L’erreur fatale du PS serait de choisir Ségolène Royal

par Sébastien Ticavet
vendredi 10 novembre 2006

Ségolène Royal semble bien partie pour devenir la candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle. Les militants socialistes sont sur le point de commettre une erreur qui pourrait s’avérer fatale pour leur parti.

Malgré les légers frémissements enregistrés ces dernières semaines dans les enquêtes menées auprès des sympathisants socialistes (et non auprès des militant qui seuls pourront voter lors de la désignation du candidat), malgré l’expression de quelques notes discordantes dans l’orchestre socialiste tout entier acquis à la cause de Ségolène Royal, malgré des débats qui ont semé le doute sur la stature présidentielle de l’ancienne ministre de l’Environnement, tout laisse à penser que les adhérents du parti choisiront la présidente du Conseil régional de Poitou-Charentes comme la candidate du PS à l’élection présidentielle.


Certainement conquis par le style de la pré-candidate, sans doute galvanisés par des sondages d’opinion qui la placent dans le cœur des Français, les militants se rangeront probablement derrière la candidate favorite de l’opinion.

Cela au nom de trois raisons d’espérer, fortement ancrées dans les esprits et les cœurs des militants aujourd’hui, et qui constituent autant de raisons à leurs yeux de soutenir la candidature Royal.

L’espoir d’abord de parvenir à désigner la seule capable de battre la droite ; celui ensuite de choisir une femme en phase avec les aspirations populaires ; la foi enfin en la capacité de Ségolène Royal à changer la donne une fois qu’elle sera élue présidente de la République et à redonner aux Français confiance en la politique.

Ces trois raisons, ces trois espérances sont compréhensibles. La première est stratégique et tombe sous le sceau de l’évidence. Lorsqu’on désigne un candidat, mieux vaut choisir celui qui a le plus de chances d’envoyer le camp adverse à la défaite. La deuxième se fonde sur les enquêtes d’opinion : pas un sondage qui ne place Ségolène en tête des personnalités en qui les Français ont le plus confiance (que l’on regarde la série des enquêtes réalisées par l’Ifop pour Acteurs publics depuis l’été : sur tous les sujets testés, du travail à l’environnement, la candidate à la candidature socialiste apparaît comme le plus à même de répondre aux attentes des personnes interrogées[1]). La troisième raison naît de la capacité de conviction de Ségolène Royal, capacité renforcée dans l’opinion socialiste par la fraîcheur qu’elle apporte au débat, par le sentiment de renouveau qu’elle parvient à distiller et par des prises de position audacieuses, en rupture avec le discours traditionnel des présidentiables socialistes.

Sur ces trois raisons, nous pensons que les militants qui s’apprêtent à voter Ségolène Royal sont dans l’erreur. Nous ne soutenons ni Laurent Fabius, ni DSK, mais nous invitons les militants à réfléchir aux indices qui laissent penser qu’en choisissant Ségolène Royal, le PS s’engouffre dans une impasse et se prépare à l’erreur fatale.

1. Sur le plan stratégique en premier lieu, tout laisse à penser que les chances de Ségolène Royal de mener une bonne campagne présidentielle sont limitées. D’abord parce que ses positions, parfois blairistes, pousseront les candidats de la gauche antilibérale à la tacler en permanence : avec une intensité encore plus forte que ce qu’avait connu Lionel Jospin en 2002, Mme Royal risque d’être la première cible des candidatures situées à la gauche du PS, qui se sont déjà déterminées contre une deuxième gauche plurielle. Ensuite, parce que la candidature de Ségolène Royal s’est construite trop longtemps dans le refus du débat contradictoire et de la confrontation. Alors que Nicolas Sarkozy et d’autres se situent déjà depuis longtemps dans le temps du débat et de la confrontation, Mme Royal y entrera un peu tardivement, et risque de chuter brutalement de son piédestal. Le mythe « Ségolène  » tombera dès lors, et la spirale de popularité dans laquelle la candidate est emportée depuis des mois pourrait se mettre à tourner dans le sens inverse. Enfin, les débats internes au PS ont montré les limites et, pour certains, les insuffisances de la candidate. Ses approximations et son ton parfois proche de l’incantation ne pourront produire que des effets dévastateurs face à des compétiteurs chevronnés et talentueux. Inutile de préciser que dans les mois qui viennent, tous les coups seront permis et que plus aucune protection (débats réglementés, questions posées par avance, etc.) ne viendront limiter la confrontation.

