L’état voué à disparaître ? La gouvernance du vide

par Lapa
mardi 10 février 2009

Le Sarkoshow de jeudi dernier n’a fait que confirmer un fait : l’état ne maîtrise rien et ne pourra rien pour vous. Mais ce n’est pas nouveau.

L’impuissance de l’état concernant les affaires de notre pays n’a fait qu’empirer au cours de la Vème république : aujourd’hui il ne reste plus guère que les dorures de l’Elysée et les cérémonials grandiloquents au goût suranné pour faire illusion. La réalité est toute autre : notre Roi n’a plus de réel pouvoir pour conduire le destin de la nation. Il se contente, comme nombre de ses prédécesseurs, de profiter de la situation avec ses potes en multipliant les effets d’annonce.

Cette faiblesse globale est d’autant plus patente qu’elle est mise en évidence par la crise financière et économique, un domaine où l’état a complètement abandonné depuis longtemps ses capacités de régisseur. Ça a commencé par le fait de confier sa dette à des banques privées depuis 1973, confirmé par le magnifique traité de Maastricht (adopté par référendum populaire hélas) et ça a continué par le transfert de compétences de plus en plus nombreuses vers l’Europe.

Il faut reconnaître également que pendant ce temps-là, le monde changeait et les entreprises grossissaient et s’internationalisaient pour répondre à un marché toujours plus global et une recherche de croissance externe. Car si le capitalisme a besoin d’une libre concurrence pour fonctionner, ses acteurs passent bizarrement leur temps à vouloir arriver en situation de monopole ou presque, cherchez l’erreur. Cette globalisation (bientôt appelée mondialisation) a effectivement réduit l’impact de l’état sur la vie économique du pays. Ce dernier subit les flux qu’il ne maîtrise plus et ce n’est guère à lui d’imposer quoi que ce soit à une multinationale (et donc par définition, entreprise apatride) qui aura vite fait de lui faire comprendre qu’elle peut aller ailleurs ; chose qu’une PME de 150 salariés peut difficilement se permettre.

Mais reste-t-il encore dans notre pays des PME n’appartenant pas à un groupe international ? Sûrement de moins en moins. Tenez, l’entreprise Bouillard 150 salariés fait des pièces pour l’automobile. Elle se fait racheter par le groupe Voléo, qui au bout d’un an décide, comme par hasard, de transférer l’outil de production du site en Slovaquie (être au cœur de l’Europe pour faciliter les livraisons et pas du tout parce que les salaires sont plus bas voyons) mais assure que le site gardera une activité de conditionnement. Puis peu à peu les gens partants ne sont pas remplacés, le site se meurt, l’activité est maintenant nulle. Hop on peut fermer. Le groupe a pris l’outil de travail, les compétences, la R&D et le carnet de commandes liés à une histoire d’entrepreneur familial français pour aller les expatrier ailleurs. Un réel pillage en bonne et due forme de notre territoire, sous la bénédiction de la construction européenne. (Notez que les noms de cet exemple réel sont volontairement faux).

Depuis des années, nos gouvernements n’ont jamais rien fait d’autre que de suivre la grande course en avant du libéralisme à tout va (et Dieu sait que je ne suis pas un collectiviste forcené !) sans se préoccuper de l’intérêt national qui devrait être l’intérêt des citoyens à long terme. Pour ne pas montrer que des pans entiers de compétences indispensables partaient vers l’étranger, l’état français a joué sur plusieurs tableaux :

D’abord en multipliant de manière presque burlesque les lois et réglementations liées à la protection physique des citoyens. On ne peut guère reprocher à l’état de se préoccuper de la santé des Français. Mais ces intrusions, tout aussi paternalistes qu’elle soient, empiètent de plus en plus dans la sphère privée et ce n’est pas fini. Ainsi, pour montrer encore que l’état a du pouvoir sur les citoyens, la prévention routière a été un vecteur de communication formidable  : obligation des ceintures, obligation du casque à vélo, alcoolémie de plus en plus restrictive, radars à tout va… Bref un arsenal terrible a été mis en branle pour imposer une ligne de vue (parfaitement justifiable au demeurant). On eut simplement aimé que l’état arrive à imposer pareillement d’autres lignes de vues dans des domaines primordiaux pour l’avenir de notre pays : par exemple le maintien de l’outil industriel, la maîtrise des déficits... etc… Qui auront un impact tout aussi important sur la vie de notre descendance que le fait de leur mettre un casque dès qu’ils montent en tricycle, interdire le bizutage ou placer une barrière autour de la piscine.

Bref, la prévention routière et la santé (la lutte contre le tabagisme par exemple) ont été de très bons filons pour montrer au bon peuple que l’état restait une autorité (la fameuse peur du gendarme !) et qu’il servait le citoyen (c’est pour ton bien !).



Le deuxième point a été de multiplier les lois « opportunistes ». Dans le bouillonnement médiatique incessant, les préoccupations de nos dirigeants sont parfois en complète adéquation avec l’émoi populaire du moment (n’ont-ils rien d’autre à faire ?). Ainsi il suffira qu’une petite fille se fasse mordre par un clebard quelconque pour que nos bons gouvernants réagissent promptement pendant trois jours pour finir par pondre une énième loi spécialement dédiée au cas des chiens mordant les petites filles. C’est à la limite du niveau d’un conseil municipal de village, mais a priori ça occupe nos pontes ; à défaut d’autres possibilités sur le destin de la nation… Dans le même ordre d’idée, il est toujours temps, suite à un parachute doré fort inopportun, de légiférer sur ce type de pratique, tout en sachant qu’il est élémentaire pour une multinationale d’échapper à la loi qui en ressortirait.
Ce type de loi réactive à l’efficacité absolument non démontrée essaye encore de faire illusion.


