L’étonnant succès du Mouvement démocrate, symbole de renouveau politique

par Voltaire
mardi 15 mai 2007

La création d’un nouveau grand parti politique n’est pas chose commune dans un pays démocratique. Elle survient en général à l’occasion de changements profonds dans la société et tend souvent à renouveler le débat démocratique. Le lancement du « MoDem » par François Bayrou s’annonçait pourtant périlleux, avec le départ de la plupart de ses députés vers la majorité présidentielle de Nicolas Sarkozy. Mais une vague d’adhésion massive et inattendue à ce nouveau parti est venue confirmer le bouleversement du paysage politique national.

Près de 60.000 inscriptions en une semaine, sans campagne d’adhésion, uniquement par le bouche-à-oreille et la fréquentation d’un site internet, tel est le bilan étonnant d’une petite annonce, affichée sur le site de François Bayrou, invitant ses lecteurs à rejoindre le futur Mouvement démocrate. Ce phénomène est tout à fait surprenant et novateur, quand on le compare avec l’émergence des autres partis politiques actuels.

Le dernier grand parti politique français à avoir émergé est bien sûr l’UMP. Fondé en 2002 par la volonté de Jacques Chirac et d’Alain Juppé, celui-ci avait pour ambition de devenir le seul grand parti de la droite, afin de transformer le système politique français sur le modèle bipolaire américain. L’objectif était aussi de donner à Jacques Chirac, alors en difficulté dans la course à l’élection présidentielle, un outil efficace contre le Parti socialiste. D’abord appelé « Union pour la majorité présidentielle » pendant la campagne électorale, ce mouvement devenait l’ « Union pour un mouvement populaire » après la réélection de Jacques Chirac, celui-ci voyant dans le plébiscite du second tour l’occasion d’éliminer définitivement le parti concurrent qu’était l’UDF.

Comme lors de la création du RPR en 1976, l’UMP était donc né d’abord par la volonté d’un chef et de son état-major, en fonction de considérations stratégiques. De façon similaire, la naissance de l’UDF en 1978 procédait des mêmes préoccupations, assurer au président de la République d’alors, Valéry Giscard d’Estaing, un outil politique permettant l’accès ou le maintien au pouvoir. Dans les deux cas, la base, c’est-à-dire les militants ou les électeurs eux-mêmes, n’eurent pas voix au chapitre, même s’ils approuvèrent facilement la décision de leur chef.

Avant l’UMP, il faut remonter à 1984 pour constater l’apparition d’un autre parti d’une certaine importance, celui des Verts. Ce parti était alors né de la fusion de deux composantes aux préoccupations environnementales, afin de bâtir un mouvement permettant de défendre une écologie politique.

Depuis cette époque, et malgré différentes tentatives d’émancipations de divers responsables politiques, aucun nouveau mouvement d’envergure ne vit le jour.

Des caractéristiques tout à fait inattendues :

La première surprise, c’est bien sûr le nombre : ce chiffre de 50.000 adhésions au Mouvement démocrate dépasse de loin le nombre d’adhérents de l’UDF à la fin 2006 !

La deuxième surprise, c’est l’origine de ces adhérents : à près de 90%, ceux-ci n’appartiennent pas à l’ancienne UDF. Il ne s’agit donc pas de la simple transformation d’un parti en un autre, comme lors du passage du RPR à l’UMP, mais bien de premières adhésions de citoyens à un parti politique.

Les membres de l’UDF deviendront sans doute automatiquement membre du MoDem à l’automne, et il est probable que seule une très faible minorité refuse ce transfert (tout comme un faible nombre d’adhérents UDF avait suivi les élus transfuges vers l’UMP en 2002). Autant dire que ce nouveau parti devrait compter rapidement 100.000 adhérents. Pour la première fois sous la Ve République, un mouvement central dans le paysage politique est un mouvement populaire !

Il est surprenant que les médias n’aient d’ailleurs jusqu’ici pas commenté ce fait remarquable. A de nombreux niveaux, cet enthousiasme s’apparente en effet à la montée en popularité de François Bayrou durant les mois de janvier-février lors de la campagne électorale. Alors qu’il était pourtant évident qu’un phénomène populaire inattendu se déroulait, la plupart des journalistes attendirent la fin février et le passage de Bayrou au dessus de 16-17% d’intentions de votes pour réagir.

Le troisième élément marquant, c’est la sociologie de ces adhérents. Parce que cette adhésion quasi spontanée ne se fait que sur internet, par la visite des sites de François Bayrou et de son parti, ces adhérents sont des internautes. Il faut rapprocher cela à la forte sympathie de la blogosphère envers Bayrou et ses idées, reprises au sein du MoDem. Or, ce sont ces mêmes internautes qui ont en quelque sorte lancé François Bayrou à l’automne 2006 ; relativement peu nombreux en chiffres absolus, ils n’en n’ont pas moins une grande importance par l’existence de leurs réseaux d’influence étendus, notamment au sein de l’électorat privilégié de François Bayrou que sont les classes moyennes-supérieures et les professions intellectuelles.

Quelles sont les raisons possibles de ce succès ?

