L’État-providence : un enjeu discret, mais important, au cœur de l’élection présidentielle de 2017

par Aimé FAY
mardi 11 avril 2017

Fillon, veut sévèrement restreindre l'État providence en diminuant drastiquement les dépenses de l'État. Hamon, Mélenchon… et aussi Le Pen − qui le réservera aux purs nationaux − veulent, tous les trois, fortement l'augmenter via de nouvelles dépenses de l'État... sachant pertinemment que leur chance d'accès au pouvoir, pour mettre en œuvre leur projet, est presque nulle. Quant à Macron, l'homme du centre, il souhaite maintenir le statu quo et promouvoir plus d'équité.

Au-delà des mots ou des demi-mots que les personnes candidates à cette élection osent prononcer ou n'osent pas prononcer, l'État-providence c'est quoi ?

L'État-providence est le concept d'État qui prend en charge, grâce à la redistribution d'une partie des prélèvements obligatoires, le financement d'interventions de solidarité nationale du type protection sociale, au sens large.

Si l'origine du terme fait encore débat, notons que dès 1748, Montesquieu (1689-1755) mentionnait que "Quelques aumônes que l'on fait à un homme nu, dans les rues, ne remplissent point les obligations de l'État, qui doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable, et un genre de vie qui ne soit point contraire à la santé." 1

En 1791, dans l'Angleterre où s'appliquait déjà les Lois élisabéthaines sur les pauvres (1601), Thomas Paine (1737-1809) fut le premier a imaginé un État-providence, c'est-à-dire une "méthode de soulagement ou de distribution" 2 qui viendrait aider les familles pauvres et les vieux. Il écrit aussi : "À cinquante ans [...] l'homme [...] tombe rapidement, et se voit comme un vieux cheval que l'on envoie paître. À soixante ans, il ne doit plus avoir besoin de travailler, au moins pour vivre. Il est réellement pénible de voir la vieillesse se tuer de fatigue, dans ce que l'on appelle les pays civilisés, pour un morceau de pain." 3

Otto von Bismarck (1815-1898), alors chancelier d'Allemagne, met en œuvre de 1883 à 1889 des systèmes corporatistes d'assurance au profit des travailleurs, pour la maladie, les accidents du travail, la vieillesse et l'invalidité. Ces lois "relevaient à la fois de la promotion du bien-être des travailleurs, afin de permettre à l'économie allemande de fonctionner avec le maximum d'efficacité, et de la volonté d'écarter les appels en faveur d'alternatives socialistes plus radicales." 4

Puis, en 1925, inspiré par le Parti libéral anglais, dont la figure de proue était John Maynard Keynes (1883-1946), le besoin de financement d'une réforme sociale apparaît : "[...] c'est-à-dire la prise en charge sociale de la maladie, du chômage, de la retraite, de l'éducation, du logement et de la santé publique − [...]." 5. Ainsi :

- aux États-Unis, en 1933, suite aux dégâts sociaux de la crise de 1929, le président Franklin Delano Roosevelt (1882-1945) crée, par l'intermédiaire du New Deal, la première pierre embryonnaire et réelle du Welfare State 6 − État du bien-être, autre nom de l'État-providence − concomitamment à l'État purement interventionniste ;

- le 20 novembre 1942, William Henry Beveridge (1879-1963), dans son "Report on Social Insurance and Allied Services", déclina le concept de base du système britannique de Sécurité sociale 7. Concept repris dans l'article 22 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ;

- le 4 octobre 1945, la Sécurité sociale française 8 est créée, financée par les cotisations sociales ;

- le 27 mars 1957, le Traité de Rome est signé. Dans son titre III (La politique sociale) il intègre des principes de l'État-providence.

Aujourd'hui, l'ensemble des pays riches et démocratiques ont tous intégré − à des degrés divers selon leur sensibilité politique (libérale ou sociale démocrate) − l'État-providence, devenu peu ou prou à travers les lois qui le fondent, un droit acquis pour l'ensemble de la population. Les pays scandinaves servent encore souvent de référence.

L'État-providence fournit des revenus aux personnes qu'il prend en charge. Ces revenus sont entièrement dépensés, consommés, car une grande partie du public touché n'est normalement pas celui qui épargne. Ces dépenses participent aussi à la croissance économique du pays… si, et seulement si, la plupart des biens achetés sont produits sur le territoire national. Cela est malheureusement loin d'être le cas aujourd'hui avec la mondialisation et l'immensité des produits provenant des pays à bas coûts !

L'État-providence a pour ressources financières les prélèvements obligatoires. Or, ces prélèvements ont pour assiette les éléments du PIB (somme des valeurs ajoutées des entreprises). Éléments qui varient proportionnellement au taux de croissance économique. Ainsi, en période d'expansion, les recettes de l'État-providence augmentent. En période d'atonie économique ou de récession, elles diminuent, engendrant des besoins de financement à combler par des emprunts… qui vont augmenter la dette publique, déjà bien lourde dans beaucoup de pays.