Le troisième point que j’aimerais aborder consiste à multiplier également les propositions de réformes. Il faut réformer, du moins c’est ce qu’on nous martèle sans cesse, et le citoyen lambda d’imaginer cette réforme, forcément à son avantage. La réforme est un mot générique pour faire croire qu’on avance, également fourre-tout, il est pratique pour cacher des décisions allant des plus anodines et sans intérêt aux plus contestables. Chaque réformette permet d’alimenter un débat qui occupera l’intelligence de ce pays pendant des jours entiers. On reste encore fixé sur la suppression de la pub sur la télé publique après 20 heures ou la nomination du président de France Télévisions par le Roi lui-même ; alors que nos intelligences, nos élites pensantes devraient plutôt chercher comment donner à manger à nos concitoyens dans les deux prochaines années. Ce n’est pas quand il n’y aura plus que des retraités dans la France « plateau de fruits de mer » et que notre pays sera devenu un gigantesque musée à ciel ouvert, obligé de faire la manche aux touristes pour conserver un semblant de splendeur, qu’il faudra se préoccuper de l’avenir post industriel.


Il reste encore deux alibis gouvernementaux pour masquer sa totale impuissance :
D’abord l’environnement. Un article entier n’y suffirait pas mais la marotte environnementale (Grenelle et consort) en totale inadéquation avec l’intelligence de l’efficacité (de deux choses l’une : ou le dérèglement climatique est dû complètement à l’Homme et dans ce cas, le Grenelle n’aura strictement aucun impact ; où il n’est pas dû à l’Homme et c’est pareil) ne sert qu’à finalement faire ce que l’état arrive le mieux : taxer. Inventer toutes sortes d’obligations à la noix pour faire tourner une économie purement interne et sans développement  : le contrôle, par exemple. Quand on ne produit plus, on ne recherche plus, on ne développe plus il reste toujours le moyen de créer artificiellement de l’activité avec une réglementation. Le contrôle technique automobile, le plomb, l’électricité, les termites, le bilan d’énergie, l’amiante dans la maison, bientôt les cafards pourquoi pas. Le contrôle des agents physiques aux postes de travail (mais en reste-t-il dans notre pays ?), j’en passe et des meilleurs. Tous ont des alibis plus épatants les uns que les autres mais ne servent finalement qu’à faire grossir la liste des obligations réglementaires pour les entreprises et les citoyens.
Manque de pot, les citoyens, surtout les plus faibles, ne peuvent pas encore se barrer aussi facilement que ça. Alors que les défis environnementaux et technologiques auraient pu permettre l’émergence d’une économie réelle de développement et de production avec des compétences locales, il semble bien que la France ait loupé le coche ; notre pays n’est bon qu’à importer des éoliennes (sans se préoccuper du réel bilan de ce système de production), taxer le « pollueur » (c’est-à-dire, in fine, le citoyen) et multiplier les contrôles.

L’environnement a ceci de génial pour l’état qu’il cumule trois avantages  :
D’abord dans le buzz actuel, c’est une préoccupation de la population. Ce qui veut dire des gens docilement conduits à gober toute solution proposée.
Ensuite cela permet souvent de lever de nouvelles rentrées d’argent, parfaitement acceptées.
Enfin, le plus important pour un politique, les résultats sont de toute façon totalement impossibles à voir ; ce qui évite d’avoir un bilan désastreux.


Le deuxième alibi concerne le saupoudrage d’argent. Tel un empereur de l’ancien temps, notre président décide, suivant l’actualité, d’accorder des aides à untel ou untel. La magnificence de l’état providence qui dilapide allégrement le fric qu’il n’a pas à gagner à la sueur de son front. Ce genre de mesure s’effectuant généralement dans l’urgence et sur des thèmes de communion médiatique forte, il est rare que leur utilité réelle soit réfléchie et recherchée. Combien de milliards a-t-on claqué dans la sidérurgie française ? Combien de milliards va-t-on claquer pareillement pour éviter que les constructeurs automobiles français (qui viennent de développer un 4x4 fabriqué en Corée, on croit rêver …) ne licencient maintenant ce qu’ils ont de toute façon prévu de licencier plus tard ? Combien a coûté aux Français le rachat d’actions Dexia qui ont déjà perdu 50% de leur valeur, ou la crise de la filière porcine ?

Mais peu importe, l’argent brûle les mains. Il est plus facile d’accorder des aides à des filières dépassées ne se remettant pas en cause qu’à remonter le niveau de recherche et développement du pays ou revoir le tissu industriel et l’aménagement du territoire...
Et quand il n’y a pas saupoudrage d’argent directement, c’est via une niche fiscale que nos dirigeants agissent (tout en pestant contre le nombre de niches existantes). Heureusement que l’impôt sur le revenu existe, il permet à l’état d’annoncer toujours plus de déductions possibles dans un système multicouches tellement alambiqué qu’il met parfois à mal l’efficacité d’autres décisions antérieures.

L’attitude du sommet de l’état me fait furieusement penser à des personnes se préocupant d’établir un plan de table quand le service en porcelaine s’est barré avec le voleur et que le frigo est vide. Vide c’est le mot. La gouvernance du vide.

Pour résumer l’état a perdu énormément de sa capacité à influencer un monde complexe qui impacte directement les Français. Sans aucune logique ni vision à long terme, il masque ses pertes de compétences en investissant massivement dans l’action médiatique et l’intrusion dans le comportement de ses propres citoyens.

Avec les attributions de plus en plus nombreuses des collectivités territoriales (régions entre autres) et la prédominance de l’Union Européenne dans de nombreux domaines clés, on en vient à se demander si l’Etat Français n’est finalement pas comme le département : une entité intermédiaire vouée à disparaître ?


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