D’abord, bien sûr, la personnalité de François Bayrou. Celui-ci a réalisé une campagne exceptionnelle par rapport à ses moyens, a su s’imposer comme présidentiable à part entière, et a réussi à imposer dans l’opinion la légitimité de ses idées et de son mouvement politique. Dans un certain sens, cette vague d’adhésion est similaire, bien qu’à plus petite échelle pour le moment, à celle qu’avaient entraîné Nicolas Sarkozy à l’UMP et Ségolène Royal au PS.

Se trouve-t-on pour autant face à un nouveau parti dédié à son chef, comme cela a classiquement été le cas pour les partis gaullistes ? Non. Car, ces adhésions sont, au moins autant, destinées à soutenir une idée, simple, qu’a défendue tout au long de cette campagne François Bayrou, et qui correspond à une évolution profonde du corps électoral : le dépassement du clivage droite-gauche et le rassemblement des compétences.

Ce mouvement de fond est d’ailleurs tel qu’aussi bien Nicolas Sarkozy, dans sa tentative actuelle de formation d’un gouvernement élargi (à la Bayrou ?), que François Hollande, dans sa proposition de créer un nouveau parti de gauche s’étendant jusqu’au centre, se sont emparés de ce thème. On peut néanmoins se demander quelle sera leur crédibilité dans ce domaine par rapport à François Bayrou, étant donné leurs prises de position antérieures.

Quelles peuvent être les effets de ce phénomène inattendu ?

Tout d’abord, comme au début de sa campagne, cela permettra de fournir à Bayrou et à ses candidats un relais d’opinion essentiel pour leur campagne, dans un contexte médiatique très défavorable.

Le succès de ce nouveau parti signifie peut-être aussi la mort des Verts. Les ralliements de nombreux écologistes pourraient hâter cette fin. Ce parti vivait depuis de nombreuses années dans une étrange schizophrénie : ses électeurs étaient en majorité de gauche modérée, tandis que ses représentants prônaient une politique de gauche antilibérale. Le très faible score de Mme Voynet et l’orientation environnementale du MoDem condamne à plus ou moins brève échéance les Verts, dont la partie de gauche dure pourrait se fondre dans un mouvement altermondialiste plus large.

D’autre part, renforcée par le très vif sentiment de sympathie à l’égard du MoDem généré par la trahison de la plupart des députés UDF sortants, cette vague d’adhésion pourrait bien être suffisante pour permettre à François Bayrou de sauver son groupe parlementaire. Il est en effet possible que, par réaction, ce mouvement d’adhésion militant se concrétise aussi dans l’électorat, qui voudra permettre à Bayrou de conserver une voix dans le paysage politique français, malgré un système électoral défavorable. Il faudra néanmoins sans doute attendre deux semaines pour en savoir plus.

Enfin, ce succès oblige les autres partis politiques à réagir, ce qui a pour effet une profonde rénovation du paysage politique français.

A gauche, le Parti socialiste est agité par les soubresauts de l’après-élection. Mais que ce soit Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn ou François Hollande, et bien sûr nombre d’élus locaux, la plupart des responsables PS tentent de prendre en compte l’apparition de ce nouveau mouvement, soit en proposant de transformer le PS en parti social-démocrate, soit en ouvrant la possibilité d’alliances avec le MoDem, soit même en tenant de faire une OPA sur MoDem naissant en élargissant le PS vers le centre. Face à ces tentatives, les tenants d’une ligne « de gauche » du PS se trouvent isolés, et pourraient tenter de se renforcer avec les altermondialistes antilibéraux.

De la même façon, les Verts sont traversés par les mêmes divisions, entre partisans de nouvelles alliances et ceux de l’ancrage à gauche.

A droite, la menace est aussi prise au sérieux. La réponse est double : proposer un gouvernement d’ouverture d’un côté, et tenter de vider le MoDem de ses élus en faisant pression sur ses cadres et en favorisant l’émergence d’un autre parti centriste, de l’autre. Pour autant, on n’observe pas de changement idéologique chez les vainqueurs, qui semblent plutôt tentés de confirmer leur positionnement à droite après leur large victoire, et donc de vider de leur substance les anciens partis nationalistes.

Au centre enfin, ce mouvement populaire vient confirmer le tournant amorcé par François Bayrou depuis deux ans, et le décrochage définitif du parti nouveau parti centriste (central ?) de l’ancienne droite. Le départ des derniers députés élus sous « l’ancien régime », que rejoindront sans doute un certain nombre d’élus locaux menacés par les représailles de l’UMP, va laisser place à une nouvelle génération de responsables au positionnement recentré. Renforcé par des bataillons de militants motivés, le MoDem devrait connaître quelques années difficiles avant de pouvoir bénéficier à plein de son emplacement central lors des élections régionales et européennes de 2010. La liberté accordée à ses élus locaux pour conclure des alliances ad hoc en fonction des situations devrait néanmoins lui permettre de se développer lors des municipales où les discussions sont souvent plus pragmatiques.

C’est donc bien à un profond bouleversement de notre système politique auquel nous assistons avec l’émergence du MoDem. Celui-ci en avait certainement besoin, tant était profonde la fracture entre les citoyens et leurs élus. Souhaitons que ce regain d’intérêt pour la démocratie s’accompagne des réformes institutionnelles nécessaires à la plus grande participation des citoyens à la vie publique.


Bayrou : création du MoDem
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