait...

En conclusion, ALR m'est apparue comme une très bonne conteuse, pleine de verve, qui sait aussi se montrer drôle par moments. Cependant, sa vision de l'histoire est très fortement imprégnée d'idéologie (l'anticommunisme des acteurs étant pour elle la clé d'interprétation de la plupart des évènements), et son discours est émaillé de propos de nature complotiste au sujet de vérités historiques qui seraient sciemment dissimulées au grand public par les médias, les historiens et l'Education nationale. 

Marc-Antoine Coppo


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