En France, jusqu'à la fin des Trente Glorieuses, la croissance économique et la modestie de l'État-providence (peu de chômage, peu de retraités par rapport à la population active, etc.) avaient permis aux comptes publics − ceux des administrations de Sécurité sociale notamment − d'être généralement excédentaires. Depuis la fin des années 1970, l'explosion puis l'avènement et la persistance du chômage de masse, l'accroissement du nombre de retraités, l'augmentation du recours au système de santé… ont déconnecté la croissance des dépenses − rigides par nature − de l'État-providence, de la croissance économique. Creusant ainsi inexorablement les déficits des comptes publics. Aujourd'hui, la légitimité de l'État-providence est remise en cause. Pour valider cela, certains politiques et économistes néolibéraux − dits de droite − mettent désormais en doute son efficacité. De fait, si les méfaits de la pauvreté… et des accidents de la vie restent quand même bien supérieurs aux méfaits supposés de l'État-providence, celui-ci doit-il évoluer en absence persistante d'une croissance économique durable. Cela, afin que ses déficits, financés par des emprunts récurrents, n'obèrent pas de manière illégitime le bien-être des générations futures ?

Comment maintenir notre niveau de la solidarité nationale sans pénaliser celui de notre descendance ?

Certainement pas en réduisant l'État-providence, car ce serait laisser les inégalités se poursuivre sans correcteur aucun. Cette solution est celle prônée par la plupart des femmes et d'hommes politiques d'obédience libérale, voire malthusienne 9.

Certainement pas, non plus, en augmentant simplement l'État-providence, car ce serait faire fi des actuels déficits publics colossaux : donc irresponsable ! Dire qu'en augmentant l'État providence, la situation des plus pauvres s'améliorera, est grandement démagogique, populiste − au mauvais sens du terme − et surtout honteusement mensonger. Le surendettement d'un pays n'a jamais rendu les plus socialement fragiles, plus heureux et plus riches !

La juste position est au centre, celle de plus d'équité. En effet, comment imaginer des politiques qui nient les dégâts d'un monde où les injustices vont croissantes ? Comment imaginer, aussi, des politiques qui nient les dégâts d'un État où les dépenses sont sans cesse supérieures aux recettes… laissant le fardeau du remboursement aux générations futures : pauvres, modestes comme riches ?

Ainsi, le vote Macron, le 23 avril 2017, est celui qui est le plus économiquement et socialement juste, raisonnable et surtout le plus responsable.

 

N.B. : l'État-providence n'est pas seulement une émanation centrale. Il existe aussi au niveau inférieur, dans les collectivités territoriales : la commune, le département, la région.

1. De l'esprit des lois II, 4ème partie, Livre 23, Chap. 29 : Des hôpitaux, p. 134.

2. Les Droits de l'Homme, Seconde partie, p. 340.

3. Id. p. 341.

4. Organisation internationale du travail : "De Bismarck à Beveridge : la sécurité sociale pour tous" (site : ilo.org).

5. The end of laissez-faire : Suis-je un liberal ?, p. 39.

6. Notamment : Social Security Act (1935) modifié en 1939 par une aide aux chômeurs et celle pour les enfants à charge (l'AFDC : Aid to Families with Dependent Children).

7. "In the Report on Social Insurance and Allied Services, I set out a Plan for Social Security…" (Full employment in free society ("Misery generates hate"), Part I, Plan for social security − policy for employment, p. 38, item 48).

8. Le gouvernement provisoire de Charles de Gaulle (1890-1970) charge le ministre du Travail Alexandre Parodi (1901-1979) de concevoir une Sécurité sociale à la française. Le haut fonctionnaire Pierre Laroque (1907-1997) fut chargé de ce projet (source : le Conseil d'État).

9. Thomas-Robert Malthus (1766-1834, pasteur protestant et économiste) : "Rien ne peut contrarier plus efficacement les mauvais effets produits par les Droits de l'Homme chers à M. Paine, que la diffusion de la connaissance des véritables droits de l'homme. Il n'entre pas dans mon propos de les énumérer. Mais il en est un qu'on confère généralement à tout homme, et qu'à mon avis il ne peut ni ne doit posséder : celui d'être nourri lorsque son travail ne lui en fournit pas les moyens. À la vérité, les lois anglaises lui accordent ce droit et obligent la collectivité à fournir un emploi et des moyens de subsistance à ceux qui ne peuvent les trouver par des moyens normaux. Mais ces procédés contrarient les lois de la nature (celle de dieu (NdA)). Il s'ensuit qu'on peut non seulement prévoir leur échec, mais que les pauvres - au lieu d'être soulagés - risquent de souffrir cruellement de l'inhumaine supercherie dont ils ont été les victimes." Dans Essai sur le principe de population, p. 170, édition Médiation, Paris, 1963.

Crédit photo : Wikipédia. Thomas Paine (1737-1809)


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