2. Candidate préférée de l’opinion, Ségolène Royal semble en phase avec les attentes et aspirations des Français. Mais sur ce sujet, gare à l’effet d’optique ! Apprenons en premier lieu les leçons du passé. Nombreux sont les exemples, dans les vingt dernières années, de candidats populaires qui ont fini par violemment se casser les dents à l’élection présidentielle (Barre en 1988, Balladur en 1995, etc.). A l’inverse, chaque élection a conduit au succès de celui des candidats qui souffrait de la popularité le plus en berne quelques mois avant l’élection, ou qui ne figurait qu’en piètre position dans les intentions de vote. Ce premier argument conduit directement au second : il n’est rien de plus versatile que l’opinion aujourd’hui. Les responsables d’instituts le savent bien : l’avis des Français s’avère de plus en plus changeant, sur de nombreuses thématiques (sans parler des choix électoraux dont on sait désormais qu’ils se constituent dans les derniers instants de la campagne et qu’ils ne peuvent en aucun cas être sérieusement mesurés quelques mois avant l’élection[2]). Sur des thèmes aussi variés que la décentralisation, l’éducation, ou l’Europe, les études d’opinion mettent en lumière une opinion de plus en plus incertaine et capricieuse. Ces fluctuations de l’opinion s’expliquent certainement par la multiplication des lieux de débats (on pense à Internet, aux blogs et autres forums de discussion), par la perte d’influence des médias traditionnels, mais aussi probablement par une fidélité décroissante des citoyens aux options idéologiques retenues et défendues par les partis politiques. Dès lors, c’est la responsabilité du leader politique d’incarner une vision politique, de se présenter comme force de proposition et de parvenir à convaincre l’opinion. C’est non seulement sa responsabilité (et Ségolène Royal ne semble pas du tout prête à l’endosser), mais aussi la condition sine qua non de son succès : comment un homme ou une femme politique pourrait-il conserver sa crédibilité en s’alignant en permanence sur une opinion aussi versatile ? Et comment un candidat pourrait-il espérer emporter le suffrage des Français en ne leur proposant rien d’autre que de les écouter ? Cela lasserait très rapidement.


3. Enfin, l’espoir peut naître avec Ségolène Royal d’un vrai changement, d’un vent de renouveau, de l’entame d’une ère nouvelle où la politique deviendrait synonyme de promesses tenues et non plus d’illusions perdues. Cet espoir ne pourra tenir en premier lieu que si l’on continue d’ignorer l’ancienneté politique de la probable candidate socialiste (depuis longtemps aux responsabilités, ministérielles ou parlementaires) et la relativité de son bilan politique (ni plus mauvais que ceux de ses compétiteurs, ni meilleur). Difficile d’imaginer qu’aucun candidat pendant la campagne présidentielle ne fera tomber le mythe. Cet espoir de renouveau, d’une nouvelle ère politique, risque par ailleurs d’être vite déçu quand viendra le temps de la confrontation d’idées et que Ségolène Royal sera obligée d’abandonner le champ des concepts et des formules (l’ordre juste, l’excellence environnementale, etc.) pour présenter la matière et le contenu de ses propositions. Quelle capacité de conviction extraordinaire pourrait permettre à la députée des Deux-Sèvres, une fois le combat d’idées entamé, une fois la campagne véritablement lancée, de prouver que le soutien à sa candidature ne constitue pas moins un acte de foi que la défense d’un autre compétiteur ? La posture actuelle de Ségolène Royal (candidate hors de la polémique, hors du temps, presque éthérée, virtuelle) seule lui permet de maintenir un tel niveau de confiance en sa capacité à changer la donne. Le temps de la campagne changera du tout au tout la perception de sa candidature, et placera Ségolène Royal au même niveau que les autres : une candidate, avec ses idées, ni plus ni moins originales que les autres, ni plus ni moins réalistes que les autres.

Pour toutes ces raisons, nous considérons que Mme Royal maximise le risque de voir le PS échouer face à la candidature de la droite, voire d’être exclu du second tour de l’élection présidentielle.


[1] http://www.ifop.com/europe/sondages/opinionf/francais%5Fenvironnement.asp


[2] Cf. l’excellent ouvrage récemment paru d’Alain Garrigou aux Editions de la Découverte : L’ivresse des sondages.


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